Dans un cinéma français morose, qui ne propose que de l’adaptation de BD à la mode, de la comédie « bobo » peu intéressante et mal fagotée où tous les individus, quelque soit leurs origines, sont des crétins finis, ou un regard sur les écarts entre les différentes classes sociales, le tout cadré avec l’aisance d’un film diffusé sur TF1 l’après-midi, on a le droit à quelques surprises tout de même. Bande de Filles, réalisé par la pétillante Céline Sciamma, fait partie de la deuxième catégorie. Bien qu’il n’a rien de franchement neuf à offrir sous son capot, avec sa banlieue, ses codes d’honneur, ses dialectes originaux et ses amitiés toujours sur le fil du rasoir, sa petite bande a le mérite de nous émouvoir, et de capter un cinéma de qualité et une patte moderne en terme de mise en scène qui nous accroche du début à la fin, ce à quoi on n’a pas forcément le droit tous les jours, n’est-ce pas messieurs Éric Toledano et Olivier Nakache…
L’histoire du film se résume plutôt simplement: Marieme, jeune collégienne en quête d’identité et attachée fermement à sa famille, devient amie avec des filles qu’elle a connues simplement en traversant la rue et en se faisant agresser verbalement par elles-mêmes. Ces trois jeunes femmes la rebaptisent Vic, abréviation de « Victoire » pour que cet enfant de 16 ans s’affirme enfin en tant que personne libre de penser et de faire ce qu’elle veut. De ce postulat-là, sa vie, son statut de femme et ses plans de carrière en seront changés à jamais. Ne vous bloquez pas sur les clichés: ceux-ci n’aspirent qu’à la construction de l’identité de cette fille a priori lambda dans la cité, et ce choix de mettre au premier plan uniquement des gens de couleur noire n’est qu’un parti-pris pour montrer au public, d’après la réalisatrice elle-même qu’il n’existe que trop peu d’acteurs noirs dans notre paysage cinématographique. En fait, une seule citation est à mettre à l’ordre du film: « on n’a rien sans rien, on n’est rien sans rien ». Et ça, Céline Sciamma l’a compris. En amenant son personnage à faire des choix dans chacun des chapitres qu’elle met en scène, elle permet au spectateur de vouloir imaginer ce qui aurait pu se passer si elle avait finalement choisi une autre solution, nous mettant sans cesse dans le doute et dans l’imagination. Seul véritable hic scénaristique, ces fragments de vie ont tout de même déjà été explorés par de nombreux réalisateurs, mais rien de bien grave puisque lui ne sombre pas dans le cliché bête et méchant.
Sa femme forte, Céline Sciamma la travaille sans cesse, lui en faisant voir de toutes les couleurs. Se définissant elle-même comme une « cinéaste de portrait », comme Abdellatif Kechiche – bien que le travail de fond soit relativement différent entre leurs deux derniers films, elle parvient à familiariser le spectateur avec « Vic » en un seul regard, en un seul gros plan. Et c’est à partir de ce choix de dispositif que l’on rentre dans l’intimité de cette jeune femme, qui va connaitre les boires et les déboires, les bonheurs et les malheurs, et nous avec elle. La palette de couleurs, parfois stylisés – notamment la couleur bleue, symbole de l’expression « comme dans un rêve » comme dans ses deux précédents longs-métrages Tomboy et Naissance des Pieuvres, pour capter l’onirisme des beaux moments de la vie de cette fille – parfois justement empreintes de couleurs naturelles pour faire ressentir la vraie banlieue parisienne, nous permet de nous identifier encore plus à elle, et par chance, c’est vraiment réussi.
La vie, l’amour, les rires (idéalement retransmis par ces situations de décalages créés par les cadres; ou par les improvisations de ces nouvelles actrices, toutes aussi excellentes les unes que les autres), les pleurs, sont ressentis en chacun de nous, et c’est ce qui fait la beauté de ce long-métrage… Le montage du film, qui chapitre le long selon les choix que le personnage principal a pu faire auparavant, est excellent et offre vraiment la sensation d’assister à des fragments de vie importants. La musique électronique composée pour le film, à la texture à la fois sauvage et poétique donne parfois l’impression de tomber dans l’atmosphère « clipesque », mais attire agréablement l’œil et nous attache encore plus aux personnages (notamment dans une scène, drôle, touchante et sincère, éclairée magnifiquement bien aux néons bleus, qui à elle seule vaut le détour). Les ruptures de paroles, alternées à la musique, insufflent une légèreté et une puissance lyrique à l’imagerie de la réalisatrice. Cela nous rappelle un petit peu le cinéma de Xavier Dolan, qui fait exploser toutes ses figures de style en une scène, pensée par rapport à une simple musique.
En clair, courez voir Bande de Filles, film très humain, poétique, dur quand il le faut, et au regard juste sur une adolescence féminine en quête de repères et de reconnaissance dans un monde difficile dominé par la gente masculine. À noter la réalisation excellente de Céline Sciamma et un important travail de son qui vaut tout l’or du monde. Il est très difficile de raconter un film de ce genre, il faut juste le voir… pour le percevoir.