Les premiers pas de scénariste de Loïc Belland

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Comment devient-on scénariste en France? C’est sans conteste la première question que se posent les aspirants auteurs mais il existe autant de réponses que de parcours individuels. Bien des chemins, plus ou moins chaotiques, mènent au scénario sur notre sol et si la naissance du CEEA, du département écriture de la Fémis et de plusieurs cursus universitaires modifient progressivement la donne, les quelques cinq cent scénaristes professionnels actuellement en activité viennent d’horizon divers.

Je vous propose donc de laisser la parole à quelques un(e)s de mes consoeurs et confrères afin qu’ils nous racontent comment ils ont débuté leur carrière. Nouveau chapitre de cette série de témoignages en compagnie de mon confrère Loïc Belland, scénariste et directeur de collection.

Loïc Belland, qui nous a déjà ouvert les portes de son bureau,  est scénariste de télévision et directeur de collection. Il a créé la série Vice-versa et notamment officié sur Trois pères à la maisonPère et MaireR.I.S. Police ScientifiqueMême âge, même adresse

Imaginais-tu, adolescent ou jeune adulte, que l’écriture puisse devenir un métier ?

Enfant, j’aimais déjà raconter des histoires avec des figurines. Elles se déroulaient parfois en plusieurs parties, une dizaine de héros faisait l’objet de séries qui se poursuivaient au gré de mes envies du jour. Feuilleton le plus long : « la valise » ou l’histoire d’un mec qui se retrouvait avec une valise d’agent secret dans les pattes et qui était poursuivi par une bande de tueurs. Et le plus traumatisant pour ma sœur, spectatrice assidue ? La dernière histoire avec la mort (dans le « finale ») du héros alors marié à la guest star Barbie. Cette créativité enfantine était malheureusement freinée par le beau temps qui m’obligeait à sortir sur ordre parental. Après avoir vainement tenté de faire pleuvoir à la demande, j’ai du me rendre à l’évidence. Parfois il faisait beau et je n’y pouvais rien!

En grandissant, j’ai fini par délaisser les jouets pour raconter mes histoires sur le papier. Encouragé par une prof de français en 3ème, je  laissais libre cours à mon imagination et rendais des rédactions dans lesquelles des extra-terrestres débarquaient, un tueur harcelait une balance de la mafia pour le forcer à se suicider ou une résistante se rendait compte avec horreur qu’elle travaillait en fait pour les nazis.

La prof lisait mes rédacs en classe. Ce qui était une épreuve pour mon moi timide. Mais c’était au moins une première façon de partager avec un « public » les histoires qui me trottaient dans la tête. Je n’ai pas voulu faire d’études littéraires. Je ne me voyais pas devenir prof (c’était la « réputation » de la filière). Et je ne pensais pas à ce stade que l’écriture pourrait me faire vivre.

Le métier de scénariste était-il ton premier choix de carrière ?

Je rêvais plutôt de cinéma. Réalisateur-auteur, bien entendu. Le miroir aux alouettes. Le prestige du 7ème art. Je bouffais du cinéma, 4/5 films par semaine. J’imaginais des sagas, bandes annonces comprises. Mes rêves, la nuit, avaient même un générique. C’est dire à quel point j’étais atteint. Mais j’étais aussi quelqu’un de prudent. Du coup, j’ai fait un deug de sciences et structures de la matière.  Pour avoir un bagage de secours. Au cas où. Puis j’ai enchaîné avec ce qui m’intéressait réellement : une maîtrise d’audiovisuel. En fac. Peu de moyens et de pratiques donc, beaucoup de théories. Un vague cours de scénario.  De réalisation.

Avec des potes, j’ai créé en parallèle une boîte de prod de courts-métrages. Quoi de mieux que d’apprendre sur le tas? On a acheté du matériel, on a tourné des films institutionnels et mis de l’argent de côté pour produire de la fiction.  Malheureusement tout partait en frais de fonctionnement. On a donc décidé de fermer la société au bout de trois ans. On apprend aussi beaucoup de ses échecs.

Quel a été ton parcours avant de devenir scénariste ?

