A l’occasion du Festival International du Film d’Amiens, le jeune réalisateur Carlos Conceição a pu profiter d’un nouveau dispositif qui se nomme Pygmalion, pour présenter en public et à chaque fois devant salle comble, ses derniers court-métrages en date. Accompagné de William Tessier, rédacteur en chef du blog cinéma Ma Semaine Cinéma, nous avons pu poser nos questions à ce jeune réalisateur et ce durant un peu moins de trente minutes. Voici la retranscription de cette interview qui vous en apprendra plus sur un jeune cinéaste dont on a pas fini d’entendre parler.
Ma Semaine Cinéma : « Pygmalion » est un nouveau processus mis en place par le Festival International du Film d’Amiens. Qu’est-ce que cela représente pour vous de lancer ce nouveau dispositif ? Pour vous et les autres jeunes réalisateurs qui vont vous suivre les prochaines années ?
Carlos Conceição : Je pense que c’est un grand privilège, bien sûr, et que c’est une grande responsabilité. Je suis très heureux, car c’est une façon intéressante et positive de montrer ce qui a été fait et de le montrer dans les circonstances stimulantes du festival pour les cinéphiles, parce qu’on peut parler avec les gens sur les fautes des films, comme les qualités. Il y a aussi la possibilité de participer au labo de scénario (expliquer) et de voir les films édités en DVD (expliquer). C’est un grand pas pour que les personnes qui n’ont pas accès au festival puissent voir les films. Pour moi, c’est une bonne chose et c’est également stimulant de savoir que les courts-métrages peuvent être vus n’importe où, ailleurs que dans un contexte comme celui-ci.
Ma Semaine Cinéma : Mise à part votre dernier court-métrage en date, « Boa Noite Cinderela », présenté à Cannes en mai dernier, les trois autres courts-métrages que l’on a pu découvrir avaient-ils déjà été présentés en France ?
Carlos Conceição : Je ne sais pas … Je pense que oui, mais seul « Versailles » a été présenté pour la première fois ici. La première projection de « Versailles » a été faite au Festival de Locarno en 2013, mais il n’y a pas eu de projection en France après. Il me semble que « O Inferno » a été présenté à Deauville … Ce court-métrage a été diffusé dans de nombreux festivals, notamment en France.
O'Inferno (Carlos Conceição, 2011)
CinéCinéphile : Pour rebondir sur les courts-métrages que nous avons pu voir ici, on retrouve dans chacun d’eux une grande maturité dans la réalisation et une bonne connaissance dans le cinéma en général. Lors de la présentation, vous nous avez parlé des films et cinéastes qui vous ont marqué, en soi le cinéma est-il une passion ou est-ce venu sur le tard ?
Carlos Conceição : C’était toujours là, je ne sais pas vraiment quand cela a commencé. Je me souviens que petit le cinéma était déjà présent et j’étais convaincu que c’était ce que je voulais faire. Maintenant, les idées de films arrivent comme si c’était une nécessité, un moyen d’expression. C’est peut-être pour ça que je les fais sans budget, parce que c’est un besoin.
CinéCinéphile : Lors de la rencontre, vous nous avez parlé de cinéastes comme François Truffaut. Avez-vous été inspirés par son travail ou celui d’un autre dans la conception de vos films ?
Carlos Conceição : J’ai pensé à Truffaut à cause d’un projet, d’une série de courts-métrages en lien les uns avec les autres. Une espèce d’accompagnement d’un personnage sur plusieurs histoires. Ces derniers pourraient être vus dans une continuité où de manière indépendante. Pour revenir à la question, il y a beaucoup de films que j’apprécie, mais je ne pense pas avoir eu d’influences particulières, du moins consciemment.
Les Quatre Cents Coups (François Truffaut, 1959)
Ma Semaine Cinéma : Du coup, les jeunes réalisateurs ont tendance à se bloquer dès leur premier film au travers d’une identité visuelle, d’une thématique particulière. Alors que vous, au travers de vos quatre courts-métrages que nous avons pu voir ici, on ne ressent pas cet enfermement et au contraire une volonté de s’essayer à différents styles …
Carlos Conceição : C’est une volonté de ne pas se répéter de film en film, de prendre et de choisir de nouvelles directions … mais en réalité, je les trouve très similaires. Je dis peut-être cela par rapport à mon implication dans chacun d’eux. Ils ont tous, pour moi, une même ligne qui les connecte.
