Les Wachowski sont de retour et nous offrent cette fois un space opéra ambitieux et visuellement bluffant qui pêche pourtant par son écriture et ses personnages. Jupiter – le Destin de l’Univers (plus couramment appelé Jupiter Ascending) est en tout cas une sensation à découvrir sur grand écran qui ne laissera pas indifférent.
Après leur grande trilogie Matrix, les Wachowski s’étaient plantés au box office avec leur tourbillon de couleurs de Speed Racer. Une déception qui les a bien fait galérer pour accoucher de leur chef d’oeuvre financé de manière indépendante, Cloud Atlas, qui n’a pas rencontré le succès attendu avec un distributeur frileux à sortir ces ovnis cinématographiques. Qu’à cela ne tienne, Warner Bros reste tout de même l’un des rares studios à financer ses poulains et à prendre des risques. Et lorsque le frère et la sœur lui ont pitché leur nouvelle histoire, ils y ont sans doute vu le potentiel d’une franchise en devenir (ce qui tombait à pic vu que Harry Potter et le Hobbit prenaient fin, de même que le fructueux partenariat avec Legendary Pictures) et d’un possible challenger à Star Wars.
Hélas les réactions sur les premières images et le décalage de 6 mois de la sortie qui étaient initialement prévue l’été dernier ont fait courir toutes les rumeurs sur la qualité du film. Mais si certains s’attendaient à un gros navet au budget trop gourmand, Jupiter Ascending reste tout de même un film-univers passionnant, même si il souffre d’un manque d’équilibre certain. Passée cette genèse un peu difficile, passons donc maintenant au film en lui-même.
Après une scène d’introduction intimiste de toute beauté, les Wachowski débutent leur film sur deux fronts. D’un côté, nous faisons la connaissance de notre héroïne, Jupiter (Mila Kunis), jeune femme de ménage russe exilée avec sa famille aux USA qui rêve évidemment, telle Cendrillon, d’une autre vie. De l’autre, nous nous retrouvons aux confins de la galaxie où nous découvrons une fratrie qui a l’intention de se tirer la bourre au sujet de leur héritage intergalactique au centre duquel se trouve évidemment notre planète Terre. Le film nous donne donc d’emblée pas mal d’informations avant que Jupiter se soit secourue par un Channing Tatum blond et aux oreilles pointues et emmenée d’un coin à l’autre de l’espace, découvrant un univers bien plus étendu qu’elle ne l’imaginait (et dans lequel la Terre n’est qu’un petit rouage parmi des millions).
Alternant les tons, passant de l’humour parfois un peu grotesque à la romance légère jusqu’à l’action pure et le grandiose opéra SF, Jupiter Ascending a parfois le défaut de vouloir trop en mettre et trop en faire. Les Wacho établissent un univers grandiose et fascinant avec ce concept de guerre familiale digne de Game of Thrones étendue à toute une galaxie. Mais seulement, un film est bien trop court pour tout explorer en profondeur. Ainsi, nous serons forcément abasourdis par les images qui en jettent avec des designs d’une grande classe (le mélange de renaissance et de gothique dans l’espace en impose vraiment) et par de nombreux concepts esquissés, à la fois dans l’histoire de cet univers et dans certains personnages.
Toute l’ambition des auteurs se ressent au visionnage mais ils sont rapidement dépassés par la durée réduite du film (en sachant pertinemment qu’il n’y aura pas de suite possible) pour prendre le temps de tout installer. Ainsi, on a l’impression que de ne jamais s’arrêter et de passer d’une chose à l’autre sans prendre le temps de l’explorer. On passe alors d’un monde à l’autre, d’un ennemi à l’autre, de personnages secondaires à d’autres sans prendre le temps de les connaitre alors qu’ils ont tous des choses à dire, ce qui est fort dommage.
Pourtant, la construction du film et son univers restent passionnants, nous laissant y réfléchir encore en sortant de la séance. Et cerise sur le gâteau, Jupiter Ascending est un vrai film d’auteur, loin de toute préoccupation de studio. En effet, on retrouve encore ici les nombreuses influences mythologiques des Wachowski pendant tout le film, en particulier cette fois l’influence des contes, de la Belle et la Bête aux bottes de 7 lieues en passant par la maléfique reine tueuse de vierges, le grand méchant loup ou le Magicien d’Oz, tout cela évidemment remixé très adroitement à la sauce SF. Et les Wacho introduisent en plus là dedans des éléments de notre culture des aliens (une petite explication de crop-circle par exemple) ou nous reparlent encore de la place de l’homme face à la toute puissance du capitalisme ou de l’industrie, cohabitant encore avec des idées spirituelles comme la réincarnation. Jupiter le Destin de l’Univers recèle donc de multiples couches toutes aussi passionnantes les unes que les autres.
Malheureusement, au milieu de tout cela, les personnages souffrent un peu. Écrits à la truelle, nos héros on peine à exister, en particulier Mila Kunis que l’on sent bien peu à l’aise dans les scènes d’action avec un personnage de princesse de conte de fées sans arrêt secourue par un Channing Tatum bien plus à l’aise dans son rôle de chasseur introverti qui assure dans les combats en bottes volantes face à un Eddie Redmayne frisant le ridicule en bad guy. Ce défaut est heureusement compensé par des images à couper le souffle et des scènes d’action parfaitement maîtrisées.
Film-univers à la fois riche et complexe et en même temps d’une simplicité parfois trop naïve, Jupiter Ascending est un objet cinématographique passionnant, dans ses qualités comme dans ses défauts, assurant comme il faut le spectacle mais décevant sur son écriture. Et quand on a autant envie d’en savoir plus sur ce monde créé par les Wachowski, on a bien envie d’une suite (pas forcément avec les mêmes personnages) qui ne verra jamais le jour tant on sait bien que ce genre de concept original va injustement se prendre une gamelle monumentale au box-office et c’est bien dommage.