The dark knight of scoring.
Jusque dans les années 80, le gigantisme d’une partie du cinéma américain est incarné par de grandes musiques symphoniques produites par des compositeurs aux parcours classiques : John Williams, John Barry, Miklos Rozsa, Franz Waxman, Alfred Newman. Mais, à l’aube du XXIème siècle, le spectateur voit apparaitre un nouveau son très vite associé au studio Remote Control et à son fondateur, le compositeur Hans Zimmer.
À propos de Hans.
À peine sa fontanelle est-elle caressée par l’air frais des plaines germaniques que le jeune Hans Florian Zimmer, petit chérubin né un beau jour de septembre 1957 à Francfort, voit ses mimines contraintes à jouer des gammes sur un clavier par sa mère, une hérétique mélomane. Mais se prédestinant sans doute à devenir bien autre chose qu’un parfait dactylographe, il décide finalement d’apprendre de manière autodidacte sur le piano familial, se découvrant alors une âme savante en bricolant le mécanisme de cette imposante pièce afin d’en obtenir des sons baroques. Une attitude profane qui effraye bien évidemment sa mère, s’étranglant d’horreur devant les expériences étranges qu’échafaude son jeune fils, mais qui enchante son père, un modeste ingénieur. Quand, malheureusement, la flamme de ce soutien paternel s’éteint, le petit Hans, alors âgé de six ans, s’enfonçe plus encore dans la pratique de la musique à une époque où le krautrock, rock teuton coupé à l’électronique incarné par des groupes tels que Kraftwerk ou Tangerine Dream, commence lentement à s’imposer sur la scène nationale.
Au début des années 1970, Hans Zimmer coupe le cordon et s’envole vers Londres afin d’entamer une carrière de claviériste, offrant à cette occasion ses services à de nombreux groupes de la new-wave britannique : Krakatoa, Ultravox, ou encore The Buggles, avec lequel il enregistre leur plus gros hit, Video Killed The Radio Star. En marge à ces participations au sein de la pop anglaise, il travaille également pour la société Air Edel Associates en qualité de compositeur de jingles. Un emploi qui lui ouvre l’échalier du Snake Ranch Studio, où il y fait la rencontre de l’illustre compositeur britannique Stanley Myers. De fil en aiguille, une True Romance naît entre les deux hommes, et durant six années, Hans Zimmer suit scrupuleusement les enseignement dispensés par son maître avant d’embarquer, seul, en 1988, vers Un Monde À Part en compagnie du cinéaste Chris Menges. Une première partition en solo qui attire immédiatement l’attention du réalisateur Barry Levinson, ce dernier entamant son odyssée afin de trouver le compositeur idéal pour mettre en musique son dernier long métrage, Rain Man. Le jeune compositeur, souhaitant vraisemblablement ouvrir cette fenêtre qui le conduirait vers l’autre côté de l’Atlantique, souscrit à cette alléchante proposition, donnant naissance à un score électronique aux accents de world music qui lui permet d’obtenir sa toute première nomination aux Oscars.
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Sur la route d’El Dorado.
Dès lors, multipliant à l’envie les projets sur le territoire américain (Black Rain, Miss Daisy Et Son Chauffeur, Jours De Tonnerre), Hans Zimmer décide de poser définitivement ses bagages aux Etats-Unis. Le succès aidant, il crée également, avec l’aide de son ami producteur Jay Rifkin, le studio Media Ventures, dont l’objectif est de donner les moyens techniques aux compositeurs venus de l’étranger de percer dans le monde de la musique pour le cinéma. Il s’entoure pour l’occasion de nombreux collaborateurs parmi lesquels Mark Mancina et Shirley Walker, qu’il installe à la tête de grosses productions (Speed et Twister pour Mancina, Les Aventures De l’Homme Invisible et Los Angeles 2013 pour Shirley Walker). Mais sa consécration vient avec Le Roi Lion (1994), pour lequel il obtient un Oscar, un Golden Globe ainsi qu’un Grammy Award. Une reconnaissance critique et public (actuellement sixième plus grosse vente dans la catégorie bande originale) qui ne le met pour autant pas à l’abris des Backdraft, de nombreuses polémiques venant lécher de leurs verbes enflammés les ailes blanches de ce nouvel ange fraichement atterrit dans la cité. Les plus durs d’entre elles sont celles l’accusant de s’approprier l’entière paternité de partitions alors produites conjointement avec l’un de ses protégés, Harry Gregson-Williams. Assumant aujourd’hui ce terrible impair, il déclare qu’il était, à l’époque, plus facile de vendre une partition sous son nom que sous celui d’un inconnu.
