The Smell of Us : Critique

Par Cinecomca @cinecomca

SYNOPSIS 

« Paris, Le Trocadéro.
Math, Marie, Pacman, JP, Guillaume et Toff se retrouvent tous les jours au Dôme, derrière le Palais de Tokyo. C’est là où ils font du skate, s’amusent et se défoncent, à deux pas du monde confiné des arts qu’ils côtoient sans connaître. Certains sont inséparables, liés par des vies de famille compliquées. Ils vivent l’instant, c’est l’attrait de l’argent facile, la drague anonyme sur Internet, les soirées trash « youth, sex, drugs & rock’n’roll ».
Toff, filme tout et tout le temps… »
(Source : Allociné)

LE FILM

Réalisation : Larry Clark
Scénario : Scribe et Larry Clark
Photographie : Hélène Louvart
Musique : Howard Paar
Casting : Lukas Ionesco, Diane Rouxel, Théo Cholbi, Hugo Behar-Thinières

CRITIQUE

Larry Clark a toujours critiqué les dérives de la culture de masse de la société américaine en lui opposant son négatif, mais ne se cachant jamais d’être le produit de la première, faisant de lui le seul représentant d’une vrai contre-culture cinématographique à la fin des années 90 jusqu’au début des années 2000.

Troquant son appareil photo contre une caméra, nous l’avons accompagné pendant vingt ans dans un road-trip à travers les Etats-Unis pendant lequel il prie le temps de tisser une longue toile, cartographiant la jeunesse de son pays du New-York de « Kids » (1995), à la Floride de « Bully » (2001), du Midwest de « Another Day in Paradise » (1998), en passant par la Californie de « Ken Park » (2002) et de « Wassup Rockers » (2005). Après 7 ans d’absence, il finissait son voyage avec « Marfa Girl » dans une petite ville du Texas du même nom. Comme un pied de nez au système hollywoodien, il mis le film à la vente directement sur son site internet.

C’est en septembre 2010 que le réalisateur américain s’arrêta à Paris, d’octobre à janvier, pour une rétrospective de son travail de photographe intitulé « Kiss the past hello ». Cette exposition qui fit scandale suite à son interdiction aux moins de 18 ans fut un succès. De cette histoire d’amour entre l’artiste et la capital ne pouvait que n’être un film et c’est dorénavant chose faite avec « The Smell of Us ». On entend toujours dire à chaque nouvelle sortie du réalisateur qu’elle est son œuvre la plus provocatrice. Larry Clark parle de ce dernier comme de son meilleur. En tant que grand amateur de la totalité de son travail, je ne pense pas pouvoir acquiescer son propos, mais c’est à coup sûr son film qui synthétise le mieux l’ensemble de son œuvre.

Pour ce dernier film, Larry Clark pose sa caméra à Paris, et plus précisément au niveau du Dôme, la petite esplanade derrière le Palais de Tokyo, lieu de rendez-vous de skateurs. Il s’intéresse plus particulièrement aux jeunes issus des beaux quartiers du XVIème arrondissement dont certains vont durant cet été devenir escort-boys. C’est suite à sa rencontre avec un jeune parisien que Larry Clark eu l’idée du film. Il lui a commandé un scénario et le tournage s’est déroulé durant l’été 2013 non sans heurts. Celui-ci a été difficile à tourner. Le budget diminué de moitié, un plan de travail réduit, le film devait se réaliser vite. Les comédiens se mirent en grève, partant du projet en plein tournage, obligeant Larry Clark à réécrire son film en plein tournage. Le résultat final s’en ressent, mais cela n’affecte jamais le film. Bien au contraire, Clark fait preuve d’une réelle capacité d’adaptation. Bien que ne connaissant pas Paris, Larry Clark arrive à éviter le film carte postal bourré de clichés sur celle-ci tout en prenant le temps de la filmer afin d’encrer ses personnages dans leur situation. Et une fois de plus chez Clark, la notion de personnage principale n’existe pas. Il s’agit d’un groupe. Qui s’il est amené à disparaître, fera place à un autre. Et c’est ce passage de relais d’une fluidité toute déconcertante qui rend le propos si fort.

