Quand la poule et l’œuf s’emmêle.
« Maudits soient les écrivains publics » postillonnâmes-nous à la face de nos fenêtres à cristaux liquides, avec cette rage mêlée de culpabilité qu’avait fait naître notre incoercible curiosité. Effectivement, nous, simple mortel français, consommateur de galette bleu, se demandons quelle peut bien être cette mouche qui a piqué l’éditeur [1] pour glisser ainsi le retournement final de son film au verso de sa jaquette. Si la volonté de punir le travail de ses auteurs n’est bien évidemment pas ici manifeste – quand bien même sa privation d’une exploitation en salle nous orienterait fortement vers cette hypothèse – cette démarche éditoriale révèle néanmoins cette douloureuse fatalité qui pèse sur l’ensemble de ce modeste projet. C’est ainsi que se découvre donc le nouveau film des frères Spierig, deux cinéastes plutôt talentueux qui, après avoir projeté avec succès leur vision du vampirisme social avec Daybreakers, viennent aujourd’hui rompre la chrono-biologique humaine en adoptant la nouvelle d’un pionnier de la romance SF, Robert Anson Heinlein. Débutant par une ouverture pâlichonne durant laquelle un agent temporel essuie le terrible retour de flamme d’un feu follet pyromane, Predestination se métamorphose en un entretient logoréiheque lorsque ce dernier ouvre son comptoir à une âme maudite cherchant une oreille compatissante pour accueillir ces maux qu’il ne saurait déposer dans ses médiocres chroniques pour magazine féminin. Il parle alors de lui, mais surtout d’elle, de cette jeune fille, orpheline sans passé et brillante rebelle à l’avenir ligaturé, avec laquelle il partage cette même existence et ce même corps meurtri par l’histoire. À la lumière de cette intime confession, il flotte, dans ce dernier pub avant la fin du monde, comme un parfum d’éternité et de sanction divine dont les fragrances de Quatrième Dimension sont loin d’être déplaisantes. Mais ce voyage rétrograde ne cesse finalement de crier, à nos yeux aguerris, l’avènement d’un dénouement inévitable et de futurs contrepoints narratifs que l’on imaginent aisément devenir les clés de l’énigme que cherche vainement à couvrir les réalisateurs. La mise en scène, aussi magnifiquement éclairée soit-elle par le fidèle Ben Nott, appartient ainsi à un autre âge, celui où le public, vierge de toute prédisposition, parvenait à accueillir des récits tordus et à se faire embobiner par la technique du cadre sans émettre le moindre doute. C’était hier. Aujourd’hui, le temps a effrité ces astuces dans l’esprit beaucoup moins permissif des spectateurs, laissant désormais apparaitre une capacité de déduction de plus en plus difficile à déjouer. Ainsi, quand bien même son synopsis se serait montré moins bavard, il aurait été tout de même très difficile de se laisser prendre au piège. Pourtant, lorsque résonne, dans les décombres du fantastique, une chanson country louftingue grattée par Ray Stevens, cette prédestination se dote enfin de cette profondeur dramatique que l’on espérait tant voir noué l’histoire. « Cause now I have become the strangest case you ever saw. As husband of my grandmother, I’m my own grandpa ». (2.5/5)
[1] Sony, qui n’est décidément pas à une bêtise près ce mois-ci.
Prédestination (États-Unis, 2014). Durée : 1h38. Réalisation : Michael Spierig, Peter Spierig. Scénario : Michael Spierig, Peter Spierig. Image : Ben Nott. Montage : Matt Villa. Musique : Peter Spierig. Distribution : Ethan Hawke (le barman/l’agent temporel), Sarah Snook (Jane/John), Noah Taylor (Mr. Robertson).