[Critique] Charlie’s Country réalisé par Rolf De Heer

Par Kevin Halgand @CineCinephile

« Charlie est un ancien guerrier aborigène. Alors que le gouvernement amplifie son emprise sur le mode de vie traditionnel de sa communauté, Charlie se joue et déjoue des policiers sur son chemin. Perdu entre deux cultures, il décide de retourner vivre dans le bush à la manière des anciens. Mais Charlie prendra un autre chemin, celui de sa propre rédemption. »

Présenté au Festival de Cannes édition 2014 dans la section Un Certain Regard, ainsi qu’au Festival International du Film de Toronto dans la catégorie « Special Presentations », donc pas en compétition, Charlie’s Country est malgré tout un film dont on n’entend que très peu parler contrairement aux films qui vont avec certitude créer l’évènement au mois de décembre comme Exodus ou encore Les Pingouins de Madagascar dans un autre registre. Sans chercher à faire des comparaisons là où il n’y a rien à comparer, il y a des fois où les médias et réseaux sociaux devraient mettre en avant des films indépendants qui ont le mérite d’effectuer de véritables prouesses que ce soit artistique ou d’écriture. J’ai donc prêt de 1000 mots pour tenter de vous convaincre qu’il faut parler du film Charlie’s Country à tous ceux que vous connaissez, ainsi que sur les réseaux sociaux afin qu’à sa sortie en salles il ne soit pas laissé pour compte face aux longs métrages qui ont droit à une promotion digne du 14 juillet.

Huit années après avoir remporté le Prix Spécial dans la catégorie Un Certain Regard du Festival de Cannes édition 2006, Rolf De Heer revient derrière la caméra avec un nouveau film qui nous démontre avec férocité et tendresse, la difficulté de vie d’un aborigène australien. Avec Charlie’s Country, le cinéaste australien ne déroge pas à la règle qu’il emploie depuis déjà presque trente années maintenant, à savoir mettre en avant ceux qui sont dans le besoin, mais qui sont par ailleurs les êtres humains les plus intéressants à dévoilé au travers d’images. L’humain est un être bipolaire, un être qui peut à la fois vous terrifier comme vous émouvoir et vous toucher. Une fois n’est pas coutume, celui qui embrase la caméra de Rolf De Heer n’est pas bipolaire, il est tout simplement humain et plein de vie alors que la civilisation semble ne plus vouloir de lui. Aborigène australien qui possède le mode de vie que les siens lui ont enseigné dans son passé et qui ne souhaite pas vivre grâce à l’industrialisation des hommes blancs, comme il le dit avec humour, Charlie possède une vie paisible et rangée au cœur d’un petit village du nord de l’Australie. Malheureusement, cette petite vie rangée ne pourra pas durer éternellement à cause de l’emprise de l’homme blanc qui ne souhaite qu’une chose, agrandir son territoire et poursuivre son industrie de consommation de masse au détriment de ceux qui par le passé vivaient paisiblement dans une nature qui leur produisait le simple nécessaire pour vivre et non survivre. Il n’est non plus question de vivre, mais bien de survivre en tant qu’aborigène ou de tuer l’aborigène qui est en lui afin de devenir celui qu’il n’a jamais voulu être.

Cette histoire, simple sur le papier, n’en est rien à l’image, telle la narration d’une maîtrise implacable, malgré un récit linéaire et sans fioritures, emporte le spectateur au travers du bush australien à la rencontre de deux peuples qui peuvent s’entendre, mais dont les envies ne sont les mêmes. Attachant dès un premier plan fixe d’une durée de plusieurs minutes, mais d’une beauté implacable grâce à la bouleversante interprétation de David Gulpilil, Charlie est un homme qui redonne fois en un être humain de plus en plus dénué d’intérêt d’un point de vue émotionnel. Toujours optimiste alors qu’il est à chaque instant en prise avec une société qui ne lui correspond pas et lui fait regretter amèrement les générations passées, Charlie conserve en lui tout ce qui le ronge et ne souhaite pas exploser à la vue du monde. C’est cette volonté de rester fort à tout moment afin de ne pas offrir aux « hommes blancs » ce qu’ils recherchent pour le faire craquer et quitter son bush natal, qui rend Charlie touchant et sensible. Au-delà de l’écriture du personnage, qui est absolument magnifique, car jonglant avec virtuosité entre des émotions que tout oppose comme l’humour et la tendresse, Charlie est un personnage marquant, drôle et touchant grâce à l’interprétation de David Gulpilil. Co-scénariste du film avec Rolf De Heer, Charlie est un personnage de fiction auquel l’acteur a incrémenté une sensibilité et une humanité tiré de sa véritable histoire. Si chaque acteur doit avoir un rôle marquant dans sa carrière, ce sera très certainement celui de David Gulpilil.

Charlie hante le spectateur par sa puissance émotionnelle et le hantera pendant très longtemps afin de veiller sur lui. Personnage vigoureux et bienveillant envers son prochain, Charlie est un protagoniste hors pair qui fait vivre une histoire qui regorge de bonnes volontés à la fois scénaristiques comme techniques et artistiques. En sus d’un protagoniste enchanteur et bienveillant, Charlie’s Country se permet de parler de sujets qui fâchent comme la société dans laquelle nous vivons, ainsi que de l’industrialisation et la consommation de masse, mais le fait avec ingéniosité puisqu’il ne se permet pas de critiquer. C’est au travers de son personnage et de ses réflexions que le spectateur peut se créer sa propre vision et son point de vue sur les thématiques abordées, mais ce n’est pas explicité par le metteur en scène. Ingénieux et audacieux avec une écriture en parfaite harmonie avec sa mise en scène, Rolf De Heer impressionne par une maitrise aussi complète de son récit que de la caméra. Fluide et langoureuse dans ses mouvements, le réalisateur ne cherche pas à nous impressionné avec de grandes courses ou des mouvements inutiles que ce soit à la verticale ou l’horizontal, mais c’est finalement cette simplicité et sobriété cherchant à tout instant à conserver le meilleur profil du protagoniste qui rend cette réalisation impressionnante d’un bout à l’autre.

Il est à la fois facile et difficile de parler du film Charlie’s Country. À la fois impressionnant, bouleversant et frappant, ce long-métrage ne laisse pas indifférent grâce à deux personnes qui se nomment Rolf De Heer et David Gulpilil. À eux deux, ils représentent la réalisation, la mise en scène, l’écriture et le protagoniste de ce film, c’est dire si ces deux hommes sont de remarquables cinéastes. Tendre, drôle et touchant, mais avant tout humain dans la représentation des émotions qui ne sont jamais extrapoler la de la musique ou un plan trop serré, Charlie’s Country est une leçon d’humilité et de cinéma pour quiconque souhaite au travers d’un film faire passé un message sans pour autant critiquer ou chercher à faire pleurer. Magnifié par une superbe photographie qui met en avant des décors naturels du bush australien, Charlie’s Country est une claque, un frisson, un immense coup de cœur qui permet de finir l’année 2014 sur une sensation que l’on ne pensait pas ressentir de si tôt.