[Critique] Big Eyes réalisé par Tim Burton

Par Kevin Halgand @CineCinephile

« BIG EYES raconte la scandaleuse histoire vraie de l’une des plus grandes impostures de l’histoire de l’art. À la fin des années 50 et au début des années 60, le peintre Walter Keane a connu un succès phénoménal et révolutionné le commerce de l’art grâce à ses énigmatiques tableaux représentant des enfants malheureux aux yeux immenses. La surprenante et choquante vérité a cependant fini par éclater : ces toiles n’avaient pas été peintes par Walter mais par sa femme, Margaret. L’extraordinaire mensonge des Keane a réussi à duper le monde entier. Le film se concentre sur l’éveil artistique de Margaret, le succès phénoménal de ses tableaux et sa relation tumultueuse avec son mari, qui a connu la gloire en s’attribuant tout le mérite de son travail. »

« Tim Burton impose et emporte dans un univers onirique unique, avant que la magie ne s’estompe petit à petit. »

Réalisateur en roue libre depuis maintenant plusieurs années, Tim Burton n’est plus que l’ombre de lui-même et même si le cinéma qu’il met en scène regorge toujours des thèmes qui lui sont chers, il n’arrive plus à insuffler la fraîcheur et le burlesque à la fois tragicomique que l’on chérissait tant. Beetlejuice, Batman, Edward aux Mains d’Argent, Ed Wood, Mars Attack et Sleepy Hollow sont les films qui ont créé sa légende et ont permis au metteur en scène de devenir le nom qu’il est aujourd’hui. Tim Burton n’est plus qu’un nom et son cinéma tourne en rond. Attendu au tournant à chaque nouvelle réalisation, le metteur en scène américain revient en 2015 avec un projet audacieux qui nous donne envie de plonger à nouveau aux prémices de sa carrière, à l’époque d’Ed Wood. Biopic consacré à la peintre Margaret Keane, Big Eyes est une tragicomédie reposant sur les ingrédients qui font honneur au cinéma « burtonien », mais en fait-il bon usage ? L’esprit de Tim Burton a-t-il enfin intégré de nouveau son enveloppe corporelle ?

Un univers onirique ou gothique, des personnages excentriques, la valeur de la famille et une volonté d’opposition entre les classes sociales sans pour autant sombrer dans la critique facile. Voici ce qui caractérise en premier lieu le cinéma de Tim Burton, ce que le spectateur est en droit d’attendre de ce metteur en scène aux idées extravagantes, mais à la fainéantise facile. Dans ce cas précis, Big Eyes n’est pas un film de fainéant ou un film facile. Couple hors du commun, dont l’histoire a de quoi faire rêver ceux qui souhaitent croire en « l’american dream », les Keane ont réussi à duper le monde de la peinture au grand détriment de la femme de Walter Keane, Margaret Keane. Selon le proverbe, « derrière chaque grand homme se cache une femme », mais pour cette histoire l’on se doit d’inverser son sens et de concentrer notre attention sur cette femme dont la caractérisation aurait de quoi faire pâlir n’importe quelle femme de nos jours. Doté d’un talent hors norme, ce personnage aussi attachant soit-il, nous est dévoilée comme une femme soumise et beaucoup trop passive pour laisser exprimer son désarroi. Soumise à un homme caractériel et dont la misanthropie ne fera qu’accroitre en fonction de sa popularité, cette femme, aussi attachante soit-elle, nous révolte par ce manque de caractère et d’assurance. Néanmoins attachante grâce à la belle partition d’Amy Adams qui réussi à faire transparaître ce manque de caractère et cette impuissance en toute circonstance, Margaret reste dans l’ombre de ce mari dont l’excentricité et la volonté de ce mettre en valeur rappel certains personnages « burtonien ». De par sa mise en scène ou tout simplement l’écriture des séquences qui suivent les séquences d’exposition, le cinéaste n’arrive pas à faire de cette femme, une femme forte, qui malgré l’omniprésence de son mari, réussi à conserver sa fierté. Cette notion ne transparaît pas à l’image et en soit réside un manque. Subsiste de tout ça, une légère critique envers notre société de consommation et envers ce qu’est devenu l’art au jour d’aujourd’hui. Tim Burton se permet par sous-entendu et par le biais d’un court, mais intense monologue de Christoph Waltz, de déclamer sa vision de notre consommation abusive de l’art. Un propos très mince et qui aurait mérité d’être développé, car finalement plus intéressant que le reste et son portrait de la femme des années 60/70.

Fidèle à ce qu’il nous habitue depuis plusieurs années maintenant, Tim Burton livre un long-métrage dont le récit manichéen et sans surprise n’émet que trop rarement une once d’émotivité. Suivant les conventions du cinéma hollywoodien qui part d’un point A pour arrivé à un point B, le film peine à entretenir son suspense à cause de personnages qui n’évoluent pas et d’une mise en scène qui peine à se renouveler sur la durée. Recherchant l’onirisme alors qu’en parallèle le récit exacerbe le drame intérieur d’une femme qui ne peut vivre pleinement sa vie, le cinéaste américain réussit tant bien que mal à développer cet univers aux couleurs on ne peut plus chatoyantes. Cette opposition entre la douleur intérieure d’une femme et les décors colorés et ce bleu azur permanent dans le ciel, renforce cette douleur et fait véritablement de Big Eyes une tragicomédie. Jouant en permanence sur les couleurs, afin d’effectuer un parallèle entre la vie de Margaret Keane et les tableaux qu’elle peint, Tim Burton se permet de faire transparaitre les émotions par le visuel. Alors que le scénario déçoit sur tous les plans, c’est par la mise en scène et la direction artistique que le film réussit à parler aux spectateurs. Soignants quelques plans majeurs comme des tableaux de maîtres, ces derniers servent de mise en abime et sont facilement reconnaissables par leur structure qui jouant essentiellement sur les symétries et les oppositions. Malheureusement, même si très nombreux dans la première demi-heure du film, ces derniers, ce font de plus en plus rare et laisse place à une mise en scène et réalisation convenue cherchant avant tout le rythme et à faire avancer l’histoire.

Big Eyes démarre de bien belle manière. Tim Burton impose un univers onirique des plus réussi et l’embellie par des choix de cadres audacieux mettant en évidences les acteurs sur des arrières-plans faisant échos aux peintures à l’huile. Un rythme soutenu et des personnages attachants dès les premiers instants avant que la magie ne s’estompe, laissant place à un simple film parmi tant d’autres. Un film à l’écriture manichéenne et aux caractérisations qui n’évoluent pas, et ce, malgré une opposition intéressante entre cet onirisme permanent et cette bataille intérieure présente chez Margaret Keane. L’ambition du cinéaste est de transposer le couple Keane dans un univers composé d’éléments « burtoniens » et de ce qui compose les tableaux de Margaret Keane. « L’âme de Margaret Keane se reflète au travers des big eyes » comme on pourrait le dire, mais on ne pourrait aller plus loin. Il y a une base intéressante, une direction artistique intéressante, des choix de mises en scène qui le sont tout autant, mais rien n’évolue dans le sens positif du terme. Au contraire, la magie s’estompe petit à petit et laisse place à la frustration, puis à la déception.