Le Corum, Opéra Berlioz. 20h15.
J’assiste à l’ouverture du 36ème Festival du Cinéma Méditerranéen de Montpellier, Cinémed.
La salle est immense. Les balcons sont imposants et les spots scintillent. Les discussions s’accumulent, se mêlent les unes aux autres, face à l’immense écran blanc. Les sourires, les yeux brillants et les airs impatients tourbillonnent autour de moi. Mon cœur s’affole. Dans quelques instants, la cérémonie d’ouverture va commencer. Dans ce temple du partage. Si beau. Si grandiose. Pour rendre hommage au cinéma, cet art intemporel, si vivant.
J’observe partout, autour de moi. Mes prunelles s’arrêtent sur une jeune femme, un peu plus haut. Sachant qu’une journée spéciale est consacrée à Leila Behkti, j’émets un doute. Ça peut être elle. Puis, le volume des rumeurs augmente, sur ma gauche. Je pivote. Et je comprends pourquoi. La personnalité tant attendue de la soirée vient d’arriver. C’est Mélanie Laurent. Je reconnais aussi une jeune femme, à ses côtés. Je l’associe rapidement à un film, Neuilly Sa Mère. Elle jouait l’amoureuse du petit Sami. Elle est là ce soir. Que c’est drôle ! Je ne m’y attendais pas, car je ne me suis pas renseignée sur le film de la réalisatrice française. J’aime quand la découverte est complète. Je préfère ne rien savoir de l’histoire ou des acteurs, et ne pas être dans l’attente d’une réplique issue de la bande-annonce.
Je regarde de nouveau le fascinant plafond. Les lumières m’émerveillent. Elle sont telles des étoiles bienveillantes. Les autres spectateurs, eux, sont fascinées par d’autres étoiles. Les “stars”. Il ne quittent pas des yeux les invitées, les photographient, les filment. Mais ce sont des êtres humains comme nous autres, voyons ! Le tumulte cesse quand la cérémonie commence.
Jean-François Bourgeot, le directeur du festival s’avance sur la grande estrade. J’ai de la chance d’être dans les premiers rangs. De ma place, je peux être à la fois aussi proche du public que de l’écran, du cinéma. Et c’est magique.
Un discours sincère, humain et passionné ouvre la soirée. Je souris, je filme. Un peu. Monsieur Bourgeot se marie bien au décor, et il sait parler au public. A cette foule si dense, à cette masse de personnes de tous âges. Je ne cesse de cligner des yeux. Car la simplicité, l’ambiance bon enfant sont au rendez-vous. Et cela me plaît. Tellement. Le directeur salue quelques réalisateurs méditerranéens, marocains ou algériens. Ils sont accueillis avec chaleur. Les applaudissements fusent. Les “olé” aussi. Tradition de Cinémed, à l’en croire. On applaudit tout le temps. En rythme. Ensemble. Et c’est incroyablement joyeux.
Jean-François Bourgeot demande aux nombreux spectateurs de faire une ovation pour Leïla Behkti, l’invitée d’honneur de cette année. Une actrice au parcours remarquable. Une femme du Sud, rayonnante, chaleureuse, solaire.
C’est à elle que le directeur du festival confie la lourde tâche de déclarer officiellement ouverte la manifestation. L’actrice, un peu maladroite, bute un peu sur les mots, oublie son texte, doit s’y prendre à deux fois. Mais tout le monde lui pardonne volontiers, tant elle est pétillante et charmante.
La foule l’acclame. Elle reprend place au milieu des autres spectateurs. Les curieux ne peuvent se retenir de la scruter. Certains prennent même le risque de se tordre le cou pour mieux l’apercevoir.
Bourgeot, lui, enchaîne avec la présentation du court-métrage présenté en première partie. C’est un court-métrage portugais. Miami de Simao Cayatte. J’ignore pourquoi, mais j’ai un excellent pressentiment.
