[Critique] Wild réalisé par Jean-Marc Vallée

Par Kevin Halgand @CineCinephile

« Après plusieurs années d’errance, d’addiction et l’échec de son couple, Cheryl Strayed prend une décision radicale : elle tourne le dos à son passé et, sans aucune expérience, se lance dans un périple en solitaire de 1700 kilomètres, à pied… Cheryl va affronter ses plus grandes peurs, approcher ses limites, frôler la folie et découvrir sa force.Une femme qui essaye de se reconstruire décide de faire une longue randonnée sur la côte ouest des États-Unis. « 

« Si c’est au dessus de tes forces. Dépasse-toi. »

Élue femme la plus puissante d’Hollywood il y a quelques mois de cela par le magazine Variety, la Reese Whiterspoon des années 2010 n’a plus grand-chose à voir avec la petite actrice qui accumulait les petits rôles de téléfilms avant de ce faire remarquer dans le rôle d’une blonde dont on se moquait avec délectation et méchanceté. À la tête d’une société de production nommée Pacific Standard, l’actrice d’origine de la Nouvelle Orléans s’exprimait il y a peu à propos du film Gone Girl de David Fincher, qu’elle a en partie produit et déclarait prendre du plaisir à produire des films, mais que cela demandait énormément de temps. En effet, contrairement à la France, les producteurs américains n’ont pas la même influence sur les films qu’ils produisent. Ils ne sont pas simplement là en tant qu’aides financières, ils sont également au cœur de la production du film avec un avis critique sur le scénario, le tournage, les lieux de tournage, le casting… Le système bâti lors de la création du cinéma Hollywoodien, perdure tel quel aujourd’hui, les producteurs américains restent les marionnettistes et contrôlent absolument tout. De ce fait, Reese Whiterspoon est devenue une femme d’affaires et en a profité pour monter sa société qui produira essentiellement des films qui offriront aux femmes des rôles forts, jusque-là attribués fréquemment aux hommes. Avec Wild, elle s’affirme en tant que productrice aguerrie puisque c’est elle qui a acheté les droits du roman écrit par Cheryl Strayed, avant même sa parution, croyant au potentiel du film et dans l’optique de tenir le rôle principal. Après quelques désaccords et craintes, quant à l’avenir de cet hypothétique long-métrage, Wild a enfin trouvé le chemin des salles obscures françaises. La blonde contre-attaque ?

Nouveau long-métrage signé Jean-Marc Vallée, réalisateur de l’épatant Dallas Buyers Club qui avait offert l’un des plus grands rôles de sa carrière à un Matthew McConnaughey et par ailleurs un bel Oscars 2014 du meilleur acteur, Wild ancre le réalisateur canadien dans la volonté de transcrire à l’écran les vies de personnages atypiques, vies parsemées d’embûches, mais réunies par la volonté de surpasser tout ça pour vivre un futur plus apaisé. Biopic adapté du livre écrit par Cheryl Strayed elle-même et paru en 2012, qui retrace son parcours et sa vie passée, Wild conte l’histoire d’une jeune femme perdue, dont les tourments de la vie l’on menés jusqu’à un point de non-retour, mais dont la volonté est d’effectuer le Pacific Crest Trail afin de se retrouver confrontée à elle-même, faire enfin le deuil du passé et entamer une nouvelle vie sur une page blanche. La confrontation avec son ainé Into the Wild est un passage obligatoire. Un humain se retrouve seul contre tous, mais avant tout seul dans une nature hostile qu’il ne connaît pas, mais avec laquelle il va devoir s’unir pour devenir plus fort. Cette phrase peut correspondre aux deux longs métrages, mais néanmoins le parallèle ne va pas plus loin et s’arrête à ce niveau, puisque Wild ne cherche pas à mettre en avant la nature comme un personnage à part entière. Présente avec parcimonie, la nature sera un obstacle si et seulement si, le protagoniste le voit comme tel. Omniprésente à l’image, cette nature n’est pas un personnage, mais un élément qui va faire partie intégrante de la rédemption de Cheryl Strayed. Pouvant être belle comme terrifiante, la nature est imprévisible à l’image du passé du personnage principal.

