« Pendant plusieurs mois, entre 1978 et 1979, les habitants de l’Oise se retrouvent plongés dans l’angoisse et la terreur : un maniaque sévit prenant pour cibles des jeunes femmes.
Après avoir tenté d’en renverser plusieurs au volant de sa voiture, il finit par blesser et tuer des auto-stoppeuses choisies au hasard. L’homme est partout et nulle part, échappant aux pièges des enquêteurs et aux barrages. Il en réchappe d’autant plus facilement qu’il est en réalité un jeune et timide gendarme qui mène une vie banale et sans histoires au sein de sa brigade. Gendarme modèle, il est chargé d’enquêter sur ses propres crimes jusqu’à ce que les cartes de son périple meurtrier lui échappent. »
Décidément, le cinéma français frappe fort en cette fin d’année. Avec un Mathieu Kassovitz doublement à l’écran; une Mélanie Laurent très inspirée qui repasse exceptionnellement derrière la caméra après avoir joué pour Tarantino; une French Connection aux 26 millions de dollars de production – soit le budget le plus lourd du cinéma français de cette année; et une Bande de Filles qui fait polémique entre clichés ou belle histoire de vie, on peut croire que le cinéma populaire se veut désormais propre, vecteur d’une histoire qui sort un tantinet des sentiers battus, et surtout très ambitieux. La Prochaine Fois Je Viserai Le Coeur, troisième réalisation de Cédric Anger avec au casting un Guillaume Canet en grande forme, fait partie de cette catégorie. En reprenant des codes narratifs ou visuels de grands polars américains avec un scénario bien ficelé, le film se permet presque de côtoyer les cieux d’un 7ème Art hexagonal, qui en a bien besoin.
Il est loin, le temps des attentats dans l’Oise… Entre 1978 et 1979, un homme « s’amusait » à blesser ou tuer de jeunes femmes sur la route, par pure addiction aux meurtres. Le seul ennui est que ce coupable est également le gendarme, réservé et amical avec ses collègues, qui enquête sur ses propres délits… De ce postulat-là, l’on suit Franck, gendarme froid avec ses ami(e)s ou sa famille, mais plus chaleureux au travail, avec une certaine aisance scénaristique qui nous permet de se familiariser assez facilement au personnage. Son combat de tous les jours contre ses camarades gendarmes qui ne savent pas qu’ils le pourchassent, est alterné avec sa vie plus privée partagée entre ses tortures qu’il s’inflige lui-même et son auxiliaire, Sophie, qui a des sentiments pour lui depuis bien longtemps – qui, il faut l’avouer, est peut-être la seule chose d’extrêmement lourde dans ces 111 minutes. Le film alterne bien les deux vies de son personnage principal, grâce notamment à un montage chronologique efficace qui n’épargne aucune zone d’ombre de Franck, permettant de lui accorder une certaine empathie durant tout le long-métrage, car on n’a pas forcément envie qu’il se fasse emprisonner tant l’on comprend que le meurtre ou la mutilation n’est pas réellement quelque chose dont il est fier. Si l’on aurait pu croire au départ à un remake francophone de The Killer Inside Me (notamment par son sujet de flic en charge de son propre attentat), le film, par-delà la phrase précédente, arrive à s’offrir bienheureusement une autre dimension, l’éloignant de plus en plus de cette référence-là – et c’est tant mieux!
Le final, attendu, car inspiré de faits réels, nous provoque tout de même un étonnant pincement au cœur, tant on s’était attaché à Franck. Tout ceci n’aurait probablement jamais été possible si ce n’était pas Guillaume Canet dans ce rôle. En effet, l’acteur du film crève tout simplement l’écran et nous offre une partition exceptionnelle en coupable malgré lui. La caractérisation de son personnage vampirise la salle de cinéma, imaginez alors le vide que le film peut avoir lorsqu’il n’est pas dans le cadre ou en hors-champ… Franck n’est pas sans rappeler Ralph Fiennes dans Dragon Rouge, tueur en série hanté par ses souvenirs et son goût pour l’auto-mutilation terrifiante. Le reste du casting serait presque anecdotique, ne remplissant qu’une fonction minime dans l’avancée tragique du personnage.
En terme de réalisation, Cédric Anger joue sur ses références pour toucher le spectateur au plus profond de lui-même. S’il flirte parfois avec une certaine lourdeur dans sa multiplication de plans qui peuvent être inutiles, il n’en reste pas moins un metteur en scène qui sait où il puise ses références. Son régime d’image et son étalonnage ne sont pas sans rappeler un certain David Fincher, petit réalisateur indépendant à Hollywood, car sa palette de couleurs bleu pâle en pleine journée contrastée avec un fort travail de lumière dans la nuit font penser aux travaux visuels de Zodiac ou légèrement à un Gone Girl. Rien que ça! Le tueur au Zodiaque se fait également ressentir dans la scène d’ouverture, où le réalisateur prend son temps avant de dévoiler la véritable identité faciale de Franck. Les pointes d’humour noir ou caustique du film font entrer le spectateur dans une sorte de spirale perverse, facilement assimilables au chaos mental de son « héros ». Ceci peut également faire penser aux films de Fincher, qui ose familiariser le spectateur à son univers pervers et glauque, en faire un « voyeur » et surtout lui faire prendre son pied devant l’immondice humaine. Cédric Anger lui fonctionne à peu près de la même manière, en proposant au spectateur de descendre lui aussi un peu plus dans l’enfer de son personnage, avec un certain amour, avouons-le. Le film ne sombre jamais dans la facilité, le réalisateur variant son découpage lors de scènes répétées (comme ses délits par exemple), ce qui lui permet d’éviter la redondance inutile avec brio. Le montage, comme dit plus haut, tient en haleine en alternant brillamment les temps de séquences, permettant de rendre les scènes les plus difficiles assez longues pour suffisamment faire trembler son spectateur.
Alors, même si quelques plans font office de bouts de gras pas forcément utiles pour faire avancer l’enquête ou l’identité de son protagoniste phare; et si Ana Girardot surjoue en permanence, pensant que ses émotions ne se transmettent pas si elle ne joue pas comme cela, il ne faut pas se cacher que La Prochaine Fois Je Viserai Le Cœur, nonobstant son ambition, réussit à provoquer plusieurs nuances d’émotions chez le spectateur qui ne s’attendait probablement pas à être autant scotché sur son siège, et surtout pendant autant de temps. Mais le film tient sa tension de bout en bout, sans trembler. Et ça, ça fait vraiment plaisir!