Tout en suivant mes études, j’ai eu la chance de pouvoir vivre ma passion du cinéma  à travers l’animation et la rédaction d’émissions  sur diverses radios associatives. Il y avait des critiques de films bien entendu. Mais beaucoup de dossiers et d’interviews également. J’ai pu ainsi rencontrer de nombreux  « professionnels de la profession ». Pas seulement des acteurs et réalisateurs, je m’intéressais aussi au compositeur de la musique, au monteur, au distributeur, à l’exploitant… Tous ces intervenants qu’on connait moins. L’envers du décor. Puis j’ai écrit plusieurs articles – sur Tim Burton, notamment -pour une revue mensuelle Cinémascope, aujourd’hui disparue.

A la fin de mes études, personne ne venant me chercher pour me confier la réalisation d’un super Blade Runner à la française, il a bien fallu trouver du boulot.

J’ai passé différentes épreuves de sélection pour  rejoindre l’équipe de « Spectacle » une chaine de c+ spécialisée dans le culturel. J’avais la responsabilité éditoriale de deux émissions hebdos : une sur le multimédia (jeux vidéo, les débuts d’internet, le ludo-éducatif…), l’autre sur le spectacle vivant. Il fallait écrire les plateaux pour l’animateur, choisir les sujets, les tourner, interviewer les gens, diriger le monteur, mettre en scène l’animateur dans des petites séquences à effets spéciaux… Très formateur, éclectique, passionnant et surtout très… stressant. Chaque semaine, une course contre la montre pour respecter les deadlines.

Même si jusqu’ici c’était bien une forme d’écriture qui me faisait vivre, il me manquait quand même l’essentiel : la fiction. Ce rêve de cinéma que je n’avais pas oublié. Et qui a juste un peu évolué. A la télé, c’était le début des séries américaines qui ont révolutionné le genre et je me suis dit qu’il existait une autre voie que le cinéma pour étancher ma soif de raconter des histoires. Car il faut bien avouer que ces séries m’apportaient bien plus d’émotions que de nombreux films. D’où le déclic. Je n’étais pas obligé de réaliser, je pouvais aussi être simplement scénariste. Agir sur une intrigue, sur des personnages. Pour le petit écran. Là où je pourrais toucher plusieurs millions de téléspectateurs d’un coup et non pas 100.000 avec un film dans trois salles obscures, balayé au bout de deux semaines d’exclusivité. Qu’importe la gloire, mon envie, c’était de partager avant tout.

J’ai donc quitté Spectacle, me donnant un an pour devenir scénariste, tout en travaillant en free-lance pour des boîtes de jeux vidéos (reportages institutionnels, écriture de manuels…). Prudent, j’avais quand même mis de l’argent de côté pour pouvoir couvrir mes dépenses en cas de coup dur.

As-tu étudié la dramaturgie et par quel biais ?

A la fac donc comme je le disais, et surtout sur le tas, en écrivant et réécrivant beaucoup.  En décortiquant des scénarios de films aussi. Et en lisant les  quelques bouquins qui existaient sur le sujet.

As-tu lu des ouvrages traitant de la dramaturgie ?

Le dernier et plus récent, c’est l’anatomie du scénario, de Truby. Mais avant il y a eu Faire d’un bon scénario un scénario formidable  de Linda Seger et Brigitte Gauthier ou encore L’écriture du scénario  d’Antonio Cucca et Paola Foti. C’est avant tout pour avoir une base, des références, des points d’ancrage qui aident quand on débute. Mais on apprend aussi vite à les oublier. Il n’y a pas de recettes à appliquer à la lettre. C’est à chacun de trouver son style.  Il faut savoir s’adapter et inventer sa propre méthode.

Ton entourage a-t-il soutenu ce choix ?

Non, pas particulièrement. Mais il ne m’a pas mis de bâton dans les roues non plus. Ce qui n’était déjà pas si mal.

Quel a été ton tout premier engagement ?

J’ai donc commencé – après avoir quitté Spectacle – à chercher un boulot de scénariste. J’ai épluché les annuaires de boites de productions, en relevant les noms des directeurs littéraires et j’ai envoyé une lettre de présentation et des textes, des bibles/projets que j’avais écrits. Par email beaucoup. Par courrier parfois. Le directeur du développement d’une petite société (Praxinos, devenue Pictor Média) qui débutait a accroché à mon univers et a promis de me rappeler quand il aurait une série en route.