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Mais bien il soit Comme Un Oiseau Sur La Branche aux yeux de la profession, il ne ménage pas ses efforts pour placer sous le feu des projecteurs un certain nombre de ses pensionnaires, parmi lesquels John Powell, qu’il impose sur le film d’action Volte/Face (1997) de John Woo. Il renouvelle également sa promotion en accueillant Klaus Badelt, Ramin Djawadi, Steve Jablonsky et Heitor Pereira, ainsi que la chanteuse australienne Lisa Gerrard du groupe Dead Can Dance, cette dernière prêtant son timbre sombre et incantatoire à Gladiator (2000) et Mission: Impossible 2 (2000).
Malheureusement, le Rock Media Venture se brise suite à une accusation de détournement de fond formulé par Hans Zimmer à l’encontre de son associé, Jay Rifkin. Le compositeur claque alors la porte pour créer sa propre maison de production, Remote Control, débauchant dans la foulée certains de ses anciens collaborateurs.
Electro killed the symphonic star.
L’avènement du style Remote Control au sein du paysage cinématographique américain et mondial puise ses origines bien en amont à l’arrivée de Hans Zimmer dans le système hollywoodien.
Aux abords des années 1980, alors que les formes dominantes sont celles qui sont associés à Steven Spielberg et à George Lucas, toutes deux accompagnées par les pièces orchestrales de John Williams, d’autres cinéastes de cette génération, comme William Friedkin ou Michael Mann, tentent l’expérience du sound-design en soutenant une conception davantage minimaliste, expérimental et bruitiste de la musique pour le cinéma. Une anecdote relevée par Pierre Berthomieu autour de l’écriture de la musique de Le Solitaire de Mann éclaire assez bien cette nouvelle démarche artistique : « Le Solitaire contient un son d’extincteur qui s’éteint en fa mineur. Dans le studio des Tangerine Dream (les compositeurs, ndla), nous avons trouvé une technique pour convertir les effets sonores réels en notes avec une tonalité et une clé. ». En recourant ainsi de plus en plus systématique à l’électronique, Michael Mann pose sa propre pierre à cette écrasante Forteresse Noire dont Heat constitue sans doute le point d’orgue, où la partition volontiers expérimentale composée par Elliott Goldenthal avec le Kronos Quartet côtoie les tubes électro-rock de Moby et Michael Brooke. Il ne s’agit alors plus pour la bande son de transcender l’image, mais de faire corps avec cette dernière. Selon l’historien du cinéma Pierre Bethomieu, « le son Remote Control prend acte d’un monde envahit de matière sonore et veille à une intégration/dissolution de la musique : traitée comme du sound-design dont elle partage les canaux, restreinte aux registres proches de la voix humaine et de l’action physique, littéralement, elle envahit l’espace mais ne transcende plus. »
Le chef devant son pupitre.
Ainsi, au crépuscule des années 1990, la source électronique tend peu à peu à se confondre avec l’orchestre sans pour autant rompre avec les objectifs mélodiques propre à l’écriture traditionelle. Cependant, en devenant la forme dominante, le son de Hans Zimmer, révélant au grand jour un courant musical qui, depuis lors, se frayait subrepticement un chemin au sein du système, en inverse considérablement les proportions. Mieux encore : cette forme ne devient plus la propriété d’un seul artiste, mais celui de tout un pan de la profession que cristallise le studio Remote Control et au sein duquel les quartiers du commandant Zimmer, robuste chambre de travail drapée d’un rougeoyant bordeau où trône des plafonniers d’inspiration art nouveau que la noble boiserie en merisier vient vigoureusement ennoblir, témoigne de cette élégance ostentatoire et massive dont son dialecte musical fait montre à chacune de ses représentations cinématographiques.
