Le sens de la vie.
The Barber est un de ces récits cosmiques déifier par les frères Coen, une nouvelle torpeur kafkaïenne qui se drape cette fois des couleurs du polar de l’âge d’or hollywoodien réveillées de manière somptueuse par le chef opérateur Roger Deakins. Occupant le deuxième fauteuil dans le salon de coiffure de son beau-frère, Ed Crane mène une existence morne et monochrome, posant un regard hermétique sur son existence au point de se laisser succomber à la tentation absurde du nettoyage à sec par un bonimenteur uranien moyennant un petit apport financier. Piano, la sonate du chantage et du meurtre ouvre à son pommadier autant de porte qu’il lui en referme, le liant irrémédiablement à cette lame qui vient faucher les deux sèches cubaines dont l’appellation évoque les amants maudits du théâtre Shakespearien. Bien que l’on pénètre en terrain connu pour qui est familier du cinéma des frangins, toute la beauté de cette puissante tragédie noire réside dans cette existence semée d’indices dont les personnages ne saisissent pas immédiatement le sens. Plus que jamais, les deux cinéastes nourrissent leur obsession pour cette distance qui sépare les humains des signes de leur destin. « Plus on regarde, moins tout cela a de sens » déclare le célèbre Riedenschneider lors du grand cirque qu’il anime devant les jurées. Il n’a pas tout à fait tort. Une fois arrivée devant ce palier qui nous conduira de l’autre côté, les instantanées nous révèlent cette vue d’ensemble que l’on ignorait jusqu’alors, permettant de comprendre comment, pas à pas, nous sommes arrivées là où nous nous trouvons. Cette singulière marche vers la lumière se fait lancinante mais fascinante, hypnotique, pleine de poésie et de réflexions tragiques sur l’impuissance de l’être déclamé par les rocailleuses cordes d’harmonie de Billy Bob Thornton. Par son seul regard et sa seule silhouette, leptosome et sèche, l’acteur parvient à donner une présence à cette ombre vaporeuse cherchant une réponse divine dans le ciel couvrant son labyrinthe. The Barber est ainsi un objet merveilleux qui n’a malheureusement pas rencontré le succès, ni même la reconnaissance qu’ont connu les précédents films des Coen. À juste titre, il propose une expérience singulière, moins immédiate, plus exigeante. Il est un de ces astres discrets qui se rappellent à nous lorsque le voile de la nuit enfin posé révèle la toute puissance de son éclat. (5/5)
The Man Who Wasn’t There (États-Unis, 2001). Durée : 1h56. Réalisation : Joel Coen, Ethan Coen. Scénario : Joel Coen, Ethan Coen. Image : Roger Deakins. Montage : Joel Coen, Ethan Coen, Tricia Cooke. Musique : Carter Burwell. Distribution : Billy Bob Thornton (Ed Crane), Frances McDormand (Doris Crane), James Gandolfini (Big Dave), Jon Polito (Creighton Tolliver), Tony Shalhoub (Freddy Riedenschneider), Michael Badalucco (Frank), Richard Jenkins (Walter Abundas), Scarlett Johansson (Birdy Abundas).