Chemin de croix.
Qu’est t-il arrivé à Spike Lee ? Ce réalisateur engagé, qui s’est longtemps tenu à l’ombre des modes du cinéma mainstream afin de pouvoir perfectionner, avec plus ou moins de succès, mais toujours avec sincérité, la vision de son art, se serait-il perdu au point de céder aujourd’hui son talent à l’exercice du remake ? Cette question, elle s’impose, logiquement, dans nos esprits, lorsqu’est cité son nom pour réaliser l’adaptation d’Old Boy. En répondant par l’affirmative à cet appel, lui qui a souvent braqué sa caméra sur des êtres déchus en conquête de rédemption (Malcom X, She Hate Me, 24 Heures Avant La Nuit), il choisit d’endosser l’avilissante casquette du fossoyeur afin d’exhumer les reflets gravés par Park-Chan Wook sur sa pellicule, devenue mondialement célèbre pour avoir ouvert les portes des salles occidentales au cinéma sud-coréen, et qui, ne l’oublions pas, fut, elle-même, une relecture d’un manga japonais signé Nobuaki Minegishi et Garon Tsuchiya. Un recrutement inattendu qui semble, à première vue, trouver sa raison dans une démarche de reconquête, le studio souhaitant vraisemblablement apporter à ce projet l’image d’une production éclairée en plaçant à sa tête un maitre d’œuvre reconnu pour son indépendance artistique. Pour autant, cette plus-value demeure de façade, cette version américanisée ne parvenant pas véritablement à s’émanciper de l’ombre de son modèle. Joe Doucett partage ainsi avec son alter-ego coréen davantage qu’une lointaine parenté phonétique. Père divorcé odieux et libidineux, séquestré pendant près de vingt années, sans raisons apparentes, dans un deux-pièces défraîchi, Joe consacre sa libération fortuite à traquer les responsables de son exil et à percer l’énigme de son isolement et de son retour à la vie. Comme dans le film original, il suivra un jeu de piste macabre qui le conduira à se projeter les souvenirs de l’être abjecte qu’il fut, mais également à considérer celui qu’il est désormais devenu par l’entremise d’une jeune infirmière, accessoirement ancienne toxicomane. Face à l’ampleur symbolique de l’épreuve, l’objectif de Spike Lee est écartelé entre la volonté d’entretenir cette filiation avec le film de Wook, et un évident désir d’émancipation. Pour une dégustation de pieuvre avortée, il réorganise l’espace de son beat-them all en scrolling horizontal. Pour une poignée de traits singeant l’audace technique de son modèle, il en trace d’autres beaucoup plus singuliers (parmi lesquels son fameux dolly-shot). La manière dont il orchestre ses écarts techniques et narratifs (surprenante mise en scène des flashbacks) et dont il habille ses arrières-plans (l’héritage ségrégationniste incarné par la figure du groom noir, l’omniprésence de la croix chrétienne, compagnon de contrition du héros) paraissent peu adroites – laides diront certains critiques. Cependant, ce qu’il faut comprendre, au-delà du mimétisme dont font montre certains passages, c’est que cette version est moins le cauchemar surréaliste développé par l’original qu’une croisade pulp et théâtrale à laquelle la prestation mephistopheletique de Sharlto Copley et le look pittoresque arboré par Samuel L. Jackson donne tout son caractère. Derrière ce travail de petit artisan, bête et méchant, se cache donc, en marge, les courtes manœuvres d’un petit maitre. (3/5)
Old Boy (2013, États-Unis). Durée : 1h44. Réalisation : Spike Lee. Scénario : Mark Protosevich. Image : Sean Bobbitt. Montage : Barry Alexander Brown. Musique : Roque Banos. Distribution : Josh Brolin (Joe Doucett), Elizabeth Olsen (Marie Sebastian), Sharlto Copley (Adrian), Michael Imperioli (Chucky), Samuel L. Jackson (Chaney).