Voyage au bout de la nuit.
Succédant à Révélations et Ali, Collateral célèbre le retour du réalisateur au polar, genre qu’il a délaissé dix ans plus tôt avec Heat, œuvre cathédrale devenue culte pour de nombreux cinéphiles. Rien de mieux pour cela que de retrouver l’artiste dans son plus bel atelier, sa sculpturale et tentaculaire Los Angeles, servant une nouvelle fois de toile de fond à une confrontation entre deux hommes. Cela aurait donc pu commencer comme n’importe qu’elle nuit, sauf que cette dernière est filmé par le peintre le plus perfectionniste du paysage cinématographique américain. Depuis la nuit des temps, dans le cinéma de Michael Mann, la nature crépusculaire du monde appelle à la contemplation de l’âme humaine et urbaine, témoignant du besoin irrépressible qu’éprouve ses personnages de se recueillir dans l’évanescence de la nuit. La mise en scène fait ainsi corps avec elle, adopte son rythme, son chromo, constellant pour cela son image d’étoiles de sodium qui vampirisent les êtres qui la traverse. Toute la beauté de son cinéma est là, sous nos yeux. Prendre le temps d’inscrire de l’humain et de construire du sens philosophique dans des projets très commerciaux. Inscrire plusieurs niveaux d’expériences cinématographiques au sein de projets aseptisés et étriqués. Collateral est sa première œuvre de commande, la seule dont il n’ait pas signée le scénario de ses propres mains, et pourtant, sa paternité est tout aussi réelle que celle qui la lie à ses précédents projets. Ainsi, derrière le plaisir scopique que l’on peut éprouver devant ce thriller élégant et féroce, traversé par des décharges graphiques et acoustiques dont il est le seul capable de nous en offrir (dont la fusillade dans la boite coréenne constitue le point culminant), il transforme cette croisière sur la banquette arrière de cette cabine de taxi, symbole de la mobilité à l’américaine, en un dense et bouleversant requiem sur le repli d’une civilisation. Les échanges entre le chauffeur de taxi et son passager portent par ailleurs de moins en moins le récit de deux individualités brillamment incarnées par Jamie Foxx et Tom Cruise, mais celui d’une ville divisée dans son espace, dans sa culture, dans son humanité, par cette anecdote fil-rouge d’un passager mort dans l’indifférence à bord d’un transport public. En outre, ce regard, sinistre et intense, qu’il pose sur le sort que réserve la société à ceux qui la constitue prend une toute autre dimension par le dispositif technique choisit par le cinéaste. Annoncé très brièvement dans son précèdent film, la technologie haute définition s’impose ici davantage dans son univers (un peu plus de 50% du film a été tourné dans ce format), donnant naissance à un brûlant choc esthétique qui permet de littéralement redécouvrir cette cité des anges déchus, ses couleurs, ses textures, sa faune et sa flore. Envoutant et captivant, et ce jusqu’à son tragique final, Collateral est une de ces splendides lumières qui irradient la filmographie d’un des réalisateur les plus habités de sa génération. (5/5)
Collateral (États-Unis, 2004). Durée : 2h00. Réalisation : Michael Mann. Scénario : Stuart Beattie, Frank Darabont. Image : Dion Beebe, Paul Cameron. Montage : Jim Miller, Paul Rubell. Musique : James Newton Howard, Antonio Pinto. Distribution : Tom Cruise (Vincent), Jamie Foxx (Max), Jada Pinkett Smith (Annie), Mark Ruffalo (l’inspecteur Fanning), Peter Berg (l’inspecteur Weidner), Bruce McGill (l’agent Pedrosa).