“Gone Girl” de David Fincher

Par Boustoune

Tiré du best-seller de Gillian Flynn (1), Gone Girl est typiquement le genre de film dont il est difficile de faire la critique tant son scénario, manipulateur à souhait, repose sur des rebondissements et des retournements de situation. Tenez, rien que de dire cela, on en dit déjà trop…

On ne dévoilera pas grand-chose en disant que le film tourne autour d’une disparition – c’est dans le titre (2). Le jour du cinquième anniversaire de son mariage avec Amy (Rosamund Pike), Nick Dunne (Ben Affleck) découvre qu’elle a disparu. Leur maison, situé dans une petite ville tranquille du Missouri, a apparemment été vandalisée et il y a, ça et là, des traces de luttes.
Enlèvement? Homicide? La police mène son enquête et réalise assez rapidement que l’image du couple heureux et uni formé par Nick et Amy n’est pas tout à fait conforme à la réalité. Elle se met à soupçonner Nick du meurtre de sa femme et cherche des preuves pouvant le compromettre.
On suit à la fois l’enquête policière, les efforts de Nick pour essayer de découvrir ce qui est arrivé à sa femme et se disculper par la même occasion, ainsi que des flashbacks où Amy écrit son journal intime, racontant d’abord les moments heureux de son couple avant de relater les moments de crise…
Voilà pour les grandes lignes. En dire plus serait risquer de gâcher le plaisir des spectateurs qui n’ont pas lu le livre.

Mais, en même temps, il est impossible de ne pas développer un peu plus. Car s’il serait criminel de dévoiler les différents rebondissements qui émaillent le récit, il serait également dommageable de réduire Gone Girl à un “simple” thriller machiavélique, ne tenant que sur des coups de théâtre bien orchestrés.
A dire vrai, on a même l’impression que David Fincher se moque totalement de cette intrigue à tiroirs. Bien sûr, il ne se prive pas de coller à la trame du roman, suffisamment solide pour servir de fil conducteur et maintenir captive l’attention des spectateurs. Mais on sent que ce n’est pas ce qui l’a motivé à faire ce film.

Peut-être a-t-il été attiré par la perspective de rendre un vibrant hommage à l’un de ses maîtres, Alfred Hitchcock. Gone Girl est en effet truffé de références aux films du “roi du suspense”. Le plan initial, où Ben Affleck observe la nuque de son épouse – une blonde… hitchcockienne – et son chignon parfait rappelle l’obsession de James Stewart pour Kim Novak dans Sueurs froides, autre film manipulateur autour d’une disparition… De nombreux plans évoquent évidemment Soupçons, dans lequel les spectateurs se demandaient si Cary Grant n’essayait pas d’assassiner son épouse. Même façon de mettre des objets en évidence, même travail autour de l’ambigüité des personnages. Fincher joue évidemment avec le thème du faux-coupable cher à Hitchcock, en se focalisant sur le personnage de Nick et ses tentatives de se disculper du meurtre de sa femme. On peut s’amuser à trouver d’autres références à L’Ombre d’un doute, Sueurs froides, Fenêtre sur cour, et surtout à Psychose, à travers de très nombreux plans, y compris une scène de douche. Là encore, difficile d’en dire plus sans risquer de livrer des clés de l’intrigue, mais l’hommage est ici manifeste, plus encore que Panic room ou The Game, deux des films les plus hitchcockiens de Fincher. En tout cas, il est clairement revendiqué de la part de l’auteure, Gillian Flynn, également scénariste du film.

Gone Girl est aussi une oeuvre qui reprend d’une façon ou d’une autre tous les thèmes et obsessions propres à David Fincher. Outre le jeu de piste manipulateur, au coeur de Seven, The Game ou Zodiac, on retrouve ici l’idée de la “maternité monstrueuse” (Alien3), l’obsession de la sécurité (Panic Room), la lutte pour le pouvoir  (The Social Network), les instincts de violence primaire qui règnent sous les apparences lisses (Fight Club), la peur d’un Mal absolu, que la police est incapable d’arrêter et d’une presse avide de sensationnalisme (Zodiac), une histoire d’amour qui évolue sur un mauvais timing (Benjamin Button), et la violence faite aux femmes (Millénium, les hommes qui n’aimaient pas les femmes).
Oui, il y a tout cela dans Gone Girl, et une vision assez désabusée de la société américaine où, derrière les façades proprettes des pavillons de banlieue ou des petites villes de province, se nouent de drôles de drames et de farouches luttes de pouvoir et d’influence.

