Le nouveau film de Jasmila Žbanić, Les femmes de Višegrad, est sorti en DVD début décembre, distribué par Blaq Out. C’était l’occasion de (re)découvrir ce petit film dont on retire forcément quelque chose.
« On ne peut rien dire à ceux qui ont vu, ou vécu cela, qui ont perdu le don de la parole. Ces choses-là, on ne les dit pas, mais on les oublie. Si on ne les oubliait pas, comment pourrait-on les répéter ? » Ces paroles prononcées par un historien s’inventant guide touristique dans Les femmes de Višegrad, est probablement le meilleur reflet du propos tenu par la cinéaste Jasmila Žbanić tout au long de son film. Son héroïne, une touriste australienne tombée un été sous le charme d’un petit village bosniaque nommé Višegrad, s’aperçoit en rentrant chez elle des blessures que cache en fait l’ensemble de la Bosnie-Herzégovine. C’est sur cette base que la cinéaste, elle-même d’origine bosniaque, bâtit un film sur le devoir de mémoire. Car les atrocités infligées durant la guerre de Bosnie semblent avoir été effacées de la mémoire du peuple. Un déni qui relève de l’horreur, et qui pousse les citoyens bosniaque à continuer leur vie comme si tout cela n’était jamais arrivé. Les camps de viol se sont changés en hôtels luxueux, et les lieux de massacres en monuments touristiques. En soi, Les femmes de Višegrad atteint deux objectifs : réveiller les consciences des citoyens de Bosnie, à qui la réalisatrice dédie son film (le titre est anglais se traduit par « Pour ceux qui ne peuvent raconter« ) et inculquer au reste des spectateurs l’importance de ne pas oublier, et de ne pas tenter d’effacer les horreurs appartenant à l’Histoire.
L’actrice Kym Vercoe, dans son propre rôle sous la caméra de Jasmila Žbanić.
Jasmila Žbanić formule, en un peu plus d’une heure, une fiction passionnante autour de son pays natal. Restant toujours sobre et sans grandiloquence, Les femmes de Višegrad se construit de scènes en scènes. Chaque plan filmé par la cinéaste revête une importance, et participe à faire avancer le récit, qui garde ainsi toujours une dimension réaliste. Dans ce but, l’actrice principale, Kym Vercoe, y incarne son propre rôle, en trouvant un juste équilibre dans son interprétation. La réalisatrice explique cette difficulté : « Etre soi-même en même temps que le personnage du film, c’est ce qu’il y a de plus difficile ». Puis elle rapporte les paroles de l’actrice, qui a avoué sur le tournage du film : « Si quelqu’un me dit que jouer son propre rôle est facile, je le tue ». A l’origine prévu sous un format documentaire, le film a finalement pris l’allure d’une fiction, façonnée avec réalisme afin de s’immerger davantage dans le récit et dans les troubles de ses personnages. Le support fictionnel apporte donc une plus grande profondeur émotionnelle au film, tandis que le souci du détail et de la vérité lui confère une facette instructive et culturellement captivante. Certaines scènes du film, habiles, jouent elles-aussi avec les non-dits : comme l’horreur oubliée de la guerre bosniaque et ses blessures déniées, tout n’est pas montré à l’image. Mais le spectateur finit par trouver une interprétation à chaque scène, ou plutôt une traduction leur donnant un sens et permettant à la vérité d’être clairement exposée. L’alliance solide entre fiction et réalité, accolée aux propos tenus par l’œuvre sur la nécessité et l’entretien du souvenir, offre à l’œuvre de Jasmila Žbanić une dimension universelle, dont on ressort interpellé et grandi, et qui résonne encore bien après sa découverte. Une bien agréable surprise.
Quant au DVD
Dans une édition sobre, le distributeur Blaq Out offre une copie en version originale Dolby stereo 2.0. et Dolby Digital 5.1, sous-titrée en français et français pour sourds et malentendants, offrant une belle restitution de l’image. Egalement présent sur le disque, un dialogue intéressant avec la réalisatrice Jasmila Žbanić, qui, bien qu’un peu court (environ 5 minutes), en apprend davantage sur les motivations à l’origine de l’œuvre. Une copie simple mais néanmoins de qualité, à l’image du film.