[Critique] Martyrs réalisé par Pascal Laugier

Par Kevin Halgand @CineCinephile

 » Je voulais que chaque coup soit douloureux, non par quelque discours moral sur la représentation de cette violence, mais parce que c’est le sujet même du film : au bout, tout au bout de la violence, est-ce qu’il y a quelque chose ? Je crois qu’au fond, c’est le genre de questions que posent tous les films d’horreur que j’aime ; en quoi et pourquoi la condition humaine est-elle aussi atroce ? « 

Pascal Laugier

« Rarement des scènes n’auront été aussi difficiles à regarder au cinéma. »

À la première lecture du scénario, Richard Grandpierre, producteur, a déclaré : « Je ne vais pas le faire. C’est insupportable ». Richard Grandpierre avait produit Irréversible de Gaspar Noé, qui avait fait un scandale à Cannes en 2002, notamment à cause d’une scène de viol particulièrement violente de 9 minutes. En 2008, Martyrs a également fait scandale au marché du film à Cannes, à cause de sa violence extrême. Mais les deux films ont leurs fervents défenseurs. Pour commencer, il est assez rare que dans un film d’épouvante, le cinéaste réussit dès la 1ère seconde à nous faire pénétrer dans son univers. L’intensité avec laquelle le cinéaste nous plonge dans ce long métrage est remarquable est magnifiquement bien pensé. La fuite de la jeune Lucie est un moment clé du film et réellement intense. Après cette entrée en matière des plus passionnantes, Pascal Laugier nous présente une jeune fille totalement traumatisée qui se lie d’amitié avec la jeune Anna qui fait son possible pour l’aider à sortir de son traumatisme.

Après avoir vu le film, vous vous direz surement que les minutes les plus atroces du film ne sont pas les scènes de boucheries, mais les cinq minutes qui précèdent le début de cette barbarie. J’en profite pour féliciter les maquilleurs de ce film qui ont fait un travail tout à fait remarquable. En effet après avoir regardé le film plusieurs fois, cette scène ou toute la famille est en train de petit-déjeuner tranquillement alors que l’on apprend par la suite que le sous-sol est un endroit des plus macabres. Je me permets un petit aparté pour indiquer que j’ai apprécié l’apparition de Xavier Dolan dans le film, si courte soit-elle… Cette scène est à mon sens une métaphore sur la réelle identité de l’être humain, sa nature, son origine. La dualité de l’homme est une thèse qui ne date pas d’aujourd’hui, mais il semble logique que Pascal Laugier s’en soit inspiré. Lors de cette scène on observe avec étonnement que les parents sont tout à fait capables de mener une vie toute à fait normal avec leurs enfants alors qu’ils sont en fait deux horribles tortionnaires. Pour cette même raison, cette séquence de mise en place est une des séquences les plus importantes et impressionnantes du film. Elle repousse les limites, elle illustre la totale indifférence des parents envers la souffrance qu’endurent leurs victimes. J’ai également trouvé original que, pour une fois, l’intégralité d’un film d’horreur ne se déroule pas dans une maison morbide, totalement délabrée avec des toiles d’araignées et de la poussière partout (je tire un peu le trait). Non, ici Pascal Laugier installe le spectateur dans une maison dont on ne se soucierait de rien à priori, tout semble ancré dans la normalité : une famille de la classe moyenne avec une vie de famille qui semble tout à fait banale à priori. Martyrs repose sur la force avec laquelle le scénario se détourne des codes habituels du genre pour nous égarer et remettre en question nos propres connaissances sur les films d’horreur.

Comme il est dit dans le synopsis, Lucie, sûre d’avoir retrouvé ses ravisseurs, décide de laisser libre court à ses pulsions meurtrières et déchaine sa haine avec une soif de vengeance très impressionnante. Cette scène d’ouverture sur la première partie du film est l’une des plus glaciales du film et laisse totalement bouche bée. Malheureusement pour Lucie, la vengeance va être de courte durée, car elle est très rapidement replongée dans ses hallucinations. En effet, abattre ses ravisseurs ne l’aura pas empêchée d’avoir toujours ses hallucinations qui la hantent depuis 15 ans. Et c’est à Mylène Jampanoi que l’on doit beaucoup, car pour un rôle aussi prenant et intense, il faut avouer qu’elle s’en sort magnifiquement bien. Elle est totalement hantée par son personnage. C’est pour cette raison que j’admire énormément chez certains acteurs, leur capacité à s’abandonner totalement à leurs personnages. Paradoxalement, avant même le démarrage de la seconde partie du film, le cinéaste met en place un nouveau personnage, qui a l’opposé de celui composé par Mylène Jampanoi, s’avère moins charismatique. En effet, Mademoiselle (son nom) n’est pas si effrayante que ça et je trouve que ses apparitions sont trop peu fréquentes pour qu’elle fasse partie des personnages clés du film. Y’aurait-il eu une erreur de casting ? Peut-être que oui, je m’attendais à voir une personne beaucoup plus effrayante, angoissante, passionnée par ce qu’elle raconte. Une actrice à la composition à la limite de la folie, totalement névrosée et imprévisible. Et son petit carnet, son « journal intime » est pour moi totalement raté. Il aurait été préférable de montrer des scènes de torture de personnes martyrisées, des flashbacks en lien avec ses photos. Ce qui aurait été beaucoup plus efficace, plutôt que de montrer de simples photos. Cela est vraiment dommageable.

