Nous avons étudié pour vous les archives du 7ème Festival du Film Policier de Beaune et avons trouvé quelques affaires bien mystérieuses.
Pour la première partie de ce compte-rendu, un chiffre fatidique, des notables impliqués, un ex-taulard mutique doublé d’un cinéaste mythique, un polar espagnol brûlant et un carnage gastronomique……
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L’affaire du Chiffre 7
Accusé : Alain Suguenot, 7 de notable
Lieu du délit : Cap Cinéma de Beaune
Date et heure du délit : vers 7 heures du soir, le vingt-7 moins deux mars deux mille dix 7 moins deux
Rapport d’enquête :
L’individu Alain Suguenot a été retrouvé divaguant au Cap Cinéma de Beaune. Comme Jim Carrey dans Le Nombre 23, il semble obsédé par un nombre. Dans son cas, il s’agit même d’un chiffre : le 7.
Des témoins l’ont entendu se lancer dans un improbable inventaire à la Prévert, articulé autour du “7”. De prime abord, le jeu était amusant, l’individu citant Les sept mercenaires, Les sept samouraïs, les 7 nains de Blanche-Neige, les 7 Boules de Cristal de Tintin – ce qui fait beaucoup pour un seul homme – mais il a vite viré au trip mystique : le 7ème Ciel, les 7 portes du Paradis, les 7 péchés capitaux, les 7 planètes, les 7 branches de l’arbre cosmique. Le type semblait illuminé.
Le délire s’est accentué quand il a évoqué les 7 pétales de la rose, ce qui, en ces temps d’élections cantonales et dans une ville peu familière avec les idées socialistes, semble complètement incongru.
L’individu a ensuite complètement perdu le sens des réalités : “Avec Lionel (Souchan) et Bruno (Barde), nous sommes unis comme les sept doigts de la main”. Ah?!?
Apparemment, il n’est pas le seul à être frappé par cette curieuse obsession des nombres. En garde à vue, l’individu a parlé d’un certain Claude Lelouch, pour qui “7 plus 7 font toujours 13” .
Nous avons demandé un internement psychiatrique d’urgence, mais l’affaire a finalement été classée sans suite, Alain Suguenot ayant, semble-t-il, un poste haut-placé à l’Hôtel de Ville.
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L’Affaire des 58 secondes pour vivre
Accusé : John McTiernan, cinéaste et producteur américain, ex-détenu
Lieu du délit : Cap Cinéma de Beaune
Date et heure du délit : 25 mars 2015, vers 19h30
Acte accusation de Maître Age-court, petit avocat de l’accusation :
Le Festival du film policier de Beaune a rendu hommage au grand cinéaste John McTiernan, réalisateur de films d’action aussi réussis que Predator, A la poursuite d’Octobre Rouge, Le 13ème guerrier et Die hard.
Les festivaliers attendaient impatiemment d’écouter le bonhomme parler de son art et de son oeuvre. Ils ont été frustrés. Peut-être un peu sonné par les vapeurs émanant des caves locales, il a juste balbutié quelques mots de remerciements aux organisateurs.
Ah, on comprend mieux pourquoi il n’a pas signé le deuxième volet de Die Hard, 58 minutes pour vivre. Là, c’était plutôt 58 secondes pour vivre. Et encore…
Votre honneur, vous ne m’ôterez pas de l’idée qu’il est très louche de voir un homme de cette envergure de refuser de se mettre à table. Nous exigeons de pouvoir l’enfermer dans un piège de cristal avant de lui faire subir un interrogatoire aussi musclé qu’un John McClane. Yippee Ki-yay motherf… Hum, pardon votre honneur…
Plaidoirie de Maître Boustoune, avocat comique d’office :
Mon client aurait bien voulu s’exprimer davantage, mais un trop long discours aurait risqué de rallonger une cérémonie d’ouverture au contenu déjà bien dense, entre présentation des jurys, discours du Maire et du Président du Festival, présentation de l’équipe du film d’ouverture…
Par ailleurs, il était inutile de rajouter des mots au long et fervent discours de Jean-François Rauger, critique au Monde et directeur de la programmation de la Cinémathèque Française, qui a vanté toutes les qualités de mon client, à commencer par un style de mise en scène qui a révolutionné le film d’action des années 1980.
