Pour clore une année 2014 définitivement placée sous les meilleurs hospices, le dernier long métrage de J.C Chandor, A most violent year, est venu écrire un point final fort brillant à cette année cinéphile.
Parfois, en entrant dans un restaurant, on ressent l’étrange et inexplicable sensation que la soirée sera sincèrement agréable. Sans savoir encore précisément à quoi l’on doit ce ressenti, la décoration, le sourire la serveuse, ou les bouteilles de vin étalés au dessus du bar nous amènent à penser que nous avons bien choisi notre endroit. Au cinéma, il n’est pas rare de ressentir un sentiment similaire, les toutes premières minutes d’un film nous faisant d’emblée comprendre que nous sommes parti pour vivre un vrai moment de cinéma. L’ambiance sonore, la musique, l’esthétique, le travail de la photo, les premiers traits des acteurs nous laissent tout de suite penser que nous ne nous sommes pas trompé de séance. Indubitablement, A most violent year appartient à cette catégorie de film. Il suffit d’à peine 3 minutes de pellicule pour que l’on soit plongé dans un univers pesant, noir, malaisé par certains aspects, mais que l’on ne veut quitter pour rien au monde. A bien des égards, ce troisième long métrage de ce jeune cinéaste fait office de synthèse des qualités de ses deux prédécesseurs, et se résumera sous l’expression galvaudée de film de la maturité. A most violent year combine les atouts majeurs de Margin call et All is lost. Si le premier témoignait d’une grande qualité de raconteur d’histoire par le biais d’un scénario tiré au cordeau, le second tenait sur un argument plus maigre mais faisait preuve d’un réel talent de mise en scène. Ici, les deux aspects seront combinés parfaitement, tant dans l’écriture que dans le filmage. La mise en scène de Chandor est ici en parfaite adéquation avec le propos du film : d’une pâle mais belle froideur. Margin call tirait le portrait d’un capitalisme brutal et sans pitié, là où All is lost exposait le périple d’un homme seul contre les éléments. A most violent year se retrouve à la croisée de ses deux grands frères en nous plongeant dans les turpitudes d’un homme ambitieux (doux euphémisme), qui, plongé dans un véritable panier de crabe, devra lutter corps et âme pour se maintenir dans la voie de la vertu.
Si le film n’est pas sans faire penser à l’univers de Brian De Palma (L’impasse), de James Gray (The Yards), ou encore aux films noirs dans leur ensemble, il réussit, d’une manière plutôt inhabituelle, à nous présenter une histoire aux vagues accointances avec l’univers des gangsters. D’ordinaire dans ces films (y compris les chefs d’oeuvre du genre), de riches et puissants hommes mêlés à des trafics plus ou moins nets, tentent vainement de nous faire croire à de grands principes en se fourvoyant par ailleurs dans 1001 délits ou crimes, n’hésitant pas à jouer de la gâchette à tour de bras. A l’inverse de Robert De Niro ou Al Pacino, véritables modèles de testostérones, Oscar Isaac, remarqué chez les frères Coen (Inside Llewyn Davis) et livrant à nouveau une interprétation d’une grande justesse, nous offre un personnage dont la lutte principale est cette fois de tenter de rester dans la giron de la légalité. Le film se déroule en 1981 à New York, l’une des périodes les plus violente qu’ai connu la ville, où les agressions et les assassinats étaient le pain quotidien des informations locales. L’intrigue, à tiroir, nous emmène dans différentes directions : Abel Morales (Isaac) a 30 jours pour réunir une sommes substantielle afin d’acquérir des locaux propices à l’essor de son entreprise. Parallèlement, la convoitise que sa réussite fulgurante suscite provoque de nombreuses agressions sur les chauffeurs de camion de fioul de sa société, sorte d’intimidation, de loi de la jungle ou chacun doit gagner son territoire.
L’esthétique froide, presque austère du film, par l’entremise d’une photo très soignée, privilégiant les teintes ocres et grises, est au service de cette réflexion glaciale sur « l’american-way-of-life ». La femme d’Abel n’hésite d’ailleurs pas à le surnommer, un brin ironique : monsieur « je-vis-le-rêve-américain« . En effet, cet émigré plus besogneux que ses concurrents et probablement plus doué qu’eux (de l’aveu de ces derniers) s’est construit un empire à force de ténacité et d’ambition. Son couple n’échappera pas lui non plus aux profonds questionnements que soulèvent son incorruptible quête de droiture, Jessica Chastain (Zero Dark thirty, Take Shelter) n’hésitant pas à tourner en dérision ses plus nobles principes. Cette dernière campe ici une véritable femme fatale du film noir. Décidément devenue une des coqueluches du cinéma américain, elle électrise l’écran par sa présence érotique. Son charme et sa sensualité sont prompts à rendre fou de désir le plus chaste des moines. En définitive, A most violent year est une saisissante réflexion sur le capitalisme et le modèle méritocratique, prônant la réussite individuelle. Peut-on, aujourd’hui, nourrir des ambitions dans le monde des affaires sans avoir de près ou de loin à sombrer dans le vice ? La frontière apparaissant somme toute bien ténue entre le business et le banditisme. Pour une fois, l’épigraphe emprunté à Télérama présent sur l’affiche se justifie : magistral !