Espace de curiosité.
Dans une galaxie pas si lointaine, un changement brutal de la gravité cinématographique a bouleversé le système Wachowski. Pompier et béat disent certains, rafraichissant et audacieux clament les autres, leur cinéma a en tout cas cessé d’être le centre du monde pour de nombreux spectateurs depuis le choc rétinien provoqué par la supernova pop japonaise Speed Racer. Une terrible disgrâce qui a conduit à la révision du géocentrisme de leur œuvre matricielle, et réduit leur vertigineux récit trans-temporelle, Cloud Atlas, a demeurer, bien injustement, sur la face cachée de l’histoire du grand spectacle américain. Ces génies incompris (ou trop compris) ne renverseront malheureusement pas les lois de la physique par les aventures intergalactiques de Jupiter Jones (Mila Kunis, hébétée), charmante bonne contrainte de baisser la tête et faire briller la faïence de l’aristocratie new-yorkaise, alors qu’elle ne songe qu’à lever ses yeux vers ces étoiles l’unissant à son défunt père, astrologue russe victime du totalitarisme communiste. Mais celle qui repose dans la cendre va voir définitivement son existence basculer lorsque se révèle à elle sa récurrence génétique avec une ancienne souveraine de l’univers, ainsi que la concupiscence crasse de ses trois héritiers. Lana et Andy Wachowski maintiennent bien évidemment ce récit sur les grands axes du space-opera à papa, avec écosystèmes exotiques, monstres baroques et sombres manœuvres politiques. Cependant, tout l’art dont le tandem s’est fait une spécialité est de broder quantités d’images et d’influences aux antipodes les unes des autres. Ils rêvent de guerres des étoiles et de Brazil. Ils se paient la tête de Terry Gilliam et des grandes figures du conte européen. À l’image de leur précédents travaux, Jupiter – Le Destin De l’Univers est un joyeux bordel intergalactique, un bazar de l’espace dans lequel se brocante serviettes hygiéniques et faces de céphalopodes. Cet esprit bâtard, c’est leur identité. Ce cabinet de curiosité est le pur reflet de leur amour pour les personnages boiteux et marginaux, pour ces conflits d’identité et cette confusion des genres qui les constituent et les érigent en figure anti-totalitaire, pouvoir ici incarné par des cochons capitalistes aux postures crypto-gay et vocalises bronchitiques (Eddie Redmayne, au jeu outrageusement corseté). Certains décèleront derrière cette esthétique steampunk des corps, des idées et des univers, une vraie sensibilité et une intelligence au diapason de la virtuosité technique et musical dont le film fait régulièrement l’étalage. D’autre trouveront cette débauche d’artifices bien vaine face à la piètre profondeur des motivations affichées par les protagonistes et leurs nemesis. Enfin, il y aura celles et ceux qui se situeront au milieu de cette bataille, commuant la faiblesse des enjeux par l’effervescence des intentions émises par un duo à nul autre pareil dans la galaxie cinématographique. (3/5)
Jupiter Ascending (États-Unis, 2015). Durée : 2h07. Réalisation : Andy Wachowski, Lana Wachowski. Scénario : Andy Wachowski, Lana Wachowski. Image : John Toll. Montage : Alexander Berner. Musique : Michael Giacchino. Distribution : Mila Kunis (Jupiter Jones), Channing Tatum (Caine Wise), Eddie Redmayne (Balem Abrasax), Sean Bean (Stinger Apini), Douglas Booth (Titus Abrasax).