Enfin, je pense qu’il serait préférable pour mon client de s’exprimer par le biais de la réalisation de films que devant un auditoire, en espérant que les années de détention dans les sombres geôles américaines n’aient pas entamé son inspiration créatrice et son talent de metteur en scène.
Verdict : Jugement mis en délibéré jusqu’à la Masterclass, où John McT sera sûrement plus loquace.
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L’Affaire du Copié-collé, olé, olé
Accusé : Alberto Rodriguez, réalisateur espagnol, auteur de Marshland
Acte d’accusation :
Dans Marshland (La isla minima), on suit un duo de flics aux caractères opposés, envoyés au fin fonds de l’Andalousie pour traquer le criminel Kendji Girac. Ah, pardon, on nous dit dans notre oreillette que ce n’est pas ça… Un duo de flics, donc, envoyés au fin fond de l’Andalousie pour enquêter sur la disparition de deux adolescentes. Ils écartent l’hypothèse de la fugue quand ils trouvent les cadavres des deux jeunes filles dans les marécages et se lancent sur la piste d’un redoutable psychopathe qui viole et torture les femmes avant de les assassiner.
Leur enquête se heurte à l’hostilité et au mutisme de la population locale et de la famille des victimes. Elle dérange certains notables, qui n’ont pas trop envie de voir la police s’intéresser à eux, et remue les eaux troubles d’un passé encore proche.
C’est un film de contrastes. Contraste entre l’eau boueuse des marécages et l’aridité des sols avoisinants. Entre le flic sobre et placide et son binôme, buveur invétéré et partisan de méthodes plus expéditives. Entre la noirceur de l’intrigue et des comportements humains et la luminosité intense des paysages du sud de l’Espagne.
Cela vous rappelle quelque chose? L’excellente série True Detective, sans doute…
Ce qui nous amène à cette question cruciale : Alberto Rodriguez est-il un vilain plagiaire? S’est-il simplifié la tâche en faisant le copié/collé d’autres scénarios de films? Lui a-t-on mâché le travail pour Marshland?
Plaidoirie de Maître Boustoune, avocat aux crevettes :
Mon client reconnaît volontiers que le coeur de l’intrigue n’est pas des plus innovants. On est dans un schéma de polar ultra-classique, avec une intrigue ménageant fausses pistes, coups de théâtre et final grandiloquent. Mais n’est-ce pas le cas de nombreuses autres intrigues de polar? L’histoire de True Detective n’était pas non plus d’une originalité folle.
Et de toute façon, comme pour de nombreux films noirs, ce qui compte, ce n’est pas tant l’intrigue que ce qui tourne autour. L’ambiance, la psychologie des personnages, le contexte général…
Dans Marshland, le cinéaste nous entraîne dans l’Espagne du début des années 1980. Un moment-charnière pour le pays, pas encore affilié à la Communauté Economique Européenne et pas tout à fait remis des longues années de dictature franquiste. Dans un pays exsangue économiquement et traumatisé par la violence du régime de Franco, chacun essaie d’avancer à sa manière. Les jeunes ont soif de liberté et d’indépendance. ils veulent quitter les zones rurales pour tenter leur chance ailleurs. Les ouvriers luttent pour de meilleurs salaires. Les notables et les forces de l’ordre, habitués à user de leur pouvoir sans contestation possible, doivent s’habituer aux règles de la démocratie.
D’ailleurs, si les deux enquêteurs madrilènes sont envoyés dans ce coin paumé de l’Andalousie, c’est apparemment par mesure disciplinaire.
