[Focus sur] Xavier Dolan avant la sortie de Mommy

Par Kevin Halgand @CineCinephile

Publié par popolbird le 2 octobre 2014 dans Critiques | Poster un commentaire

Avant de découvrir Mommy, @PaulCineBlog vous donne son avis sur la filmographie de Xavier Dolan.

À l’occasion de la sortie, la semaine prochaine, de son nouveau film, Mommy, prix du jury et immense coup de cœur des festivaliers Cannois, il serait bon de reparler du jeune prodige québécois, un des cinéastes actuels qui fait couler le plus d’encre, puisque parfois taxé d’égocentrique, mais également de génie. À une semaine de la sortie de son meilleur film selon beaucoup, vaut-il le coup de se plonger dans son cinéma (spoiler : la réponse est oui).

Ayant déjà construit une vraie œuvre au bout de 5 films en seulement 5 ans d’activités, Dolan est un cinéaste à part. Réalisant toujours des films extrêmement personnels visant le bouleversement du spectateur, et souvent en accord avec sa propre vie, il réussit toujours à accrocher le spectateur, ses films étant faits avec les tripes. Pour autant, tous ne sont pas bons, ce qui mérite un retour plus en détail dessus.

Commençons par le commencement, et le film fondateur : J’ai Tué Ma Mère. Film viscéral et pour le coup le plus personnel, écrit à 17 ans par un adolescent mal dans sa peau détestant sa mère, avec qui il vit quotidiennement, est certainement le plus marquant. Certes, Laurence Anyways est une œuvre qui surclasse J’ai Tué Ma Mère sur tous les points, mais ce qui frappe dans ce premier film, c’est la manière dont Dolan exorcise cette relation compliquée, pour mieux sublimer la figure maternelle. Outre le fait que le jeune québécois (qui devait avoir 20 ans à l’époque du tournage) joue parfaitement, alternant entre rage intérieure et explosions de colère, la précision de la réalisation et des dialogues est impressionnante. Maîtrisant sa caméra mieux que la moitié des cinéastes ayant sortis des films cette année, et alliant cela à une écriture assez bouleversante, Dolan marque profondément le spectateur.

Ensuite vinrent Les Amours Imaginaires. Autant le dire tout de suite, si c’est le seul film que vous ayez vu de Dolan, rectifiez cela tout de suite, car son deuxième film est clairement le plus mauvais. C’est aussi à cette période que beaucoup de gens ont commencé à le taxer d’égocentrique prétentieux. J’ai beaucoup de mal avec le terme prétention, tant pour moi, faire un film, imposer une vision sur un script et l’exposer aux yeux du monde est déjà un acte de prétention en soi. Certes il y a des exceptions, quand un réalisateur est privé de son contrôle sur le film, mais le reste du temps, quand celui-ci impose ses idées, on peut voir cela comme de la prétention. En réalité, Dolan passe une grande partie des Amours Imaginaires à filmer des gens marchant, au ralenti, sur de la musique. Je ne vois pas exactement ce que ça a de prétentieux, et les personnes avançant cette théorie semblant incapable d’argumenter, j’exclus cette hypothèse. Mais, Les Amours Imaginaires est chiant. Par la force de sa mise en scène, Dolan arrive à nous accrocher, mais le film est terriblement long, et bien que son propos soit assez beau (peut-on sacrifier l’amitié au nom de l’amour, surtout quand on ne sait pas si celui-ci sera réciproque), il s’éternise beaucoup trop. Mais, encore plus que pour son premier film, Dolan esthétise au maximum. Les séquences musique/ralenti sont sublimes et les plans composés de manière sublime. On sent la maîtrise totale de Dolan, qui explosera sur son film suivant.

Le choc, pour beaucoup, est donc là. Laurence Anyways, ou dix ans de la vie d’un homme, se sentant et voulant devenir femme au milieu d’une société qui ne l’accepte pas. Dix ans de batailles, de déchirement, de questionnement. Et, il faut bien l’avouer, même si j’ai plus tendance à m’identifier au premier film de Dolan, que celui-là fait bien bien mal. Shooté avec les tripes, remplis de séquences-chocs et arrache cœurs, le film est bouleversant. Porté par deux acteurs au sommet de leur art et qui n’ont peur de rien, cers 10 ans semblent passer en un éclair, tant le choc est total. Retranscrivant à merveille les émotions des personnages, excluent par des parents d’élèves craintifs (Laurence est prof), embrouillés dans des bars, embêtés par une serveuse, ou même rongés par le doute et les disputes dans leur intimité, Dolan sublime tout cela en filmant avec une facilité assez déconcertante. Pilier de sa filmographie, cette œuvre de 2h30 qui ne donne pas vraiment le temps de respirer, mais bien d’expérimenter, avec ces personnages, la dureté de cette situation, Laurence Anyways est ce que l’on peut appeler un chef-d’œuvre.

C’est à l’époque du Festival de Cannes 2012, avec ce film, que Dolan a définitivement acquis sa réputation de réalisateur imbu de lui-même. Fâché que son film ne soit pas pris en sélection officielle, il a publiquement déclaré (il est vrai avec peu de finesse) son mécontentement. La presse (et une grande partie des internautes) lui a donc taillé un costard, le décrivant comme quelqu’un de bien trop égocentrique. La sélection de Tom à la ferme à Venise a attisé les braises, tout le monde se demandant s’il avait désormais décidé de boycotter le festival français. Et, à l’annonce de la sélection de Mommy, une déferlante de railleries sur le fait que sa tête enflerait s’il gagnait un prix. Quand un os est jeté, il faut donc apparemment le ronger jusqu’au bout, même si cela signifie le faire avec absurdité. Oui son intervention à l’époque de Laurence Anyways aurait pu être faite avec plus de tact, mais, à l’heure où le cinéaste semble avoir tourné la page, analysant son cinéma avec justesse et délivrant un discours plein de sincérité et très émouvant lors de sa victoire à Cannes, certains parlent encore de calcul de la part du cinéaste, et refusent de s’ouvrir à une œuvre merveilleuse et très personnelle. Quelques mois seulement après la sortie de l’excellent Tom à la Ferme, un des seuls films de 2014 entièrement réussit selon moi, il revient donc avec Mommy. En espérant que ce nouveau film, s’annonçant atypique et grandiose, puisse faire changer d’avis les plus ouverts ou du moins permettre à d’autres de découvrir un cinéaste pas vraiment comme les autres, et meilleur que la plupart d’entre eux.