Retour de Martin Scorsese dans le culte du dimanche. Non, pas pour un film de mafia, mais pour son film qui a créé le plus de controverse puis qu’il s’intéresse de plus près à la religion avec La Dernière Tentation du Christ.
Depuis ses premiers films, la religion a toujours tenu une place plus ou moins importante dans ses films. Que ce soit à travers des personnages qui viennent régulièrement se confesser o à travers des figures tourmentées et héroïques qu’il peut regarder comme des prophètes, des héros qui ont accompli une certaine résurrection. Et justement, après une période difficile et une remise sur pied grâce à Robert DeNiro et Raging Bull, Scorsese se sent d’attaque pour embrasser le sujet de la religion à bras le corps à travers un film dédié au Christ. Et dès 1983 il pense justement à adapter le roman de Nikos Kazantzakis, la Dernière Tentation du Christ. L’ouvrage avait fait polémique à sa sortie car sortant de ce que racontent les évangiles « officielles» , il en sera de même pour l’adaptation avant même que la moindre image n’en soit tournée.
Car si Scorsese commence à réfléchir à l’adaptation du livre au début des années 80, il va entre temps proposer des films comme After Hours ou La Couleur de l’argent, si bien que ce n’est qu’en 1987 qu’il commence à tourner le film avec Willem Dafoe dans le rôle principal et retrouvant Harvey Keitel pour une 5e collaboration, plus de 10 ans après Taxi Driver. La Dernière Tentation du Christ revient donc sur les derniers instant du prophète fils de Dieu avec des épisodes attendus et redoutés comme la cène, la trahison de Judas, la rencontre avec Ponce Pilate et bien entendu l’horrible crucifixion et mort qui permettra de laver tous les péchés.
Mais à ces scènes, l‘auteur et le réalisateur ajoutent leur propre interprétation rendant le personnage du Christ beaucoup plus humain que ce qui a été décrit. Le Christ est ici un homme avec des dons mais qui doute énormément de sa mission, qui cherche même à y échapper. Et dans ce sens, sa dernière tentation sera d’échapper à la crucifixion et de mener une vie normale. Une vie qui lui sera montrée par Satan où il finira vieux patriarche avant de renoncer à cette tentation pour aller au bout de son sacrifice. En ramenant le Christ à ce statut d’homme faillible avec une mission qui le dépasse, il s’éloigne, certes, des écrits sacrés, mais il permet surtout à tout le monde de mieux pouvoir s’identifier à lui et de mieux comprendre sa mission. Cela ne déshonore pas le personnage, mais au contraire l’ancre dans notre monde moderne où les années 80 sont plus sombres et où l’on a besoin de repères.
L’autre grande trahison aux écrits est la réhabilitation de Judas qui est ici le plus proche apôtre de Jesus, recueillant ses confidences, parmi lesquelles la demande de Jésus de le trahir afin qu’il puisse accomplir sa mission. Un rôle qui remet alors en cause certaines visions et c’est surtout dans cet aspect que l’on peut comprendre les réactions des croyants.
Martin Scorsese nous offre donc un film profondément humain, qui n’évite pas quelques longueurs mais dont la mise en scène, parfois moderne, parfois plus théâtrale est toute au service de sa réflexion sur la religion et au service des prestations de ses acteurs. Car Willem Dafoe y est ici particulièrement habité, faisant tout ce qu’il peut pour montrer les failles de son personnages et ses doutes. Il reflète alors tout ce que se représente Scorsese sur la religion à une échelle humaine et, finalement, s’inscrit parfaitement dans la lignée des autres personnages perturbés mis en scène par le réalisateur. Si certains se demandaient ce qui prenait au roi du film de mafia de réaliser un film sur la religion, la démarche tombe pourtant sous le sens dès que l’on connait un peu sa filmographie, ses convictions et ses personnages.
Pourtant l’église ne la pas vu comme cela. Des pétitions et manifestations pour protester contre le film se sont étendues de sa mise en chantier jusqu’à sa sortie en salles. Des cinémas diffusant le film seront même incendiés en France par des groupes catholiques alors qu’il sera interdit de diffusion dans certains pays (c’est toujours le cas aux Philippines). Qu’a cela ne tienne, le film a été maintenu, et si il est très loin d’être l’un des grands succès de Martin Scorsese, il est tout de même l’une de ses réflexions les plus passionnantes à regarder avant de se tourner à nouveau vers la mafia avec Les Affranchis.