A 25 ans, Xavier Dolan peut déjà se targuer d’un parcours digne des plus grands cinéastes. Tous ses films ont connu les honneurs d’un grand festival international et y ont à chaque fois glané des trophées. Son premier long-métrage, J’ai tué ma mère a fait un triomphe à La Quinzaine des Réalisateurs, à Cannes, raflant les prix principaux. Les deux suivants, Les Amours imaginaires et Laurence anyways ont également été montrés à Cannes, dans la section Un Certain Regard, et ont fait forte impression, gagnant le prix de la Jeunesse pour le premier, et la Queer Palm pour l’autre. Son quatrième, Tom à la ferme a été présenté à la Mostra de Venise et a été snobé par le jury, mais pas par la presse internationale, qui lui a donné le prix FIPRESCI.
Son nouveau film, Mommy, ne fait pas exception à la règle, lui permettant cette fois de remporter une distinction majeure, le prix du jury du festival de Cannes.
Certains diront qu’il aurait même pu prétendre à mieux – une Palme d’Or, par exemple – tant le film a été apprécié par les festivaliers, qui lui ont offert douze minutes de standing ovation lors de sa projection officielle, et une bonne partie de la presse française. Mais ce prix, partagé avec le vétéran Jean-Luc Godard, a valeur de symbole. Il illustre le passage de témoin entre celui qui fut le fer de lance de la Nouvelle Vague française et celui qui incarne, avec son compatriote Denis Villeneuve, le renouveau du cinéma québécois.
Comme Godard en son temps, Xavier Dolan cherche à bousculer l’ordre établi, à faire voler en éclat les conventions narratives, à expérimenter autour du format d’image, du cadre, pour servir au mieux son propos et son récit. Son cinéma, par son côté rebelle, frondeur, exalté, rappelle la démarche de la Nouvelle Vague, même si le jeune prodige québécois, lui, revendique plutôt l’influence du cinéma américain des années 1960-1970, qui fut porté par le vent nouveau soufflant d’Outre-Atlantique. Il est vrai que devant Mommy, on pense beaucoup au cinéma de John Cassavetes, à sa façon de filmer les marginaux, les gens “différents”, à sa façon de sublimer les femmes, à son aptitude à restituer des émotions complexes avec un minimum d’effets mélodramatiques.
Dans Mommy, Dolan dépeint une relation mère-fils complexe, à la fois tendre et conflictuelle. Comme dans J’ai tué ma mère, son premier film, souligneront les détracteurs du cinéaste québécois, pour pointer du doigt son manque d’inspiration. Mais ils ont tort. J’ai tué ma mère était un cri de révolte contre une mère étouffante et castratrice, une oeuvre dans laquelle le tout jeune Dolan cherchait à s’affranchir de la tutelle parentale pour voler de ses propres ailes. Ici, il change radicalement de perspective. Le personnage principal n’est pas l’adolescent, Steve (Antoine Olivier Pilon), mais sa mère, Diane (Anne Dorval), une veuve célibataire qui fait ce qu’elle peut pour s’occuper de lui. Et ce n’est pas facile, loin de là, puisque le garçon souffre de troubles du déficit de l’attention, d’hyperactivité et d’accès de violence. Une vraie tête à claques, qui passe son temps à faire des bêtises et à proférer des horreurs racistes ou misogynes, et qui, avec le temps, devient de plus en plus menaçant pour son entourage. Diane a aussi ses défauts. Elle peut être excessive, exubérante, immature parfois. Quand elle ponctue ses phrases de jurons ou qu’elle assène des piques cinglantes à ses interlocuteurs, on se dit que son gamin a de qui tenir… Face au comportement erratique de Steve, il lui arrive de péter les plombs, mais elle s’accroche et endure beaucoup pour éviter que le garçon soit placé en institution psychiatrique…
Le film est entièrement articulé autour de la figure maternelle, qui entoure ses enfants d’affection, les éduque, leur forge un avenir en les maintenant dans le droit chemin. Un rôle essentiel qui est souvent payé, en retour, d’une certaine ingratitude de la part des gamins, lorsque, à l’adolescence, ils sont en quête d’émancipation.
