La chute du faucon noir.
Il n’y a guère plus de grandes années pour Ridley Scott. La barbe hirsute et les pieds abîmés par le déclin inexorable de son cinéma, ce colosse au pied d’argile entame aujourd’hui un nouvel exode vers le récit historique, sa terre promise abandonnée depuis aux mains d’une poignée de mercenaires du post-modernisme. Pour ressusciter l’une des plus illustres page de l’histoire judéo-chrétienne, il s’arme de ses plus beaux pinceaux (140 millions de dollars et une distribution quatre étoiles) et de ses plus éclatantes couleurs (Dariusz Wolski à la photographie, Alberto Iglesias à la musique) en espérant pouvoir se faire une petites place à la droite de Cecil B. DeMille, au sommet du Mont Sinaï. Peine perdue. Il échoue à évoquer cette traversée biblique autrement qu’en la filmant comme le dernier blockbuster baveux sorti de la machinerie hollywoodienne. Son cadre est ainsi embaumé de plaies numériques, de belles poteries (l’épiperformance de Sigourney Weaver fait désormais date dans l’histoire du cinéma) et d’apparitions ectoplasmiques (Ben Kingsley et John Turturro) prompts à tirer, vers les profondeurs, le charme d’un spectacle à peine transcendé par la transparence de son accompagnement musicale. Le discours est froid, mécanique, désincarné. Seul compte ici l’ampleur de la reconstitution, les faits et le rythme, imposé par une science de l’ellipse bouleversante d’inélégance, témoignant par là même des nombreuses démissions opérées par le cinéaste au moment de la post-production de son ouvrage. Il semble en effet difficile, voir même proprement impossible, de traiter cette marche historique en moins de deux heures trente sans en retirer, au passage, quelques organes vitaux. De ce fait, la lutte fratricide et infiniment romanesque entre un Ramsès arrogant et immature, et un Moïse schizophrène et extrémiste, s’en trouve émasculé, au même titre que les rôles féminins, réservés à la portions congrue, ingrates parures étouffées dans la richesse vulgaire sous laquelle croule ce palais de camelote. Il subsiste cependant, au milieu de cette terre aride, une oasis à l’insolence rafraichissante, au sein de laquelle le réalisateur se permet de remettre en perspective le caractère fédérateur de la religion, de traiter le messager de dieu comme un gamin puéril et spadassin, et d’émettre des doutes sur la place du judaïsme dans le paysage culturel moyen-oriental. Ce discours pleinement icônoclaste parvient à exister, un peu, avant que les bras d’une mer démontée par les vents et les marées ne referme définitivement cette terrible occasion manquée. En dédiant ainsi, dans un ultime élan, cette œuvre à son défunt frère, Ridley Scott souhaitait sans nul doute offrir une pyramide à la juste mesure de l’effroyable deuil dont il essaye désespérément de s’acquitter. Mais sous ce pontifiant tombeau, le spectateur ne découvrira rien de moins que le talent gâché d’un artiste en crise. (2/5)
Exodus – Gods And Kings (États-Unis, 2014). Durée : 2h31. Réalisation : Ridley Scott. Scénario : Adam Cooper, Bill Collage, Jeffrey Caine, Steve Zaillian. Image : Dariusz Wolski. Montage : Billy Rich. Musique : Alberto Iglesias. Distribution : Christian Bale (Moïse), Joel Edgerton (Ramsès), John Turturro (Séthi), Ben Kingsley (Noun), Ben Mendelsohn (le vice-roi Hegep), Aaron Paul (Josué), Golshifteh Farahani (Néfertari), Sigourney Weaver (Touya).