J’ai eu de la chance : il a tenu parole. J’ai passé un test et il m’a engagé sur ma 1ère série, de l’animation, Les Zooriginaux pour M6.  Ensuite, on a bossé sur plusieurs séries d’animation ensemble jusqu’à ce qu’il me demande une idée pour une série « live » (avec des acteurs en chair et en os) pour ados. On a gagné Pygmalion (un programme d’aide européen) avec Vice-Versa qui a été diffusée sur France 2 durant deux saisons.

Ensuite, j’ai rencontré des gens de Canal + ID (une structure qui prenait sous son aile de jeunes auteurs) parce qu’ils avaient aimé le spéculatif de Seinfeld que je leur avais envoyé. Ils m’ont donné une bourse pendant cinq mois pour que je réfléchisse à des projets avec eux, m’ont fait contacter un directeur littéraire chez Pathé Télévision qui m’a optionné trois projets. Aucun n’a vu le jour finalement, mais ça a fait boule de neige. Car toutes les personnes que j’ai connues à Pathé ont fait appel à moi quand elles ont -plus tard- rejoint d’autres sociétés de prod.

Comment as-tu rencontré ton agent ?

J’ai rencontré Lise Arif grâce à un autre directeur littéraire  croisé chez Pathé qui lui avait fortement suggéré de me voir.  J’avais un peu d’expérience à ce moment là. J’avais déjà négocié mes premiers contrats. Et ce n’est pas forcément la partie du métier que je préfère.

Combien de temps t’a-t-il fallu ensuite pour réellement vivre de ton métier ?

Dès la première année, c’était pas énorme, mais suffisant pour payer les factures. Quand on n’est pas trop dépensier…

Avec le recul, que retiens-tu de ces débuts ? Que conseillerais-tu à un aspirant scénariste?

Chers aspirants scénaristes, vous n’avez pas choisi la meilleure période pour débuter!  La fiction française est à un tournant critique et beaucoup de scénaristes restent sur le carreau.  A vrai dire, on ne sait pas trop quand la situation va s’arranger.

Vous êtes encore là? Bon, admettons, vous tenez vraiment à être scénaristes….

Mais que pourrais-je bien vous dire? Qu’il faut de l’endurance et de la persévérance pour percer dans ce métier?

Voici quelques réflexions en vrac qui -j’espère- vous seront un peu utiles.

Tout est une question de rencontres en fait. Trouver ces gens qui vont croire en vous et vous donner votre chance. Pour mettre la main sur ces perles rares, il est préférable de ne pas les harceler par téléphone. Les attendre à la sortie de leur boulot avec des chocolats est également exclu. Non, Internet marche très bien. Un coup de fil raisonnable aussi, pas trop long. Et surtout il faut avoir des textes à leur faire lire. Que ce soit des projets, des sujets pour une série existante…  Montrer qu’on a un ton, de quoi on est capables… Et faire gaffe à l’orthographe aussi pour leur éviter de saigner des yeux…

Rester humble. Ne pas penser qu’on est un génie et qu’on a eu l’idée du siècle. Au moins dix personnes (voire cent!) l’ont eue avant. Mais plutôt se demander sous quel angle original on peut aborder cette idée.

J’ai eu pour habitude de travailler très longtemps avec les mêmes personnes. Six, sept ans parfois. Jusqu’à épuisement mutuel. Ce n’est pas forcément une bonne idée. Il faut multiplier ses contacts. Ne pas mettre ses œufs dans le même panier. Même s’il est agréable de travailler avec une personne qui vous comprend car elle vous connait.

L’autre erreur que j’ai commise aussi à mes débuts, c’est de ne faire que du développement. Vouloir absolument créer sa série, c’est évidemment louable et respectable. Mais il faut savoir que le plus souvent les projets persos ne débouchent sur rien.

Hors un auteur n’existe dans ce milieu que quand son nom est au générique d’une œuvre diffusée à la télé. C’est malheureux, mais c’est comme ça. Alors il est nécessaire d’écrire sur des séries existantes. De ne pas jouer les snobinards. De ne pas mépriser ce qui a du succès. Celui qui croit qu’une œuvre « populaire » est facile à écrire a tort.