Le jeune cinéaste a muri. Il a pris du recul sur la relation l’unissant à sa propre mère et lui rend ici le plus vibrant des hommages, à travers le personnage incarné par Anne Dorval.
Mais le film est aussi plus ample que cela. Il interroge sur la difficulté de se sentir parfaitement libre dans une société qui impose règles et normes, sur le droit à la différence, sur la complexité des rapports humains et la frontière entre les sentiments. Amour/Haine pour Steve et Diane, Amour/Amitié entre Diane et Kyla (Suzanne Clément), sa voisine, une autre figure maternelle bouleversante.
Et Mommy brille aussi par ses partis-pris esthétiques. Dolan a choisi le format atypique de l’image carrée qui lui permet d’être au plus près de ses personnages et de symboliser le carcan social dans lequel sont enfermés ses personnages. Ce dispositif offre aussi au cinéaste de jouer avec le cadre, ce qui occasionne une des scènes les plus audacieuses de l’année, que l’on préfère vous laisser découvrir par vous mêmes… Certains s’en serviront sûrement pour fustiger une mise en scène qui ne cherche qu’à épater la galerie. C’est faux. Bien sûr, Dolan sait pertinemment que ses astuces de mise en scène vont produire leur petit effet, et cela fonctionne d’ailleurs à la perfection, mais elles demeurent au service du récit et collent au propos véhiculé par le film.
La grande force de Xavier Dolan, c’est justement son audace et son aplomb. Il tente des choses que d’autres cinéastes n’osent pas, par peur du ridicule, peur des quolibets du public ou des sarcasmes des critiques. Peu de réalisateurs assumeraient cette image carrée sur la totalité d’un long-métrage, les effets de ralentis. Peu auraient osé décliner une histoire somme toute assez “banale” sur plus de deux heures. Peu auraient le cran d’utiliser des tubes de Céline Dion ou d’Oasis pour exprimer les sentiments de leurs personnages…
Ce style est parfois “borderline” – à l’image de Steve, Diane et Kyla – mais c’est ce qui rend si imprévisible et si fulgurant le cinéma du jeune prodige québécois.
Et puis, il y a sa direction d’acteurs, toujours aussi brillante. Dolan sait s’entourer d’excellents comédiens et parvient toujours à en tirer le meilleur. Il avait déjà sublimement filmé Anne Dorval et Suzanne Clément dans J’ai tué ma mère ou Laurence anyways, et il leur offre ici deux rôles magnifiques, où toutes deux ont l’occasion de montrer l’étendue de leur talent, tant dans le registre comique que dramatique. Antoine Olivier Pilon est également très bien, à la fois horripilant et touchant dans la peau de cet ado bipolaire qui a du mal à trouver sa place dans le monde.
N’en déplaise à ses détracteurs, Xavier Dolan a un talent fou et une grande intelligence artistique. S’il continue de tourner à ce rythme frénétique et qu’il poursuit sa progression, il gagnera sûrement une Palme d’Or et bien d’autres récompenses tout aussi prestigieuses. Car, nous en sommes certains, il n’a pas encore atteint le sommet de son art. Avec l’expérience et la maturité, il nous proposera des oeuvres encore plus abouties que Mommy, qui est pourtant l’un des films les plus beaux et les plus surprenants de l’année 2014.
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Mommy
Mommy
Réalisateur : Xavier Dolan
Avec : Anne Dorval, Antoine Olivier Pilon, Suzanne Clément,
Patrick Huard, Michèle Lituac, Alexandre Goyette
Origine : Québec
Genre : Maman, c’est toi la plus belle du Monde
Durée : 2h18
date de sortie France : 08/10/2014
Note : ●●●●●●
Contrepoint critique : Ecran Large
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