Lorsque le 7ème art rencontre le touche-à-tout Abd Al Malik, on pourrait s’attendre à des étincelles. L’adaptation de son auto-biographie, sortie il y a dix ans déjà, dans nos salles cette semaine, était très attendue par ses fans, qui savent ce que le natif du quartier Neuhof de Strasbourg est capable de faire avec ses écrits ou ses albums de slam. Alors, bien qu’il peut s’avérer poseur, hésitant dans sa forme très scolaire, « Malik » réussit néanmoins à rassembler, par le biais de propos qui rassemblent et touchent. Pour un premier essai, ce n’est pas forcément à négliger.
« Il était une fois. Toutes les histoires commencent comme ça… » Qu’Allah bénisse la France, c’est l’enfance véritable de Régis Fayette-Mikano, alias Abd Al Malik, et le témoignage de sa rencontre avec Jasmine, aussi appelée Wallen, de la création des New African Poets, de ses déboires avec l’autorité, de la découverte de la religion musulmane qui l’a sauvé de nombreux problèmes, de ses études qu’il ne doit que grâce à ses professeurs et à sa future femme, et de la montée de sa célébrité démarrée par un banal Planète Rap… Ce récit initiatique, parfois tendre envers son héros, parfois amusante de par sa candeur, est bercé par une bande originale composée entre autres par le réalisateur lui-même, sa femme, et Laurent Garnier, et cela fait vivre les images de manière très puissante. Si l’histoire n’est en aucun cas faite de surprises, elle nous renseigne cela dit plutôt bien sur la vie d’Abd Al Malik, qui n’épargne aucune zone d’ombre sur sa vie, ne témoignant pas que des points positifs de sa jeunesse. Son « auto-biopic » – si l’on devait créer un néologisme – semble sincère, humble et juste, son personnage principal, interprété avec mimétisme par un Marc Zynga habité, n’étant pas toujours le héros et vu comme le seul homme qui voulait s’en sortir honorablement dans ce quartier difficile. Son hommage à la femme frôle même la perfection, puisque sa mère, sa professeure de philosophie et Jasmine sont véritablement celles qui l’ont poussé à grandir, à s’en sortir, et à réussir merveilleusement bien. Les figures de style sur les arbres feuillus, fondateurs de la terre fertile sont les symboles de la femme qui a fait monter Malik dans la banlieue et dans le monde du rap. Cependant, s’il fallait ne sortir qu’un seul bémol de son scénario, est son manque de repères chronologiques: il est parfois difficile de se repérer dans le temps, car le montage nous perd, et l’âge de Régis (ou l’année civile qu’il évoque) n’est que très rarement évoqué. En parlant du casting, il faut également saluer le jeu d’actrice exemplaire d’une Sabrina Ouazani magnifique, qui elle aussi rend énormément hommage à Wallen, qu’elle interprète durant les 90 minutes de long-métrage. À noter le reste du casting, amateur, qui ne tire jamais le film vers le bas. Chapeau.
Visuellement, Abd Al Malik réussit en demi-teinte à mettre en images son parcours adolescent. Certes, le tout forme une œuvre très singulière, où les ellipses renforcent les émotions « en arc-en-ciel », comme aime les évoquer le réalisateur. Et en effet, malgré le fait que le film soit exempt de sexe ou également de goutte de sang, et où seule la violence sous-entendue réside, monsieur Malik préférant ne pas la détailler par le biais d’une imagerie sobre et pudique. La banlieue n’a rien d’onirique ou de coloré comme aurait pu le faire Céline Sciamma, ici, c’est du noir et blanc, uniquement du noir et blanc. Symbole des couleurs de peau, mais cet effet permet de tout rendre identique dans le cadre, sans valoriser un bâtiment ou un décor plus qu’un autre. La colorimétrie, référence ouverte à La Haine dont Abd Al Malik est un grand fan, permet un rapprochement et également quelque chose de pesant, symbole d’une banlieue dont il est difficile de se détacher. Mais les défauts sont plutôt par rapport au cadrage, tantôt scolaire, tantôt juste, tantôt hyperbolique. Si de véritables effets de styles de la part du slameur sont bien présents, ses « dutch angles » (terme technique du décadrage) – et pour quelques rapports d’échelle tels que des contre-plongées lors de répétition des textes de Régis dans la rue en marchant – perdent de leurs intensités tant ils sont utilisés à outrance. Si certains sont justes, d’autres n’ont absolument aucun intérêt… Tout comme les partis-pris, très scolaires, se reposant sur quelque chose d’acquis sans jamais vraiment transcender le cadre. Le côté documentaire immersif du début laisse place de manière hasardeuse à un biopic de moyenne facture sans que l’on ne comprenne vraiment pourquoi. C’est dommage, mais c’est quand même très encourageant pour quelqu’un qui signe un premier film aussi intéressant et jamais ennuyeux.
En clair, Qu’Allah bénisse la France est aussi modeste que son réalisateur, mais hésite parfois dans ses partis-pris filmiques, malgré des propos très intéressants et jamais stigmatisant envers la banlieue, qu’il respecte et qu’il porte encore dans son cœur. Pour son témoignage sincère, pour quelques-uns de ses plans qui hantent l’esprit, et rien que pour… lui, il mérite un petit coup d’œil. Mais je vous avertis: il vaudrait mieux pour vous d’apprécier le rap et ses textes pour apprécier pleinement le film…