SYNOPSIS
«Dans la ferveur et l’exaltation du début de la guerre, Demachy, encore étudiant, répond à l’appel sous les drapeaux. Il rencontre Sulphart, Bréval, Bouffioux et les autres, autrefois ouvrier, boulanger, cuisinier, désormais unis sous le nom de soldat.
Ensemble, ils vont rire, ensemble ils vont se battre, ensemble ils vont perdre espoir, noyés sous une tempête de feu, d’acier et d’absurdité. Dans la brume des tranchées défigurées par les canons, les soldats font face à la cruauté de la vie quotidienne, l’attente du courrier qui déchire les coeurs, la terreur des mines cachées, les camarades qui tombent. Tandis que fleurissent les croix de bois sur les tombeaux à ciel ouvert, Demachy finit par perdre ses idéaux. »
(Source : Allociné)
LE FILM
Réalisateur : Raymond Bernard
Scénario : Raymond Bernard et André Lang, d’après le roman éponyme de Roland Dorgelès, « Les Croix de Bois »
Photographie : Jules Kruger et René Ribault
Musique : Antoine Archimbaud
Casting : Pierre Blanchar, Gabriel Gabrio, Charles Vanel
Sortie française : 17 mars 1932
Ressortie version restaurée : 12 novembre 2014
CRITIQUE
Le premier plan du film qui tombe tel un couperet donne le ton. On y voit un régiment de soldats, aligné en silence, auquel se substituent grâce à une surimpression prolongée d’un fondu enchaîné, les croix de bois de leurs futures tombes. Une lente musique solennelle accompagne la disparition de ces hommes. Il s’agit là des fameuses croix de bois du titre. Ce symbole ne quittera jamais le spectateur, et encore moins les personnages du films, faisant leurs apparitions à plusieurs reprises dans le film, notamment lors d’une scène de bataille dans un cimetière, relevant d’une absurdité sans nom, jusqu’au dernier plan du film.
Conçu à l’époque avec l’envie d’être un grand film, et ainsi rivaliser avec le cinéma étranger et tout particulièrement avec le cinéma américain et son adaptation du best-seller « A l’Ouest, rien de nouveau » de Erich Maria Remarque symbole du pacifisme allemand, adapté sur grand écran deux ans plus tôt par Lewis Milestone qui ressort lui aussi actuellement sur les écrans. Le film fait aussi penser au très beau « La Grande Parade » de King Vidor.
Il s’agissait donc ici d’une mise en place de moyens, humains, financier et technique jamais vu à ce jour dans le cinéma français. D’autant plus qu’à cette époque la Grande Guerre n’avait encore jamais été montrée telle qu’elle le sera dans ce film, de façon brute et réelle, sans aucun héroïsme, ou patriotisme. Plus dur encore, quasiment aucune archive vidéo n’existait, il était bien entendu difficile de poser une caméra sur un champs de bataille. Et c’est là, à travers sa mise en scène, que Raymond Bernard montre son audace, son ambition et sa créativité. « Les Croix de Bois » est son deuxième film parlant, ce qui rend encore plus remarquable le travail sur le son, car nouveau pour lui.
Celui-ci est impressionnant pour l’époque et l’immersion est totale, d’autant plus que ces mêmes sons, ce vacarme, est lui aussi nouveau pour les soldat de l’époque qui les ont vécus. Rien de comparable n’avait jamais été entendu. Les scènes de bataille sont assourdissantes, et nous nous retrouvons dans l’agonie des soldats. Le montage très moderne contribue aussi à ce sentiment de réalisme. Bernard utilise à plusieurs reprises l’effet de décadrage, et des plans rapprochés comme on en trouve dans les reportages d’aujourd’hui. Ces derniers sont parfois courts et vifs donnant une impression de confusion et de frénésie. A l’aide d’un simple panoramique latéral, on passe dans une église, d’une messe, à des mutilés de guerre gisant sur des brancards. Durant les affrontements la perception du temps qui n’en finit pas nous est particulièrement bien retranscrite, lors d’une séquence au milieu du film, alors qu’apparaît à l’écran un panneau, à trois reprises, nous informant que cet assaut dura dix jours. Le panneau « 10 jours» s’affiche. D’abord en minuscules puis en lettre capitales, « 10 JOURS », comme pour nous faire prendre conscience de cette accablante durée. Le film fait preuve d’une réelle force d’évocation et s’attarde à montrer ce qui n’avait jamais été montré jusqu’à présent.
Cette recherche documentaire alliée à la volonté de réalisme du réalisateur amène une véracité dans le phrasé des tranchées. Il fait par ailleurs jouer des supers stars de l’époque tels que Pierre Blanchar ou encore Charles Vanel ayant fait 14-18 qui n’ont au final plus réellement besoin de jouer, mais plutôt de revivre à l’écran un passé douloureux. D’autant plus douloureux que l’armée ayant donné son veto, permettant à la production de tourner les scènes de combats sur d’anciens champs de bataille. Il arrivait que le tournage soit interrompu pour déminage car des mines et corps remontaient régulièrement à la surface. Il est important de noter que l’histoire se déroule uniquement au front, et il n’est fait que rarement allusion à « l’arrière », qu’à travers une photo de jeune femme du soldat Demachy, des lettres d’une jeune épouse, ainsi que les bribes de conversations captées lors des retours de permission des soldats. Jamais le réalisateur ne nous tolère une trêve que le personnage ne vit pas.
Il s’agit donc là d’une œuvre qui cherche à montrer la guerre telle qu’elle a été vécue par des millions de soldat, leurs rendant un parfait hommage. Le réalisateur s’adresse tout particulièrement aux anciens combattants de cette guerre comptant sur leurs approbations comme gage de réussite artistique du film. Il sera d’ailleurs projeté en présence de certains d’entre eux, en exclusivité au Moulin Rouge qui revêtira pour l’occasion un décor chaotique de « no man’s land ».
Sa ressortie en salle et en DVD/Blu-Ray en une version restaurée par le laboratoire L’Immagine Ritrovata (600 heures de travail visuel et 120 heures de travail sonore –les voix demeurant un peu étouffées-) à l’occasion du centenaire de la Première Guerre Mondiale est l’occasion de redécouvrir cette œuvre fondatrice du film de guerre, classique du genre, injustement oubliée jusqu’alors.