Comme tout le monde, je rêve que la fiction française offre un jour autant de diversité que les fictions américaines et anglaises. Et je continue de penser que c’est possible, je propose sans relâche des idées d’unitaires, de séries -qui je l’espère- pourraient faire la différence. Des producteurs me font le bonheur d’y croire en me signant des options. Mais du côté des chaines, c’est plus compliqué. Surtout en ce moment. Alors, en parallèle, je tente aussi de « pousser les murs » des séries existantes. Pour pouvoir faire la révolution, il faut d’abord entrer, être à l’intérieur du système, non? Sans se laisser bouffer. Sans perdre son âme.

Est-ce que j’ai été déçu par le résultat? Souvent. Frustré? Parfois. Mais je ne baisse pas les bras. Le jour où je n’y croirai plus, j’arrêterai d’écrire et irai élever des chèvres dans le Larzac.

J’ai croisé plusieurs fois des auteurs qui crachaient dans la soupe. Si vous acceptez d’écrire sur une série, ne la jouez pas « blasé » en répétant à qui veut l’entendre que « de toute façon, c’est de la merde ». Si vous le pensez réellement, n’acceptez pas de bosser sur ce projet ou alors changez carrément de métier. Quand on écrit que pour l’argent, rien de bon ne peut en sortir.

Même dans la série la plus cadrée, la plus normée, il est toujours possible  de faire sien un épisode. D’y apporter une part de son univers, de ses obsessions. D’y traiter un de ses thèmes de prédilection, ne serait-ce qu’en filigrane, que ce soit à travers un personnage créé pour l’occasion ou à travers une intrigue secondaire. C’est  «la fameuse pépite » à laquelle il faut s’accrocher et dont parle si bien Robin Barataud.  Il ne faut rien lâcher là-dessus, car c’est comme ça qu’on garde intact son plaisir et sa passion d’écrire.

Car oui, il en faut de la passion pour écrire. Pendant des heures. Et réécrire tout derrière. Le scénariste est un peu la 5ème roue du carrosse. Aucun pouvoir (à part quelques grands pontes). Il n’a pas d’indemnités chômage, aucune sécurité de l’emploi. Il n’a aucune visibilité à plus de six mois (voire trois) la plupart du temps. Personne pour le forcer à pointer. Il doit donc être capable de beaucoup d’auto discipline. Et savoir gérer ses rentrées d’argent en « bon père de famille ».  Parce qu’il ne sait jamais quand il touchera son prochain chèque.

Le scénariste doit faire preuve d’un solide sens de l’abnégation, du compromis. Et d’un réel talent d’adaptation. Savoir se remettre en question, écouter les critiques qu’on ne se gêne pas pour lui balancer en pleine figure. Il a tellement d’interlocuteurs en face de lui dont il doit tenir compte et qui semblent ne pas forcément aller dans son sens. Oui, le scénariste a le droit de les maudire, de se sentir incompris, mais au final son boulot c’est de trouver une solution qui contente tout le monde, lui y compris.

Ça ne veut pas pour autant dire que l’auteur doit se la jouer « carpette » et se résoudre à écrire de la soupe. Il doit savoir dire « non » et se battre pour ses idées. Défendre sa vision des choses, l’expliquer sans relâche à ses interlocuteurs. Parfois, il réussira à les gagner à sa cause, parfois non. C’est le jeu et il faut l’accepter. Sinon on est voués à être très, très malheureux.

Il est aussi important d’être ouvert au monde autour de soi, de se tenir informer, d’être curieux de tout. De ne pas rester le nez dans son ordinateur.

Comprendre comment se passe un tournage, les contraintes de production, ce qu’est un montage; faire des stages même pour ça s’il le faut : toutes ces expériences parallèles apportent énormément à un scénariste. Avoir une vision d’ensemble  de ce qu’est une œuvre audiovisuelle, ça aide beaucoup à éviter certaines erreurs.

Et puis il ne faut pas oublier d’allumer sa télé aussi. Pour voir ce qui se fait ailleurs. Consommer de la série, du téléfilm à outrance. Même les séries qu’on n’aime pas. Oui, c’est une épreuve parfois. Mais comment peut-on prétendre écrire pour la télé sans savoir ce qui s’y passe?

Bref, Stay hungry, stay foolish. Ah, merde, il paraît que le slogan est déjà pris…

Références :

Copyright©Nathalie Lenoir 2014

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