Le bon signe.
En 1995, David Fincher codait les châtiments d’un psychopathe par le biais du paradigme des sept péchés capitaux, bousculant par la même les codes du thriller traditionnel. Douze ans plus tard, après avoir construit, à la sueur de son front, une filmographie marquée du sceau de l’audace visuel (Fight Club, Panic Room) et de l’assurance narrative (The Game), il reprend la route du crime en suivant les traces du Zodiac, tueur insaisissable et réputé insatiable qui, à la fin des années 60, mis en joug et à genoux la population et les autorités du comté de Napa et de la mégalopole Franciscaine. L’idée de retrouver l’auteur de Seven sur une vaste fresque meurtrière de plus de 150 minutes a de quoi aiguiser nos papilles de fins limiers, d’amateurs d’affaires sordides et d’enquête sur le long cours. Cependant, cette sixième œuvre marque incontestablement une rupture dans le parcours de ce génie du cadre. Ce formaliste, qui dressait auparavant de grandes figures connotatives pour mieux cerner la nature du monde qu’il plaçait sous nos yeux, opte pour un dispositif cinématographique plus classique. Graphiquement moins viscéral que ses précédents ouvrages, Zodiac délaisse donc les figures conceptuelles chères à David Fincher pour laisser libre cadre à ses personnages. Maturité diront les uns, soumission diront les autres. Il en reste pas moins que les caractères composant son tortueux cryptogramme sont soigneusement tracés par une riche galerie d’acteurs au sein de laquelle se démarque l’excellent Jake Gyllenhaal, dont la personnalité devient progressivement le moteur principal de l’intrigue. Modeste caricaturiste officiant dans l’ombre des éditorialistes du San Francisco Chronicle, Robert Graysmith illustre, de par son statut et son inexpérience, une obsession extrême et infiniment ordinaire, reflet de notre propre passion pour les énigmes, constituant dès lors le point d’ancrage de notre immersion au sein de ce thriller cérébral. En effet, préférant suivre la piste des Hommes d’Alan J. Pakula, Fincher prend finalement à contre-pied les attentes des spectateurs en offrant son action loin des scènes de crimes. L’hardiesse de cette démarche s’avère particulièrement payante, le film voyant se décupler la puissance de ses glaçants éclats de suspens (les deux premiers meurtres, l’entretient téléphonique, la scène de la cave) tout en révélant la perversité médiatique instruite par le tueur au cours de sa sanglante odyssée. La forme éminemment académique qu’impose le biopic semble donc avoir quelque peu apaisé les pulsions esthétiques du cinéaste, employant son énergie davantage à énoncer son récit qu’à déterminer les outils techniques permettant de le conduire. Cependant, loin d’avoir totalement vendu son âme à ce diable d’académisme hollywoodien, le réalisateur préserve son (bon) goût pour la belle atmosphère par cette impression en mélaminé pimper par Harry Savides et cette torpeur ouatée taillée par David Shire. De cette somme de talents et de choix esthétiques conjugués, il en ressort un captivant rébus criminel qui réussit à retranscrire ainsi qu’à partager, sans aucune retenue, la passion générée par ce mystérieux tueur dont l’identité réelle reste encore aujourd’hui la plus grande des inconnues. (4.5/5)
Zodiac (États-Unis, 2007). Durée : 2h36. Réalisation : David Fincher. Scénario : James Vanderbilt. Image : Harry Savides. Montage : Angus Wall. Compositeur : David Shire. Distribution : Jake Gyllenhaal (Robert Graysmith), Mark Ruffalo (l’inspecteur Dave Toschi), Robert Downey Jr. (Paul Avery), Anthony Edwards (l’inspecteur Will Armstrong), Brian Cox (Melvin Belli), John Carroll Lynch (Arthur Leigh Allen).