“La Belle Jeunesse” de Jaime Rosales

Par Boustoune

Chaque film de Jaime Rosales est une expérience cinématographique. Pur plaisir pour les uns, ravis de se laisser porter par une mise en scène brillante, maîtrisée dans ses moindres détails, mais épreuve insupportable pour les autres, peu enclins à s’esbaudir devant des oeuvres trop froides, trop lentes, trop  absconses.
Son premier long-métrage, Las Horas del dia jouait sur l’attente et la dilatation du temps, pour mieux mettre en avant une ou deux scènes-chocs. Son second, La Soledad, jouait beaucoup sur la division du cadre et le split-screen, pour parler des relations humaines et de l’incommunicabilité entre les êtres. Le cinéaste a ensuite réalisé Un tir dans la tête, reconstitution d’un attentat indépendantiste vu de loin, au téléobjectif, puis Rêve & Silence suite d’improvisation en plans fixes et en noir & blanc, sur le thème du deuil et de la création artistique.

Dans La Belle Jeunesse, il filme des scènes de la vie quotidienne de Natalia et Carlos, un couple de jeunes espagnols confronté à la crise économique, au manque de moyens et à la morosité ambiante. Les personnages vivent chez leurs parents respectifs puisqu’ils n’ont pas les moyens de louer leur propre appartement. Ils essaient de s’en sortir en effectuant des petits boulots, en attendant mieux. Un “mieux” qui tarde à venir…
Pour rendre compte du profond marasme dans lequel évolue cette jeunesse espagnole aux perspectives d’avenir incertaines, le cinéaste recourt à une mise en scène épurée et une esthétique très froide.
Mais, alors qu’on aurait pu penser qu’il allait aussi user d’un rythme lent pour mener son récit, le cinéaste catalan s’ingénie au contraire à utiliser un montage rapide – du moins, plus rapide qu’à l’accoutumée – et des plans plus courts. Porté par son goût de l’expérimentation, il s’autorise même d’audacieuses accélérations du récit en utilisant les réactualisations d’un profil facebook et en faisant défiler des images sur la galerie photo d’un smartphone.

Le procédé pourrait sembler un peu trop ostentatoire, mais ce n’est pas qu’un simple gimmick de mise en scène. Il est réellement au service du propos, en permettant de montrer la vitesse à laquelle les personnages consument leur jeunesse. Natalia et Carlos n’ont pas le temps de profiter de leurs meilleures années. Ils ne peuvent se permettre d’être insouciants et de se laisser porter. Dès leur entrée dans l’âge adulte, ils sont déjà confrontés à des problèmes insolubles et des dilemmes moraux. Ils vieillissent trop vite, perdent leurs illusions trop tôt…
Le dispositif “Smartphone” permet aussi au cinéaste de s’interroger sur le contraste entre la profonde solitude des personnages face à leurs problèmes et un monde où les individus n’ont jamais été autant connectés les uns aux autres.

La Belle Jeunesse marque une évolution dans l’oeuvre de Rosales. Jusqu’à présent, le moteur de ses films était l’irruption de la violence dans la routine quotidienne. Ici, la violence est fondue dans le quotidien. Elle est totalement banalisée. C’est une violence sociale qui fait perdre tous leurs repères aux personnages, qui les pousse à accepter toutes les humiliations, comme jouer dans un film pornographique amateur pour quelques billets, pour boucler les fins de mois.

On savait que le cinéaste possédait un talent fou pour capter l’air du temps. Il le prouve encore ici, en restituant parfaitement les préoccupations de la jeunesse espagnole – et, par extension, de la jeunesse des différents pays occidentaux- et en dénonçant le poids d’un système économique mondialisé tuant l’innocence et étouffant les rêves des individus.

Il n’est cependant pas sûr que tout le monde admire le travail fourni. Jaime Rosales va, comme à son habitude, diviser les spectateurs. Certains trouveront la mise en scène trop distante, les empêchant d’éprouver de l’empathie envers les personnages. D’autres s’ennuieront devant la “banalité” du propos. D’autres encore crieront au génie.
Pour notre part, nous avons plutôt aimé La Belle Jeunesse, même si le film nous semble un bon cran en dessous de La Soledad, qui reste son long-métrage le plus emblématique.

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La Belle Jeunesse
Hermosa Juventud

Réalisateur : Jaime Rosales
Avec : Ingrid Garcia-Jonsson, Carlos Rodriguez, Inma Nieto,
Fernando Barona, Juanma Caulderon, Patricia Mendy
Origine : Espagne
Genre : chronique d’une jeunesse en crise
Durée : 1h43
date de sortie France : 10/12/2014
Note :
Contrepoint critique : TF1 News

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