Ma Semaine Cinéma : Chacun des films possède sa propre identité visuelle. « O Inferno » dispose de ce côté très épuré, très moderne qui se retranscrit au travers de l’architecture du décor principal. « Carne » et « Versailles » ont aussi cette architecture oppressante. Ce rapport à l’enfermement, est-il dû au format court ou est-ce vraiment une volonté de votre part ?
Carlos Conceição : Je ne sais pas … Je pense que l’espace est aussi important que les personnages ou l’histoire. Je pense que l’histoire et l’espace sont toujours très connectés. J’apprécie les huis clos. J’apprécie quand les personnages ont une relation avec l’espace, duquel ils ne peuvent pas échapper, mais si les personnages s’en échappent les conséquences pourraient en être terribles. J’ai pensé les histoires en relation avec les espaces de la même façon dans les quatre courts-métrages.
Ma Semaine Cinéma : Ce n’est donc pas le format court qui veut ça …
Carlos Conceição : Ce n’est pas le format court qui veut, c’est avant tout l’histoire, comme si elles étaient destinées à des longs-métrages.
CinéCinéphile : La direction artistique des courts-métrages, visuels et sonores, est-elle conçue avant le tournage ou en post-production ?
Carlos Conceição : Tout est pensé au moment du scénario, de l’écriture. Les quatre films sont des exécutions rigoureuses des scénarios. Que ce soit les sons hors-champs ou en off, ils sont pensés en amont. Par exemple, dans « Boa Noite Cinderela », il se déroule un bal dans le château, tout est dans le son, hors champ, mais bien présent au moment du tournage.
CinéCinéphile : C’est ce qui rend chaque court-métrage aussi singulier et prenant. Par exemple, avec « Carne », on retrouve une ambiance assez oppressante grâce à sa mise en scène et à l’utilisation de bruits sourds dans la bande sonore …
Carlos Conceição : « Carne » a quelque chose que les autres n’ont pas, c’est l’existence d’une bande originale, composée pour être utilisée de manière extra-diégétique. Dans « Boa Noite Cinderela », c’est différent. Les valses entendues lors de la scène du bal sont jouées directement par l’orchestre. Il y a aussi des répétitions de ces mêmes mélodies plus tard dans le court-métrage par le biais de musique extra-diégétique pour prolonger cette ambiance, cette frivolité, presque sur-réaliste. Tout cela est mis en place afin de renforcer le côté ironique des personnages.
CinéCinéphile : Dans les quatre courts-métrages que l’on a pu voir, on retrouve un certain second degré, un détachement, alors que les thèmes abordés sont plus difficiles, comme le fétichisme. Était-ce une volonté d’avoir ce décalage afin de ne pas rendre les films trop durs, trop lourds ?
Carlos Conceição : Il y a des objectifs satiriques dans « Carne » et dans « Boa Noite Cinderela », mais « Versailles » est un film très différent, même s’il n’est pas très réaliste. Je pense que le fait de créer un sourire chez le spectateur est une conséquence et non pas un objectif.
Versailles (Carlos Conceiçao, 2013)
CinéCinéphile : Le côté satirique, on peut le retrouver également dans la mise en scène. Je repense à « Carne », où les personnages et les décors rapportent à un temps révolu, mais où la narration et divers objets ramènent à notre époque …
Ma Semaine Cinéma : Pour rebondir là-dessus, « Boa Noite Cinderela » possède également son lot d’anachronismes, notamment avec la présence de cigarettes …
Carlos Conceição : En réalité, la cigarette n’est pas un anachronisme. Elle existait déjà à l’époque, mais c’était des cigarettes roulées. On m’a même demandé pourquoi l’anachronisme avec le champagne, mais c’était, encore une fois, un anachronisme qui n’en est pas un. Ce ne sont pas des anachronismes par rapport aux objets, mais peut-être plus dans leurs postures, leurs gestuelles, qui sont, elles, très modernes. On retrouve cela dans l’attitude du prince qui est très similaire à celle d’une rock-star. Je pense que « Carne », « O Inferno » et « Boa Noite Cinderela » sont des projets où j’ai joué volontairement avec les clichés, les personnages types de la culture populaire ou de la mythologie. Dans « Carne », la nonne est très facile à reconnaître, de par ses habits, au premier coup d’œil. De même avec Cendrillon, car il y a cette première scène avec l’escalier et la princesse qui perd sa chaussure. Pour finir, avec « O Inferno », je me suis saboté moi-même … Je voulais faire un mélo-drame avec les clichés du cinéma pornographique, notamment par le biais de ce garçon qui nettoie la piscine et par la musique. Au montage, je n’ai pas utilisé les éléments que je voulais et j’ai enlevé tout ce qui se rapportait aux archétypes de ce genre. Cela amena le court-métrage dans une autre direction, peut-être plus ambiguë …
Ma Semaine Cinéma : Vous avez deux projets de longs-métrages en cours, vous pouvez nous en dire quelques mots …
Carlos Conceição : En effet, j’ai deux idées de films qui sont écrits. Ainsi qu’un projet plus atypique sans scénario et équipes techniques. Une sorte de documentaire … Concernant les deux longs-métrages, je suis actuellement à la recherche de financements. L’un d’eux est en train d’être traduit en anglais, pour essayer de toucher à l’international. L’autre est encore au stade d’embryon.
