« À l’époque où il incarnait un célèbre super-héros, Riggan Thomson était mondialement connu. Mais de cette célébrité il ne reste plus grand-chose, et il tente aujourd’hui de monter une pièce de théâtre à Broadway dans l’espoir de renouer avec sa gloire perdue. Durant les quelques jours qui précèdent la première, il va devoir tout affronter : sa famille et ses proches, son passé, ses rêves et son ego…
S’il s’en sort, le rideau a une chance de s’ouvrir… »
Il arrive enfin sur nos écrans. Film attendu comme un nouveau messie technique par tous les cinéphiles français, Birdman débarque, 5 mois après sa sortie américaine sur nos écrans, et tout (ou presque) a déjà été dit, alors que presque personne ne l’a vu dans notre pays. Entre rumeurs sur son aspect technique et déclarations sulfureuses de son réalisateur sur le genre qu’il aborde dans le film, Birdman n’a pas fini de faire parler de lui. Mais qu’en est-il réellement du nouveau bébé du réalisateur de 21 Grammes?
Déception. C’est le sentiment qui persiste encore, plusieurs jours après mon visionnage de ce que je voulais être mon premier immense coup de cœur de 2015. Trop d’attente déçoit souvent, mais pas que, tant ce Birdman ne tient pas ses promesses, et qu’elles étaient grandes et nombreuses ces promesses!
Commençons par l’aspect positif (mais toutefois mitigé) du film : sa technique. C’est grand, très très grand. Ce plan-séquence de fou furieux où, la plupart du temps, on ne voit pas comment ils ont fait, ces plans hallucinants qui valent à eux seuls l’achat d’un Blu-Ray rempli de bonus. Oui, sur ce point, Birdman marque une (petite) révolution. Petite, car Hitchcock l’a fait ce film en un plan-séquence (ou presque), tout comme Gaspard Noé avec son Irréversible, et parce que Gravity poussait déjà loin les limites de la technologie et du numérique au cinéma un an avant Birdman.
Gravity, justement. C’est à Gravity, ce chef d’œuvre à la mise en scène aérienne que l’on pense. Et c’est pour moi le premier problème du film. Les deux films ont un point commun: Emmanuel Lubezki, directeur de la photographie qui (on ne va pas se mentir) a permis les exploits techniques que sont les films. Et justement, Birdman ne ressemble pas à un film d’Inarritu, c’est, sur la technique, le film de Lubezki. En réalité, c’est un film très bâtard, car les cadres ressemblent à du Inarritu, là où l’emballage est 100% « Lubezkien » avec un arrière goût de Paul Thomas Anderson des premières heures. Et cette sensation d’œuvre bâtarde est déstabilisante, d’autant que le film se situe sur plusieurs jours, et que le film ne coupe pas. Du coup, sur le même plan, à 20 minutes d’intervalle on passe d’un jour à l’autre, et ça fait presque mal à la tête. Ajoutez à cela l’aspect un peu « regardez ce que je sais faire » du dispositif de mise en scène, dont la pertinence est parfois absente, et cet unique long plan-séquence devient bien vite discutable.
Et le principal point sur lequel déçoit le film est immédiatement lié à son utilisation du plan-séquence, car, au-delà de cette maîtrise insolente de la technique, Birdman est un film banal. En ce sens, il rappelle le Boyhood de Linklater, bel emballage, mais fond relativement banal. Pas forcément mauvais, juste banal. Sortez ce même film avec une mise en scène « classique », avec du découpage, des champs-contrechamps, etc, et le buzz ne sera pas du tout le même. Si vous voulez mon avis (et j’imagine que vous êtes un peu là pour ça), ce serait même l’inverse.
Car le principal problème du film, c’est son fond. Inarritu a eu des mots plus que durs à l’encontre de l’industrie hollywoodienne, sur les blockbusters et films de super héros, qu’il juge être des « génocides culturels » pour le cinéma. Et c’est ce qui ressort du film, tant la plupart des personnages (et des spectateurs dans le film) crachent sur les films de super héros et dénigrent ce qui est aujourd’hui devenu un genre à par entière, où les pépites (et chef d’œuvres, osons le terme) comme les films médiocres s’enchaînent. Mais Inarritu met tous les films dans le même panier, comme il met tous les spectateurs lambda (accros de Twitter ou fans de film de super héros) ou critiques (êtres dédaigneux, bourgeois et intellectuels ringards sans ouverture d’esprit) dans le même panier. Le propos du film donne l’impression qu’Inarritu veut faire le sale gosse et critiquer ouvertement l’industrie où il est arrivé, comme il veut se moquer de ses spectateurs et critiques.
Mais malheureusement, on a l’impression qu’Inarritu ne sait même pas de quoi il parle. On se demande s’il a vu les films de super héros encensés par Paul Thomas Anderson, ou s’il s’est contenté de se construire une image mentale caricaturale du genre. Car à un certain moment du film, on a clairement l’impression qu’il ne sait pas de quoi il parle, tant il convoque une parodie de super héros movie gênante et éloignée de ce que l’on peut voir dans le genre aujourd’hui. Pour Inarritu, seul le théâtre semble être un art noble, tant ses personnages d’acteurs sont épargnés de cette bêtise enfantine qui caractérise le reste du monde. C’est sans doute aussi pour cela que le film ressemble à du théâtre filmé.
Évidemment, tout n’est pas à jeter dans le film, loin de là, et en premier lieu, les acteurs sont époustouflants. Si le film joue dans le méta textuel un peu lourd à travers les rôles de Michael Keaton et Naomi Watts, cela permet aux acteurs d’étaler leur palette de jeu. Et s’il y a de nombreux passages dans le film où l’aspect méta est surligné (le « Birdman can play? » à l’entracte), il offre parfois de beaux moments de poésie et d’ironie un peu cruelle. Certains moments sur scène, la séquence où Keaton marche sur Times Square, les discussions entre Edward Norton et Emma Stone ou encore le bout de séquence dans le Drug Store sont de beaux moments, malheureusement engloutis au milieu du reste.
Si l’Oscar du meilleur acteur semble promis à Michael Keaton, je croise les doigts très fort pour qu’Edward Norton obtienne celui du meilleur second rôle. Bien que Keaton fasse le job d’excellente manière, Norton est totalement au-dessus du reste du casting, dans son rôle d’acteur un peu cramé qui bluffe le tout New York (et les spectateurs également). Si Emma Stone délivre également une très bonne composition et que sa nomination à l’Oscar est méritée, il est toutefois décevant de voir qu’Andrea Riseborough et Naomi Watts ne soientpas nominées, tant leurs interprétations sont bien meilleures que celle d’Emma Stone.
Au final, Birdman n’est pas un si mauvais film, mais il est une amère déception. Une œuvre de sale gosse un peu cynique qui semble se penser génie en tapant sur tout le monde, en caricaturant à tort et à travers, et en réalisant mieux que tout le monde. Et ça fait chier.