Voix sans issue.
Au fin fond du pelvis boisé du Massachusetts, point de Poulet Aux Prunes dans la cuisine de Jerry, un grand dadais chargé d’empaqueter des baignoires dans une usine où il fait bon travailler. Uniquement des voix, désincarnées, dont son chien et son chat deviennent les portes-paroles. Ce n’est une surprise pour personne, malgré les efforts, stériles et vains, produits par le montage et la mise en scène. Le bonhomme a réellement un grain dans la terre grise recouvrant sa caboche, semé par sa mère, nous dit-on, et qu’il ne cesse de cultiver en refusant de suivre le traitement asthénique ordonné par sa thérapeute, à la mansuétude adroitement dissimulé sous l’écorce rugueuse sillonnant le visage de Jacki Weaver. Cela lui permet de contempler la chorégraphie du monde, de se sentir moins seul dans son deux-pièces encastré à l’étage d’un vieux bowling abandonné, et d’arborer sans complexe un sourire dégoulinant à ses jolies collègues, dont il ne manque pas d’en foudroyer le cœur. Mais Marjane Satrapi, cinéaste dont les pulsions graphiques se teintent toujours d’une joyeuse iconoclastie, aime tordre le cou à la féerie des jours tranquilles, engageant ainsi lentement son récit sur le boulevard du crime. Un simple rendez-vous galant avorté se couvre soudainement d’un voile rouge-sang qui ne permet plus à ce siphonné du bocal, qui voyait jusqu’à présent sa vie en rose, d’écumer sa propre folie. Par pure perversion, ou par désir d’amnistier son âme, il décide alors d’écrêter sa victime, et en garder la cime, au frais, dans son réfrigérateur, ajoutant ainsi un nouvel organe vocal à sa psychose. Offrant un point de vue original et moins austère sur les troubles dissociatifs, la réalisatrice, sous couvert de cette apparente légèreté dont la bande-annonce et l’adorable bille de ravie de la crèche arborée par Ryan Reynolds faisaient la promotion, répand une inattendue mélancolie lorsqu’elle entrouvre les portes de l’enfance, témoignant, par là même, d’une certaine intelligence dans la construction de son univers, ne serait-ce que pour le choix des deux animaux pour refléter les deux pôles de la moralité tiraillant le « héros ». The Voices fait ainsi vibrer de belles idées, de belles couleurs, rappelant les pastels psychédéliques des pochades de John Waters. Mais ce tourbillon psychotique dans lequel nous entraine le film, par l’absence cruel de tension dramatique et la volonté d’instaurer un rythme favorisant davantage l’édification de belles plages images que l’excavation des fragments placé en arrière-plan de son intrigue (le rôle du père, la genèse du trouble psychotique chez Jerry), dépose finalement sur nos papilles un goût d’inachevé. Au final, une découverte qui vaut plus pour l’excentricité de son concept que pour le traitement dont il jouit. (3/5)
The Voices (États-Unis, 2015). Durée : 1h49. Réalisation : Marjane Satrapi. Scénario : Michael R. Perry. Image : Maxime Alexandre. Montage : Stéphane Roche. Musique : Olivier Bernet. Distribution : Ryan Reynolds (Jerry), Gemma Arterton (Fiona), Anna Kendrick (Lisa), Jacki Weaver (Dr. Warren), Ella Smith (Alison), Sam Spruell (Dave).