Le reflet des grands polars.
Quand Brooklyn revêt son épais manteau noir, l’argent passe, de main en main, emmitonné dans l’encre du canard local, en quête de pureté et de rédemption. À cette pègre s’infiltrant dans les failles de cette cité-dortoir, la nuit leur appartient ainsi que ses comptoirs, à l’instar de celui tenu par le vieux cousin Marv, boule de cuire repliée à l’ombre de sa lumière, et par Bob, armoire taciturne et nigaude voguant derrière son zinc servant de dépôt à cette fortune bien mal acquise. Cette façade, c’est tout ce qui leur reste. C’est aussi tout ce qu’ils peuvent se permettre de perdre, au risque de fragiliser leur relation avec le milieu. C’est ainsi, par cette porte de service, que Michael R. Roskam, auteur du consacré Bullhead, s’introduit au sein du polar américain, sous l’égide du romancier Dennis Lehane, apôtre de la criminalité bostonoise déterrant pour l’occasion le cadavre de son « roman avorté » afin de lui apposer une patine cinématographique. Posant son objectif dans les districts occupés par les classes ouvrières, le réalisateur belge aborde cette vaste communauté brooklynite en tentant d’en refléter la rugueuse poésie dans l’eau croupie d’une chaussée défoncée. Il capture son effervescence, sa violence, son influence, ainsi que le caractère cosmopolite de ses différents « neighborhoods », croisant les accents et les origines, servant des lagers belges à des mafieux russes. Il s’inscrit dans la lignée des Ashcans painters, s’imprégnant de l’ambiance vive et âpre des scènes de Georges Bellows afin d’apporter une densité graphique à sa peinture de la working-class des faubourgs de Manhattan. Roskam joue ainsi énormément avec le minimalisme de son histoire et les imperfections verbales de ce microcosme, souhaitant des cadrages simples mais éloquent et un montage naturel mais accidenté afin de tendre au maximum le fil de son récit sans négliger l’essence même de cette banlieue qu’il contemple. Il y règne ainsi une foudroyante énergie intérieure produite en grande partie par ses personnages, des êtres fragiles luttant de leur poing pour dissimuler, derrière un masque, au fond d’un réservoir ou dans l’ombre d’un dossier judiciaire, leur véritable nature. Voir ainsi l’imposant Tom Hardy sanglé dans cette gaucherie tendre et comique, le regretté James Gandolfini écrasé par cette estime qu’on lui a honteusement dérobé, et toutes ces entités, par ailleurs merveilleusement incarnées à l’écran, révéler, sous la lumière d’un scénario finement ciselé, leurs âmes nues, nous surprend, nous bouleverse, et nous invite à poursuivre ce pèlerinage au cœur de ce quartier abandonné des hommes de loi et de Dieu. Finalement, sous ses airs de modeste thriller, Quand Vient La Nuit possède tout d’un petit classique. (4/5)
The Drop (États-Unis, 2014). Durée : 1h47. Réalisation : Michael R. Roskam. Scénario : Dennis Lehane. Image : Nicolas Karakatsanis. Montage : Christopher Tellefsen. Musique : Marco Beltrami. Distribution : Tom Hardy (Bob), James Gandolfini (le cousin Marv), Noomi Rapace (Nadia), Matthias Schoenaerts (Eric Deeds), Michael Aronov (Chovka), John Ortiz (l’inspecteur Torres).