Aussi purificatrice soit-elle, cette marche de rédemption va faire ressortir les nombreux évènements passés qui hantent l’esprit de Cheryl Strayed. Bâti en usant comme fondation la marche de rédemption, caractérisant le présent comme repère temporel, le scénario repose sur un montage parallèle qui permet d’effectuer des liaisons entre le passé et le présent. Au travers de nombreux retours dans le temps, monté parallèlement au récit présent afin d’incrémenter quelques rapprochements intéressants, qui permettront simplement au travers de l’image de savoir dans quel état psychologique se trouve le personnage, Cheryl Strayed va se dévoiler et affronter son passé. À l’inverse de nombreux films, entachés par la volonté du scénariste d’inclure des flashbacks dans le but d’ancrer le récit dans une forme d’empathie non-volontairement irrespectueuse et perverse à l’encontre des personnages, Nick Hornby a effectué un travail remarquable sur l’incrémentation des flashbacks dans le récit. Raccordés par un changement de tonalité dans la bande sonore ou par une musique de fond diffusée dans la scène en question à l’aide d’une radio ou d’un autre appareil le permettant (nous sommes ici dans le passé, une vie dans une ville bruyante et non la nature qui elle n’a comme musique que le bruit des pas de Cheryl Strayed sur le sol), c’est le son qui aide à incrémenter avec punch et dynamisme ces retours dans le temps. Une fois n’est pas coutume, c’est donc l’usage de flashbacks qui permet de donner du rythme au film et non le contraire, chose possible grâce aux talents du scénariste et des équipes techniques en charge du montage sonore comme image.

Toujours plus proche du personnage, lorgnant sur une forme de contemplation vis-à-vis de ce dernier, Jean-Marc Vallée ressert sa réalisation sur le protagoniste. Le jeu de l’actrice à l’image n’en est que plus brillant et l’immersion du spectateur en découle de même, mais tout cela reste au détriment des paysages traversé, ainsi que d’une quelconque recherche dans les cadres ou la profondeur de champ. Une très belle photographie et de beaux décors servent sur un plateau d’argent l’imagerie du film, mais Jean-Marc Vallée ou un autre, le résultat aurait été semblable. On est plongé dans l’action auprès des personnages et on ne fait pas forcément attention à tout ce qui se déroule autour. Par ailleurs, dans le but de réussir la connexion avec le protagoniste du film, il est important au spectateur de se lier très rapidement au protagoniste. Débutant sur une scène d’introduction qui donne le ton, le film use sans plus attendre de la douleur pour rendre le protagoniste fragile, à fleurs de peau, mais à l’esprit combatif. Débutant sur la douleur, la seconde scène du film réussi à enfoncer le clou et à rendre ce petit bout de femme aussi charmant qu’attachant en utilisant cette fois son gabarit et sa faible corpulence au travers d’une scène de préparation qui permet de faire redescendre la tension par quelques sourires. En l’espace de deux scènes, à savoir cinq minutes de film, Nick Hornby, scénariste du film, réussit à faire 50% du travail final, en rendant son protagoniste attachant. À partir de là, il suffit de centrer la caméra sur une Reese Whiterspoon sobre, naturelle, bien ancrée dans son rôle et qui évite avec maitrise le surjeu en toute circonstance, pour que la magie du cinéma se produise et emporte le spectateur pour une traversée rédemptrice de presque deux heures.

Académique dans le fond pour de multiples raisons, à commencer par des personnages secondaires caricaturaux et une trame principale centrée sur la marche rédemptrice d’une femme qui souhaite dépasser ces limites pour se le prouver à elle-même, mais également à ceux qui comptent ou ont compté pour elle, Wild s’en sort de belle manière grâce à une technique exemplaire, que ce soit en phase de production (une très belle photographie) comme en post-production (les plans sont bien découpés, les scènes ne s’étirent jamais en longueur et le mixage est particulièrement soigné) et un personnage principal écrit avec astuce. Attachante dès le premier plan, le lien entre Cheryl Strayed et le spectateur permet au récit de tenir en longueur et va au-delà de cela, puisqu’on va jusqu’à outrepasser les stéréotypes et autres clichés qui pourraient nous déranger, pour suivre avec attention et délectation cette longue marche qui va nous faire passer par toutes les émotions possibles et imaginables. L’attention du spectateur est happée par ce personnage à la force mentale exemplaire et incarnée avec brio par non moins exemplaire Reese Whiterspoon.