Les lumières s’estompent. Je regarde pour la énième fois le plafond étincelant, les centaines de visages. Puis, le noir me plonge dans cet état d’hypnose que seul le cinéma provoque. Cet entre-deux entre le sommeil et l’éveil, entre l’onirisme et la réalité.
Le film commence. Il nous présente une jeune adolescente qui ne rêve que d’une chose : devenir célèbre. La caméra est près, très près de cette jeune fille, belle et timide, aux grands yeux et à la bouche pulpeuse. Elle crève l’écran. Elle est une star sans le savoir pour nous, spectateurs. Mais pas pour ceux qui sont chargés de l’évaluer. Elle échoue lamentablement à son audition.
A partir de là, le personnage s’empêtre dans le mensonge. Elle n’a pas réussi son casting et pourtant elle dit l’inverse à ses amis. Et elle se fait des films. Face à son miroir, elle parle. « Entre les fêtes et les interviews, je suis très occupée. »
C’est une fille fragile, solitaire que suit la caméra de Cayatte. Sa mise en scène est articulée autour de plans d’une douceur et d’un réalisme saisissants, s’attardant sur des détails – les affiches dans la chambre de l’adolescente, la bouteille de jus de fruits sur le meuble de la cuisine ou encore, les cahiers de classe sur le bureau… – pour mieux trancher avec l’univers dans lequel évolue a jeune fille, centrée sur elle-même et déconnectée de la réalité. Le travail sur le son, maîtrisé, et l’utilisation d’effets de flou permettent de montrer cela. Parfois, la vie réelle semble lointaine au personnage. Et à nous aussi. La caméra ne la lâche pas. Et nous ne la lâchons pas. Nous suivons cette petite princesse aux illusions perdues dans la rue, chez elle, au collège, partout. Il n’y a pas d’échappatoire.
Être célèbre est son souhait le plus cher. Mais comment faire ? Un soir, une de ses copines lui donne une idée. Une terrible idée. Une mauvaise graine commence à germer dans l’esprit de notre personnage. Rapidement, inéluctablement. Bientôt, la victime est choisie. Le poison, préparé. La potion magique pour atteindre la célébrité est prête.
Même quand elle s’embarque dans ce parcours criminel, Cayatte filme toujours l’adolescente au plus près. Sans complaisance, sans sensationnalisme, avec une infinie pudeur. Il la suit jusqu’au bout. Jusqu’à la voiture de police qui doit l’emmener vers son destin. Les flashes fusent. Partout. Face à elle. Puis face à la caméra. Face à nous. Nous sommes aveuglés, autant que la coupable du meurtre. La jeune femme s’en veut. Elle se sent très mal. Mais en même temps, elle a ce qu’elle voulait. En commettant le plus horrible des crimes, elle se retrouve sous les projeteurs. Elle devient célèbre. Connue et reconnue.
Le dernier plan est fulgurant. Le temps se fige. Les images au ralenti s’imposent. Elle sourit. Comme une princesse, comme une égérie, comme une star. Elle marche vers nous lentement, rayonnante, triomphante, malgré sa culpabilité.
Le noir. Le générique. Mon esprit est embrumé. Les larmes perlent aux coins des yeux.
Film poignant, film pur, film vivant. Film humain. Intense et marquant.
A peine ai-je le temps de recouvrer ma sérénité que le directeur du festival nous demande d’acclamer les grandes invitées de la soirée : Mélanie Laurent, réalisatrice de Respire, et ses deux actrices, Lou de Laâge et Joséphine Japy. Un beau trio féminin, accompagné du producteur, Bruno Lévy.
Elles sont magnifiques toutes les trois. Souriantes, émues, timides. Touchantes. Mélanie Laurent nous offre quelques anecdotes sur son film, avec sincérité. Ses yeux brillent, elle est un peu gênée. De même pour ses actrices, qui n’osent ou ne veulent pas parler, et qui ne savent que faire, à part être éblouies, émerveillées par l’immensité des lieux. Et par la vaste foule qui est venue à leur rencontre, ce soir.
