Gloria (Lola Dueñas), mère-célibataire de quarante ans engluée dans un quotidien morose, tente de sortir de la solitude en répondant à l’annonce postée par Michel (Laurent Lucas).
Lors de leur rencontre, elle tombe sous le charme de cet homme élégant et beau parleur, jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’il n’est rien d’autre qu’un petit escroc qui ne séduit les femmes que pour leur soutirer de l’argent avant de disparaître. Tombée follement amoureuse de lui, elle décide de ne pas le dénoncer à la police, et accepte même de le suivre dans son parcours criminel, abandonnant sa fille au passage. Se faisant passer pour la soeur de Michel, Gloria participe aux combines de ce dernier, qui s’attaque à des femmes seules et fortunées. Mais elle a de plus en plus de mal à accepter que son homme couche avec d’autres femmes. Et cette jalousie dévorante va entraîner le duo dans la folie meurtrière.
Les cinéphiles et les passionnés d’émissions du type “Faites entrer l’accusé” auront reconnu l’histoire de Martha Beck et Raymond Fernandez, des amants criminels ayant sévi aux Etats-Unis à la fin des années 1940, et dont le périple meurtrier a inspiré le film de Leonard Kastle, Les Tueurs de la Lune de Miel, ainsi que Carmin profond d’Arturo Ripstein et le plus dispensable Coeurs perdus de Todd Robinson.
Plutôt que d’essayer d’imiter les cinéastes précités, Fabrice Du Welz s’est emparé de ce fait divers et en a tiré un scénario original, assez barré, portant indéniablement sa patte singulière. Plutôt qu’un thriller ou une reconstitution rigoureuse des faits, le réalisateur belge joue la carte de la comédie grinçante et du délire horrifique. Les habitués de son cinéma ne seront pas dépaysés. On retrouve le même type d’humour noir décalé et la même approche naturaliste que dans Calvaire, son premier film. Et l’ambiance insolite de l’oeuvre, qui joue beaucoup sur la sensorialité, évoque l’expérience viscérale proposée par Vinyan, son deuxième long-métrage. Alléluia possède les mêmes qualités et les mêmes défauts que ces deux films. Des fulgurances et des lourdeurs, de la maîtrise et du laisser-aller.
Pour les qualités, on peut citer un important travail sur l’image et la bande son, quelques scènes absolument splendides et des audaces narratives étonnantes, à l’instar de ce curieux passage chanté au coeur du film. Plus une direction d’acteurs efficace, qui tire le meilleur des deux interprètes, Laurent Lucas, à la fois charmeur et inquiétant, et Lola Dueñas, formidable dans le rôle de cette femme trop amoureuse, qui bascule peu à peu dans la folie.
Pour les défauts, on regrette l’outrance de certaines scènes, qui n’apporte rien à l’oeuvre, ainsi qu’un humour pas toujours très subtil. Et on déplore que Laurent Lucas, par ailleurs plutôt convaincant, comme évoqué plus haut, pousse parfois son jeu au-delà des limites du cabotinage.
Ces lourdeurs et imperfections tranchent avec la maîtrise technique affichée lors de certaines scènes et donne l’impression d’un film bancal, déséquilibré, un peu bordélique. En deux mots : assez fou. Ce qui correspond assez bien, finalement, au propos du film.
La vraie force d’Alléluia, c’est justement de restituer pleinement la folie de Gloria, de montrer comment un simple béguin se transforme en passion dévorante, en amour fusionnel, jusqu’à la déraison. Sa jalousie, sa folie meurtrière, prennent peu à peu le pas sur celle de Michel, qui, au départ, semblait clairement être le plus dangereux des deux, avec son comportement de prédateur, ses rituels ésotériques étranges et ses petites manies, dignes d’un tueur en série. Au final, c’est elle qui le vampirise et qui le garde sous sa coupe. C’est elle qui l’entraîne sur la voie du crime plutôt que l’inverse.
Du Welz ne la juge pas. Il la montre dans toute sa complexité, à la fois femme fragile, ayant peur de la solitude et du vide sentimental, et furie hystérique, capable des pires horreurs, femme libre choisissant sa vie et captive de ses sentiments trop forts, trop intenses.
Rien que pour ce beau portrait de femme et l’interprétation de Lola Dueñas, Alléluia vaut le déplacement.
Cependant, il est certain que ce film atypique, bancal et outrancier, ne plaira pas à tout le monde. Comme les deux films précédents du cinéastes, qui avaient fortement divisé critiques et spectateurs.
A vous de découvrir si vous vous laisserez fasciner par la mise en scène de Fabrice du Welz et par cette vibrante histoire d’amour, jusqu’aux confins de la folie meurtrière, ou bien si vous trouverez l’ensemble si outrancier, si grotesque, si déjanté que vous sortirez de la salle avec des envies de meurtre…
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Alléluia
Alléluia
Réalisateur : Fabrice Du Welz
Avec : Lola Dueñas, Laurent Lucas, Helena Noguerra, Stéphane Bissot, Edith Le Merdy, Anne-Marie Loop
Origine : Belgique, France
Genre : amour fou, film itou
Durée : 1h30
date de sortie France : 26/11/2014
Note : ●●●●○○
Contrepoint critique : Filmosphère
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