Julien Neel. Un nom qui n’évoque probablement rien aux cinéphiles (pour le moment, du moins) mais qui parle aux amateurs de bandes-dessinées. Cet auteur a remporté le prix Jeunesse à Angoulême pour son premier album, “Lou! – Journal Infime”(1). Puis il a signé le poignant “Chaque chose”(2) et le savoureux “Le Viandier de Polpette”(3), deux beaux albums, loués par la critique BD, dont l’ami PaKa, dans notre Rubrique-à-Brac.
Il a aussi participé à l’adaptation de “Lou!” en série d’animation pur la télévision, en tant que directeur artistique. Un premier pas dans le milieu de l’audiovisuel qui l’a conduit à passer derrière la caméra et à réaliser lui-même l’adaptation cinématographique de “Journal Infime” avec, cette fois, des acteurs en chair et en os. Qui, mieux que lui, pouvait tenter de transposer à l’écran son univers atypique et son style graphique singulier?
Mais déjà, qu’est-ce que le style Julien Neel?
Julien Neel, c’est d’abord des personnages principaux attachants. Des gamins aux yeux ronds et aux bouilles craquantes. Des adultes aux trognes incroyables et aux looks improbables.
On les retrouve dans Lou! Journal Infime. L’héroïne Lou, est une adolescente blondinette aux grands yeux et au sourire enjôleur, traits apportés par la très jolie Lola Lasseron. Sa mère, incarnée par une Ludivine Sagnier méconnaissable, est une grande gigue mal attifée, avec des hublots à la place des yeux. Elle passe ses journées à zoner devant une antique console de jeu, en robe de chambre et pantoufles. Pendant ce laps de temps, elle se désole de sa situation professionnelle plus que précaire, qui va l’obliger à demander de l’aide à Mamie (Nathalie Baye), une vieille peau revêche qui n’a de cesse de la rabaisser, et elle pense à l’aridité de sa vie sentimentale, aussi raplapla que les plantes vertes desséchées qui ornent son appartement.
Pourtant, son âme soeur est peut-être là, à deux pas. Un nouveau voisin (Kyan Khojandi), célibataire, vient de s’installer dans l’appartement d’à-côté. On dirait un berger égaré, un baba-cool sur le retour ou un militant écolo intégriste. Avec son côté bizarre et son look délirant, il irait bien avec Maman et cela pourrait la sortir de sa torpeur, se dit la mutine Lou, qui fomente illico un plan pour rapprocher les deux âmes seules.
Lou, elle, sait très bien qui est l’homme de sa vie. C’est Tristan (Joshua Mazé), son voisin d’en-face, un ado dont la mèche ferait passer celle de Justin Bieber pour un épi de sansonnet. Mais elle n’ose pas l’aborder, évidemment. Ce serait trop simple et il n’y aurait plus d’intrigue…
Julien Neel, c’est aussi une façon touchante d’aborder le thème des relations parents-enfants.
Ici, il y a la relation, complexe mais complice, entre Lou et sa Maman, et celle, plus tendue, entre sa Maman et sa Mamie. Dans les deux cas, cela provoque de belles et drolatiques joutes verbales et débouche in fine sur l’émancipation des personnages.
Julien Neel, c’est encore un véritable amour pour les objets, les bric-à-brac, les capharnaüms. Dans ses BD, il aime à dessiner les objets, à les représenter avec soin.
Dans Lou! Journal infime, il s’en donne à coeur-joie sur les accessoires. Rebuts de brocante kitsch, collection hétéroclite d’objets étranges, désuets ou décalés… Un inventaire à la Prévert ou façon Boris Vian. Pas de frigidaire ou d’armoire à cuillère, mais une vieille imprimante matricielle, un téléphone à cadran, un antique polaroïd, des jouets en pagaille dont l’Ours Butagaz au coeur de “Chaque Chose”,…
La même accumulation bizarre vaut pour les personnages secondaires : On croise des pizzaïolos japonais qui ressemble à Luigi et Mario Bros, une ado bourgeoise qui se rebelle en jouant les gothiques nihilistes, un gamin binoclard surdoué, des jeunes crétins, un chat câlin et vagabond…
Le bazar ambiant gagne aussi la mise en scène. C’est un fourre-tout de scènes curieuses, décalées, amusantes, tendres, alternant prises de vues réelles et séquences d’animation, le tout relié par deux fils conducteurs assez minces – les amours de Lou et les efforts de sa Maman pour remonter la pente. Certains trouveront sans doute cela assez insupportable. Les autres y piocheront du bon (les fantasmes SF de la Maman de Lou, sous forme de séquences d’animation ) et du moins bon (la scène où les romances adolescentes se nouent au Laser Quest).
Julien Neel, c’est enfin un univers coloré. Des couleurs pastel qui évoquent l’enfance et les rêves, et viennent contrer les traits de crayon noir cafardeux, évocateurs de l’âge adulte.
A l’écran, le cinéaste joue sur les tonalités lumineuses, les saturations, les filtres colorés. Il en découle une ambiance particulière, qui a la texture des rêves ou des souvenirs d’enfance. Une ambiance qui mixe les codes visuels de plusieurs époques à la fois, des années 1960 à nos jours, histoire de donner à cette histoire initiatique un côté intemporel et universel.
Là aussi, la méthode va diviser. Quand des cinéastes bidouillent les images et soignent le visuel, à l’instar de Jean-Pierre Jeunet (L’Extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet) ou Sylvain Chomet (Attila Marcel) le public ne suit pas toujours, hélas…
Il est vrai que ce qui fonctionne en BD ne fonctionne pas toujours au cinéma, mais on ne pourra pas reprocher à Julien Neel, pour sa première expérience de mise en scène, de chercher à se distinguer de ses confrères en trouvant son propre style.
Julien Neel est un auteur discret et humble, un conteur qui raconte des histoires simples avec un style très personnel. Lou! Journal Infime n’ambitionne pas de révolutionner le 7ème Art. C’est un petit film maladroit, imparfait, qui compense ses défauts par une énergie communicative et un charme fou, à l’image de sa jeune héroïne, craquante. On ne doute pas que si Julien Neel poursuit sa carrière cinématographique, il saura gommer les erreurs de jeunesse et imposer son style atypique sur grand écran.
(1) : « Lou! Journal infime » de Julien Neel, réédition – éd. Glénat
(2) : « Chaque chose » de Julien Neel – éd. Gallimard
(3) : « Le Viandier de Polpette » de Julien Neel et Olivier Milhaud – éd. Gallimard
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Lou ! Journal Infime
Lou ! Journal Infime
Réalisateur : Julien Neel
Avec : Lola Lasseron, Ludivine Sagnier, Kyan Khojandi, Nathalie Baye, Eden Hoch, Joshua Mazé, Lily Taïeb, Julie Ferrier
Origine : France
Genre : bric-à-brac coloré
Durée : 1h44
date de sortie France : 08/10/2014
Note : ●●●●○○
Contrepoint critique : Ciné Cinéphile
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