Néanmoins, cette petite déception va très vite être oubliée par l’incroyable interprétation de Morjana Alaoui. Je pense que ce qui fait la force de Martyrs c’est le choix des deux actrices principales. Morjana Alaoui et Mylène Jampanoi sont toutes les deux extrêmement impressionnantes dans ce film. Et c’est dire que ce film était des plus exigeants en terme de rôles à interpréter. D’ailleurs pendant une scène, Morjana Alaoui, qui n’avait pas fait la différence entre le décor et les vrais objets, est passée par une plateforme non sécurisée. Elle a fait une chute de trois mètres, et s’est cassé trois os. Elle a dû rester 6 semaines à l’hôpital et le tournage a été suspendu d’autant. À la manière d’un très long casting, les deux actrices possèdent chacune une très longue partie du film pour pouvoir, chacune leur tour, laisser libre court à leur excellent jeu d’actrice et ainsi nous emporter avec elles dans leurs souffrances et leur désespoir. Dans la seconde partie du film, c’est à Morjana Alaoui d’entrer en scène et de prendre les commandes. Ici commence la partie la plus polémique du film.

J’ai rarement vu des scènes aussi difficiles à regarder au cinéma. Dans la lignée de La dernière maison sur la gauche et I spit on your grave, la deuxième partie, encore plus sadique que la première nous fait sombrer dans l’horreur la plus totale, la barbarie la plus sauvage. Mais à l’inverse de ce que l’on pourrait croire, les images qui nous restent le plus en tête ne sont pas les scènes de vengeance ni l’horrible corps qui pourchasse Lucie continuellement… Pour moi la scène qui me hante depuis que j’ai vu ce film est la scène ou Anna se fait battre à grands coups de poing. Filmée avec simplicité par le biais de travelling, on ne voit le visage d’Anna, mais la rage avec laquelle ce tortionnaire la frappe est un moment qui heurte le spectateur avec violence. Cette scène est très courte, elle dure à peine 10 secondes, mais elle est à l’image d’une image subliminale que le réalisateur a décidé d’intégrer dans son film pour marquer l’esprit du spectateur le plus longtemps possible. Certaines scènes sont 10 fois plus violentes dans le film, mais elles hantent et marquent moins. C’est pourquoi je pense, et j’ai toujours pensé que ce qui était le plus effrayant dans un film d’horreur ne sont pas les scènes de boucherie morbides, mais tout ce qui était implicite, non-visuel, imaginé, et sous-entendu.

Rarement au cinéma on aura vu autant de violence aussi intensément exprimée dans un long métrage. Le martyr du film n’est autre que le spectateur lui-même qui est assis là, victime des images qu’il est en train d’absorber seconde par seconde, incapable de s’en défaire, incapable de passer outre, en sachant pertinemment qu’elles le suivront pendant un très long moment. De plus, la fin est pour moi doublement réussie, car elle laisse le spectateur dans l’angoisse de s’imaginer ce qu’il se passe après la mort. Comme je disais précédemment, la fin plutôt ouverte en probabilités permet au spectateur de voir que plusieurs hypothèses sont envisageables. À la manière de Stanley Kubrick avec ShiningPascal Laugier laisse donc également le spectateur se faire sa propre idée sur le sujet. Plus qu’un simple film d’épouvante, Martyrs est une réflexion sur la vie après la mort, sur les limites de la souffrance que peut endurer un être humain. Au-delà de la barbarie qu’engendre le film, ce long métrage illustre l’absurdité et la dangerosité des sectes. Jusqu’où peut nous emmener nos croyances ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour avoir les réponses à nos questions ? Qu’y a-t-il après la mort et est-ce à redouter? Autant de questions auquel Martyrs ne répondra pas, mais aura au moins eu le mérite de les soulever.