Je filme. J’essaie de capter l’essence de ce que je vois. Mais je ne regarde pas dans mon viseur. Je fais confiance à mon instinct. Je préfère partager un moment de cinéma directement. Sans intermédiaire. Le trio est à quelques mètres de moi. Et cela me donne des frissons. Parce qu’à elles trois, elles incarnent la joie, la grâce. Et le respect.
Les applaudissements affluent, encore. Et le noir nous happe de nouveau. Le film commence.
C’est l’histoire de Charlène, dite Charlie (Joséphine Japy), une adolescente de 17 ans. Elle a le baccalauréat à préparer. Mais aussi les tracas du quotidien à gérer, notamment la séparation de ses parents, instables. Timide et fragile, la jeune femme profite tout de même de la vie. Elle aime apprendre, elle aime faire la fête. Elle vit sa dernière année de lycée pleinement, simplement, s’efforçant de mettre de côté les moments difficiles.
Un jour, au beau milieu d’un cours. La porte s’ouvre. Une nouvelle élève arrive. Elle s’appelle Sarah (Lou de Laâge). Belle, drôle, lumineuse. Une star. Elle fascine immédiatement Charlie. Et Charlie plaît immédiatement à Sarah. C’est le début d’une amitié. Une rencontre qui bouleverse l’existence.
Là, tout de suite, au moment où j’écris ces lignes, les idées fusent. L’émotion me gagne. Je ne sais par où commencer. Ce film, si complet, si riche et si pur, si réaliste me fait perdre les mots. Les bons mots. Ceux qui disent les choses, les sentiments, les regards, la féminité, les rires, les pleurs, les moments de bonheur, les secrets, les étreintes, les disputes, les cris, les souffles… Il faut que je… je…
Respire…
Mettre des mots sur un tel chef d’oeuvre me torture. Parce que le travail de Mélanie Laurent et de toute son équipe est tellement abouti, tellement sincère et tellement riche que je ne sais comment aborder les choses. Evoquer les cadrages sublimes, proches de ces adolescents en quête d’eux mêmes, ou le travail incroyable sur le son, nous plongeant dans une intériorité unique, celle de Charlie ? Je l’ignore. Tout se bouscule, dans ma tête.
Les rires. Les pleurs. Les câlins. Les coups bas. La haine. Les accessoires de mode, la fumée des cigarettes. Les couleurs. Les flous. Les ralentis. Tout.
Respire…
Tout se mélange. Mes mains hésitent, sur le clavier. S’arrêtent, reprennent. Parce que ce long métrage est extraordinaire. Par sa force. Sa sincérité.
Elle ose, Mélanie Laurent, dans ce film. Elle ose beaucoup. Elle met en scène l’impensable, la douleur, la gaieté, les pleurs, la rancoeur, le silence. Et elle réussit tout. Son entreprise est sans aucune faute.
La cinéaste ne juge pas ses personnages. Elle les observe à bonne distance, comme cela doit être. Avec humour, avec tendresse, avec maturité, avec humanité. Elle les suit. Partout. En soirée, en cours, dans le noir, aux toilettes, à table, au lit… Tout le temps.
Le film n’est pas long. Mais son traitement du temps, lui, chamboule nos codes. Mes codes. Les instants sont vécus, un à un. Parfois, ils s’écoulent vite, parfois ils s’éternisent. Cela confère au film une certaine tension, propice aux éclats de rage comme aux éclats de joie.
Durant la projection, mes larmes sont nombreuses, mes yeux rougissent sous les assauts d’émotions successifs. Mais je ris aussi beaucoup. Avec le public, chaleureux et vivant. Nous voyons le film ensemble. Tous ensemble. Et cette salle titanesque décuple les rires. Décuple les émotions. Le film vit, avec nous. Et nous, nous vivons avec lui. Avec Charlie, Sarah et les autres.