Hans Zimmer s’y présente d’ailleurs comme un sémillant pédagogue. Déambulant dans les couloirs de son palais, il démocratise l’utilisation de ses outils et de ses formules (le « wall of sound », l’ostinato) auprès de ses collaborateurs dont il conseille et supervise les travaux. En apportant ainsi un peu de sa sensibilité à chacune des créations voyant le jour dans l’enceinte de son fort de brique rouge, il participe, malgré lui, sans doute, à l’élaboration d’une esthétique musicale reconnaissable et uniforme, principal reproche que l’on lui formule, en témoigne le replacement silencieux de Klaus Badelt par Hans Zimmer sur la saga Pirates Des Caraïbes.
L’antre du monstre !
Accusé d’écailler la sacro sainte image du compositeur et d’appauvrir la musique de cinéma en générant davantage de programmeurs que de chefs d’orchestre, les esprits peuplant la béosphère se frictionnent au sujet de ce rapport de force que semble remporter illégitimement, à leur yeux, la doxa « Remote Controlienne » face à l’école classique. Il semble que les raisons de son rayonnement soient d’abord d’ordre économique et pratique. À l’heure où il devient onéreux et chronophage de recourir aux services d’un orchestre classique, Hans Zimmer parvient, en revanche, à obtenir un son tout aussi opulent avec une très petite section d’instrument grâce aux échantillonneurs.
Hollywood est aussi devenue une industrie éco-responsable qui recycle massivement ses licences et ses oeuvres pour un minimum de frais. Une politique dont la musique fait également les frais. Ainsi, depuis Batman Begins (2005) et sa relecture personnelle de l’héroïsme américain – elle aussi reprise ad nauseam par toutes les récentes grosses productions du genre – son empreinte sonore est devenue, par l’agrégation d’une mode narrative et du temp-track (musique temporaire servant de base au moment du montage), la valeur étalon pour les producteurs en terme d’émotion musicale. Le son de l’homme chauve souris, imparfait, torturé et écartant toute forme de noblesse, incarne désormais celui des actes manqués d’une certaine Amérique, de cette vulnérable cuirasse dont sont désormais revêtus tous les héros et super-héros qui lui succèdent.
Cliquez ici pour découvrir comment Remote Control recycle ses partitions.
En faisant de ce style un standard en terme de composition, les acteurs de l’industrie cinématographique formatent tout autant l’écriture de la musique pour cinéma que l’audition des spectateurs, reléguant davantage encore le brio symphonique au rang d’une expression désuète, passéiste et archaïsante des émotions – en témoigne certaines critiques acerbes adressées à la partition au combien lumineuse composée par Alexandre Desplat pour le récent Monuments Men. Hans Zimmer, lui-même, cultive ce soupçon envers la virtuosité du chef d’orchestre, qu’il lui semble désormais dans l’incapacité d’accompagner la marche entamé par ce nouvel Hollywood : « Nous avons réduit la musique de cinéma à des motifs, ce qui semble être en phase avec l’esprit du temps. Seuls les films d’animation peuvent se permettre d’avoir de grands thèmes. L’idée même d’une interprétation virtuose est complètement dépassé dans ce domaine. J’adore la virtuosité du musicien, mais elle n’a plus sa place dans les musiques de film ». Aujourd’hui, le romantisme de l’âge d’or, l’idéalisme et la naïveté des premiers blockbusters ont moins leur place dans le cinéma « live » que dans l’animation, dernier endroit au sein duquel les réalisateurs, les producteurs ainsi que les compositeurs s’autorisent encore, un peu, à rêver.
Par son audace et son approche anti-conformiste à une époque où le cinéma se cherchait une nouvelle direction, Hans Zimmer s’est rapidement imposé dans le paysage audiovisuel américain en accompagnant la naissance de la nouvelle figure héroïque américaine. Aujourd’hui, son style et celui de son studio, Remote Control, est devenu le maitre étalon dans le milieu du scoring, au prix de très nombreuses critiques. Ce n’est peut-être pas le compositeur que le cinéma mérite, mais sans doute le compositeur dont le septième art à vraisemblablement besoin.
Quelques références pour poursuivre le voyage dans l’univers de Hans Zimmer et de Remote Control :
- Hollywood, le temps des mutants, Pierre Berthomieu, Ed. Rouge Profond, 2013
- Musique et Cinéma, le mariage du siècle ?, Ed. Acte Sud, 2013
- Reportage : Nous avons visité les studios de Hans Zimmer (Remote Control) et de Christopher Young, Cinezik.org