Ma Semaine Cinéma : D’où la chance d’avoir été choisi pour le dispositif « Pygmalion » et ainsi, d’avoir une place à la villa Médicis à Rome …
Carlos Conceição : Oui, tout à fait ! C’est avantageux d’avoir accès à cela pour pouvoir avancer dans l’écriture de mes futurs projets.
Ma Semaine Cinéma : Justement, vous écrivez toujours seul ?
Carlos Conceição : Oui. Je pense que le travail d’écrire, réaliser et monter est comme un seul travail. Bien sûr, il y a des moments, surtout dans le montage, où quelques opinions et conseils peuvent être très utiles. Pendant l’écriture, je suis un peu plus solitaire. C’est très facile de changer un détail, d’explorer de nouvelles approches.
CinéCinéphile : Ce qui nous a beaucoup plu dans vos différents films, ce sont leurs directions artistiques respectives. Pour les futurs cinéastes, en devenir qui seraient intéressé par la technique. Qu’utilisez-vous comme matériel ?
Carlos Conceição : C’est plus dans la direction artistique et l’éclairage, ce n’est pas une question de caméra dans l’absolu. « Carne » et « O Inferno » ont été tournés avec des caméras 7D. Il y a toujours un travail sur la lumière, que je mets en place avec le directeur de la photographie. Il m’aide également sur le choix des décors, des objets, afin de travailler au mieux la lumière par la suite. Dans cette même idée, il va même jusqu’à me conseiller d’autres éléments que ceux présents dans le story-board. En ce qui concerne « Boa Noite Cinderela », on a choisi une caméra spécifique afin de tourner consécutivement toutes les scènes d’intérieur de nuit. À l’exception de la première scène, toutes les autres sont éclairées à la bougie. Même dans « Versailles », il y a cette scène éclairée seulement d’un briquet.
Ma Semaine Cinéma : Ça rappelle le travail de Stanley Kubrick sur « Barry Lyndon » …
Carlos Conceição : À l’époque, les caméras n’étaient pas aussi sensibles à la lumière qu’aujourd’hui, à l’ère de la HD et du numérique. Il y a une certaine facilité technique à avoir le rendu que l’on souhaite de nos jours. Malgré tout, le digital ne permet d’avoir un contraste si appuyé qu’il ne l’était à l’époque de la pellicule. Aujourd’hui, on peut vite se retrouver avec une image homogène et qui ne met pas suffisamment en valeur le travail sur la lumière.
Boa Noite Cinderella (Carlos Conceição, 2014)
Ma Semaine Cinéma : On sent vos acteurs très impliqués, surtout dans « Carne » où j’ai trouvé les deux acteurs formidables. Vous les dirigez avec le maximum de directive, ou vous leur laissez une liberté totale ?
Carlos Conceição : J’écris pour eux, car je suis convaincu que je ne sais pas parler avec les acteurs. Je ne fais pas passer de casting, je pense à des acteurs avant ou pendant l’écriture. Cela permet de discuter avec eux des personnages durant la phase de conception. Quand arrive le moment de tourner, ils savent déjà vers quoi se diriger. Il ne nous reste pas grand-chose à nous dire, nous sommes déjà en accord sur le travail à faire. Je ne me vois pas chercher un acteur après avoir écrit le personnage, de peur que cet acteur ne puisse retranscrire totalement ce que je souhaite. Je n’aime pas le côté hasardeux de la chose, c’est difficile à contrôler par la suite. Pour moi, c’est plus important de composer les personnages en partant des acteurs.
CinéCinéphile & Ma Semaine Cinéma : Merci de votre temps et bonne chance pour l’écriture, à très bientôt alors !
Carlos Conceição : Merci à vous ! Eh oui, à bientôt sur grand écran, je l’espère ! (rires)
Interview réalisée le 20 novembre 2014.