On touche là à l’aspect le plus intéressant de cette adaptation de Gone Girl : la question de l’image et des apparences (titre français du roman, plutôt bien trouvé.
Nick et Amy ne sont pas le couple heureux et fusionnel qu’ils semblaient être. Nick n’est pas le gendre idéal qui veut tout faire pour retrouver sa femme, mais il n’est pas non plus ce type froid, incapable d’exprimer ses émotions, qu’essaient d’accabler les média, après la publication de quelques clichés malencontreux, sortis du contexte. Cela dit, il a peut-être bien tué sa femme… Ou pas…
Et cette dernière? Etait-elle aussi parfaite que cela? N’avait-elle pas des vices cachés derrière son allure altière, derrière l’image de “l’épatante Amy”, son alter-ego fictionnel, en tout point parfait, inventé par ses parents ?
Ce n’est pas nouveau, les apparences sont souvent trompeuses. Surtout dans ce genre de film qui repose sur des révélations et des retournements de situation.

Pourtant, nous vivons dans un monde où les individus vouent un véritable culte à l’image, aux apparences, à la réputation. Un monde hyperconnecté où les informations circulent rapidement et de manière virale. Un faux-pas et vous devenez un paria, honni par la société, mais avec une communication efficace, vous pouvez aussi gagner à votre cause des milliers d’individus en quelques minutes. Tout le film repose sur cette idée.
Nick voit son image publique évoluer au gré de ses interventions médiatiques, tantôt calamiteuses, tantôt brillantes. Pour lui, il est absolument vital d’obtenir le soutien de l’opinion publique. C’est sa seule échappatoire possible.
Pour survivre, ou tout simplement pour exister dans cet univers, il faut savoir jouer la comédie et se mettre en scène. C’est ce qui permet de garder la maîtrise de son image, de contrôler les apparences. En bref, de détenir le pouvoir.
La déliquescence du couple formé par Nick et Amy tient essentiellement au fait que chacun a essayé de façonner l’Autre selon ses désirs, l’enfermant dans une image, un cliché, un stéréotype qui ne reflète pas leur vraie personnalité ou leur vraie nature. En filigrane, les auteurs évoquent aussi l’hypocrisie de l’American Way of life, qui essaie de cacher, derrière l’icône de la famille de banlieusards souriants, une société violente et perverse.

Avec Gone Girl, Fincher, souvent inspiré, s’amuse à mettre en scène cette gigantesque mise en scène, cette comédie des apparences. Il décortique les rouages du jeu médiatique et ceux du jeu de piste qui doit conduire les personnages à la vérité, ou du moins à “une” vérité.
D’aucuns trouveront peut-être, et sans doute à raison, qu’il ne s’agit pas du meilleur film de David Fincher. Mais ce long-métrage n’en est pas moins brillant. Finement orchestré, thématiquement riche, il s’inscrit parfaitement dans la filmographie du cinéaste américain. Et il offre au passage de très beaux rôles à Ben Affleck et Rosamund Pike. Lui, impeccable en mari ambigu. Elle, formidable de présence à l’écran, ce qui, vous l’avouerez, est un comble pour une “disparue”…

(1) : “Les Apparences” de Gillian Flynn – éd. Sonatine
(2) : Pour les non-anglophones, “gone girl” signifie “La fille disparue”.

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Gone Girl
Gone Girl

Réalisateur : David Fincher
Avec : Rosamund Pike, Ben Affleck, Neil Patrick Harris, Tyler Perry, Carrie Coon, Kim Dickens, Patrick Fugit
Origine : Etats-Unis
Genre : mise en scène manipulatrice
Durée : 2h29
date de sortie France : 08/10/2014
Note :
Contrepoint critique : GQ

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