Non pas que le scénario de base devait être mauvais, il était même probablement bon, mais de ce qu’il en reste à l’écran on sent que ça ne plaisait pas à Larry Clark qui a préféré la destruction comme moteur de la création. Il a créé son film sur les cendres du travail de son scénariste, ne semblant avoir besoin que d’un point de départ pour s’exprimer. Larry Clark a toujours travaillé la fiction à partir de ce qu’il voyait dans la réalité, et déjà lorsqu’il était photographe. C’est là qu’il s’est créé son propre univers, sa propre mythologie, et son ton toujours provocateur car au plus près de ses sujets. Les « kids » de ses précédents films étaient minoritaires dans leur société d’où le besoin de Clark d’en parler. Mais là ça n’est pas pareil. Il ne filme pas la réalité, ces jeunes n’existent pas. Il n’y a plus le côté sociologique de ses autres films, car le groupe qu’il met en scène est créé de toute pièce pour l’occasion. Le film est un film sans récit ou presque, fait de fragments de vie des jeunes. Malheureusement le film tombe dans la surenchère, et nous sert des scènes où Clark s’acharne à nous montrer le salissement des personnages jusqu’à l’écoeurement. Bien que trash, il m’est difficile de penser que ces scènes ne sont là que par provocation gratuite.

Le film ne parlera probablement pas à la jeunesse, car, pour la première fois elle ne la représente pas, il n’est pas réaliste de ce point de vue. Elle en est une version fantasmée. C’est peut-être ce à quoi ils pensent mais pas ce qu’ils sont. Et à travers ce film Larry Clark ne parle plus vraiment des « kids », mais fait un film sur lui-même et son rapport à eux avec une certaine ironie, faisant preuve d’une réelle sincérité des sentiments. Le sujet est, lui filmant les jeunes. Le film parle de sa réalité intérieure, et se moque de toute cohérence des situations, et s’il veut faire apparaître dans une scène une personne alors que sa présence est impossible, et bien il le fait. Telle une mise en abîme du prétendu voyeurisme qu’on aime à lui accoler, le personnage de Toff qui est là, partout, filmant continuellement tout ce qu’il voit, est en fait un double jeune du réalisateur. A l’inverse, il se met lui-même en scène, entre autre avec le personnage de Rockstar, vieillard miteux qui ne parle jamais, sorte de projection aux yeux de Math de son propre futur. Le film peut être considéré comme son film bilan, le plus personnel. Il défend sa vision du cinéma, qui n’est pas tant de raconter une histoire, mais plutôt de faire transparaitre la vérité d’une émotion. C’est une idée très romantique du cinéma, mais s’en est une belle. Et en même temps il est fort dommage de se dire qu’il puisse nous dire adieu avec ce film qui est probablement un de ses moins bons.

Malgré les regrets, les dialogues grotesques et les défauts qui affluent de toute part, il reste une qualité indéniable au film ; sa beauté pictural. Clark aime les jeunes, on ne peut à aucun instant en douter. Et il les filme de la plus belle des façons. La manière dont ces corps contrastes avec ceux des clients âgés entre 45 et 65 ans. Superbement éclairés, de façon à signifier que oui, le premier vieillira et finira comme le second. La dialectique est alors intéressante, le réalisateur ne se présentant plus comme un adulte mais bien comme un vieux monsieur. Le regret de sa grande époque devenant insupportable. Tout le monde souffre. Les ados parce qu’ils en sont et les adultes parce qu’ils n’en sont plus probablement. En filmant son propre corps vieillissant, se faisant tatouer le même tatouage qu’un des jeunes, il se cherche une jeunesse éternelle. Jamais il ne vient salir ses personnages, mais les idolâtre, les comparants même à plusieurs reprises à des figures classiques de l’art et de la religion, de véritables chérubins. Il arrive aussi à suspendre le temps lors d’une très belle scène de boîte de nuit. Le film n’est au final qu’un flot continu de corps et d’images venants de différents supports.

Alors que Clark connaît très bien la jeunesse, la beauté du film réside dans ce sentiment de quête qui subsiste, comme s’il continuait encore et toujours à scruter ces corps, à chercher à les comprendre encore un peu mieux. Et c’est ce sentiment de recherche qui le fait se regarder en face avec une certaine ironie. Sa force est d’arriver à donner son point de vue sans jamais juger aucun personnage, tout en étant extrêmement critique face à son travail. Rarement un réalisateur ne s’était mis autant à nu. Il aurait très bien pu se reposer sur ce qu’il avait su faire avec ses deux premiers films et exploiter un filon d’un style « à la Larry Clark » mais au lieu de ça il continue à chercher, et parvient, même avec ce film éprouvant à fournir ce que l’on a vu de plus beau lorsqu’il s’agit de filmer la jeunesse.

BANDE-ANNONCE

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