Les deux personnages principaux envoûtent, charment et émeuvent. Terriblement
Joséphine Japy et Lou de Laâge sont extrêmement crédibles. Touchantes. Vraies. Elles donnent chair à ces deux adolescentes, leur confèrent toute leur complexité,toute leur densité. On a l’impression qu’elles ne jouent pas, qu’elles sont vraiment Sarah et Charlie.
On croit à leur complicité comme on croit, ensuite, à leur antagonisme. Ces deux bouts de femmes sont comme le feu et la glace. A un moment, il est évident que les éléments vont se confronter. Et cela va mal se passer, pour l’une comme pour l’autre.
Le récit est davantage centré sur Charlène, la jeune fille douce, très calme, qui se retrouve confrontée au doute, à la haine, aux remords. Elle encaisse, se tait, ne bronche pas. Elle ne vit plus, s’abandonne. Elle devient une bombe à retardement, prête à exploser à tout moment. Comme lors de cette scène de course à pied ou elle où elle force un peu trop. Sujette à l’asthme, elle finit par s’écrouler. Respirer devient dur. Très dur. Les souffles nous assourdissent. Nous enveloppent. Va-t-elle s’en remettre ? Oui ? Non ?
Moi aussi je suffoque et je tremble, lors de l’ultime scène du film. Les larmes brouillent ma vue. Comme Charlie, je tente de reprendre mon souffle et mes esprits. Les ondes de frissons me parcourent de haut en bas. Tout éclate, dans ma tête. Les plans picturaux, les instants de vie, les couleurs pures. Tout.
Puis, le noir. Une fois de plus. Et je sanglote à chaudes larmes. Je pleure, encore et encore. Je n’arrive pas à applaudir. Je n’y arrive vraiment pas. Mais le cœur y est. Plus que tout.
La lumière revient peu à peu. Avec Jean-François Bourgeot, Mélanie Laurent, Lou de Laâge et Jospéhine Delpy devant nous. Face à ma caméra tremblante. J’ignore pourquoi je filme. Car je ne sais même pas ce que je filme. Mais mon cœur bat très fort. Cogne contre ma poitrine. L’ovation est incroyable. Et les yeux de la réalisatrice brillent aussi très fort.
L’Emotion…
Le public a été touché par le film. Et ce trio de femmes magnifiques est touché par l’accueil du public. Le partage se passe de mot. Il se vit, là. Dans l’instant. Je me lève enfin. Comme les autres. Pour applaudir. Avec chaleur. L’ovation se poursuit. Elle semble infinie.
Je n’arrive pas à me calmer. Ce film est véritablement grandiose. Il a percuté mon âme sans relai. Et ces trois étoiles du cinéma français m’ont touchée en plein cœur. Elles planent au-dessus de moi, tels les spots de ce magnifique plafond, que je ne me lasse pas d’admirer.
Je m’en veux de ne pas plus développer ce texte. Ecrire sur Respire me prendrait des heures. J’aurais tant de choses à en dire. Mais en même temps, c’est un mal pour un bien. Les futurs spectateurs doivent découvrir l’oeuvre par eux-mêmes. La vivre et se laisser à leur tour submerger par l’émotion.
Miami, Respire… Ces deux films étaient faits pour être vus ensemble. Bravo aux organisateurs qui ont eu l’idée brillante de les associer au sein du même programme. La soirée a été extraordinaire, prometteuse pour la suite du festival.
Cinémed m’a ouvert ses portes. J’ai franchi le seuil. Avec amour du cinéma. Avec amour de la vie. Et je n’ai pas été déçue.
J’ai envie de dire merci. Merci au personnel du cinéma, aux organisateurs, au public chaleureux, vivant, aux invitées, magnifiques. Merci à Cinémed. Merci à la vie, au monde. Merci au cinéma, qui procure ces émotions inoubliables.