Juan, le plus âgé, a pris l’habitude d’user de la violence pour extorquer des informations aux témoins ou aux suspects, et ses vieux réflexes refont trop souvent surface. Son coéquipier, Pedro, semble plus maître de ses nerfs, mais est très remonté contre les comportements hérités du franquisme. Leur opposition est au coeur du film et elle est passionnante. On pense tout d’abord que les personnages vont rester cantonnés à des stéréotypes bon flic/méchant flic, mais ils évoluent au fil des minutes, gagnent en épaisseur et en nuances, offrant aux deux comédiens principaux, Javier Gutiérrez et Raúl Arévalo, l’occasion de briller. Ces deux flics ne sont ni des héros, ni des ordures. Ils ont leurs qualités et leurs faiblesses et évoluent sur le fil, tels des funambules, menaçant de basculer d’un côté ou l’autre. Ainsi, le film peut se voir comme une réflexion sur la frontière entre le Bien et le Mal, entre la civilisation et la barbarie. Qu’est-ce qui fait qu’un être humain normal franchisse la ligne pour passer de l’autre côté? Qu’est-ce qui l’incite à tuer ses semblables sans éprouver de remords ou, au contraire, à risquer sa vie pour sauver une personne avec laquelle il n’a aucun lien de proximité?
Même s’il peut très bien s’apprécier en l’état, Marshland est bien plus qu’un simple polar. C’est un voyage dans l’inconscient collectif d’un pays marqué par des années de dictature et de répression sanglante. Les plans aériens, sublimes, qui servent à ponctuer le film, vont tout à fait dans ce sens. Vus d’en haut, les détails du sol andalou ressemblent aux circonvolutions d’un cerveau humain. On plonge littéralement dans une matière grise constituée de souvenirs honteux, de non-dits, de traumatismes refoulés, de frustrations, de colère, de rage, de pulsions sexuelles et violentes. Là, on n’est plus dans True Detective mais dans Cria Cuervos, Ana et les loups, La Chasse ou les autres grands films allégoriques que Carlos Saura a réalisés dans les années 19760 et 1970, sous la dictature franquiste. On évolue dans un univers presque fantastique, hanté par des fantômes et des monstres à visage humain.
Avec Marshland, Alberto Rodriguez signe une oeuvre prenante, intelligemment construite, superbement mise en images, interprétée avec talent et offrant aux spectateurs de nombreux beaux moments de cinéma, que d’aucuns qualifieraient d’inventifs, comme cette superbe scène de course-poursuite en voiture au dénouement inattendu.
Non, mon client n’est pas un plagiaire. Il utilise les conventions du genre pour imposer un style de mise en scène que l’on devine très personnel. Pour cette raison, votre honneur, je demande la relaxe pure et dure pour mon client.
Interrogatoire d’Alberto Rodriguez :
”Mon film a remporté deux prix au festival de San Sebastian. Il a remporté des Goya. Ma grande fierté est de voir qu’il est encore à l’affiche en Espagne après six mois d’exploitation et qu’il a attiré plus d’un million de spectateurs.”
”On a été inspirés par deux documentaires sur cette période de transition de la dictature fasciste à la démocratie. Des documentaires qui proposaient un autre regard sur cette période assez trouble, qui ressemble finalement beaucoup à celle que nous traversons actuellement, entre crise économique, problèmes territoriaux et forte immigration.”
Verdict :
Non coupable de plagiat, mais condamné à continuer de réaliser des films de cette qualité.
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L’Affaire de la Paulée du Polar
Lieu du crime : Le Bastion des Hospices
Date et heure du crime : entre 22h et 1h du matin, le 25 mars 2015.
Extrait de déposition de témoin : “Cette soirée, c’était une tuerie!” (Medhi Omaïs, usager du Metro)
Extrait du rapport médico-légal :
Le nombre de cadavres de bouteilles découverts sur les lieux du crime est impressionnant. D’après l’expert oeno-légiste, le Vosne-Romanée est tombé le premier, suivi de près par le Beaune des Hospices de Beaune, le Nuits Saint Georges et le Chablis 1er cru.
Sur le plateau de fromages, un vrai carnage. Toutes les victimes, de Madame Bûche de Chèvre à Monsieur Brie, ont été largement amputés. Et il ne reste rien de Monsieur Epoisses, paix à son âme.
Conclusion des enquêteurs :
Chaque année, à approximativement la même date, dans le même lieu, on achève bien les boeufs bourguignon, on rend exsangues des grands crus et on saccage les moquettes à coup de sucre glace à l’atelier gaufres. Il s’agit probablement d’une sorte de crime rituel. La secte des festivaliers de Beaune est le suspect n°1. Pour les prendre sur le fait, il faudra y revenir l’an prochain…
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(A suivre…)