Entre les lignes de codes.
« On s’en fout des 0 et des 1, on s’en fout du code. ». Cette réplique, clôturant l’intense passe d’arme qui s’est jouée sous nos yeux pendant près de deux heures, résume parfaitement la tentative de Michael Mann à pénétrer le monde du hacking. Dans les premières minutes constituant l’affolant prélude à cette chasse à l’homme, son cadre nous introduit dans les casemates électroniques d’une centrale nucléaire, longeant les autoroutes cybernétiques desservant son système de sécurité afin de réaliser la séquence post-moderne attendue, se pliant, non sans un certain brio, aux codes graphiques conjointement édictées par le genre et la récente évolution technologique des effets numériques permettant de représenter les influx insaisissables à l’œil humain (mode de représentation qu’avait déjà proposé, quinze années plus tôt, David Fincher avec Fight Club). Mais, peu à peu, Hacker voit se réduire à l’image, et dans le récit, la présence des moniteurs. Insensiblement, Mann rétrogarde son intrigue, déplace le curseur de sa nouvelle expérience cinématographique afin de la situer à contretemps de cette promesse formulée en ouverture. Car, entre ces lignes de codes, l’ordinateur n’est finalement qu’un outil, une nouvelle arme pour vider les caisses. Le clavier n’est qu’une détente, les signaux électriques, le prolongement du destin en marche. En réalité, rien ne passionne plus le réalisateur que cette diode, témoignant de la présence de l’humain derrière la machine, préfigurant le risque physique à venir – ce vers quoi tend constamment son œuvre. Nick Hathaway, un pirate purgeant sa peine à l’ombre des horizons infinis, doit ainsi traquer et démasquer le fameux cyber-terroriste en parcourant le monde, jouant par la même occasion, avec les autorités fédérales, sa propre liberté. Le charisme naturel et la raideur maxillaire dont fait montre son interprète, Chris Hemsworth, s’insère alors brillamment dans la mécanique d’intériorité sur laquelle repose la force de son personnage ainsi que la scénographie humorale de son auteur. Dans cette logique, Michael Mann mêle à sa traque ses plus grandes obsessions existentialistes (l’obédience, la liberté, la solitude, la chute, la mort) et ses plus illustres motifs (la femme comme symbole d’avenir), déployant ainsi une tension tragi-romantique semblable, à degré moindre, à celle qui assiégeait son Miami Vice. Ces états de stase éparses, durant lesquels le héros se perd et s’interroge dans le creux de l’immensité du monde qui l’entoure, ces ensembles vides au cours desquels le spectateur met en perspective le spectacle qui lui est offert, se brisent, finalement, aux détours de courts mais puissants éclats, nous arrachant à l’abstraction du terrain numérique pour une violence beaucoup plus concrète. Dès lors, le cinéaste s’enquiert de la fragilité de l’être et de la trace qu’il laisse dans l’univers. « Tu croyais que j’allais le pleurer. Des personnes meurent tous les jours ». Noyé dans une marée humaine, indifférente au duel à couteau tirée se jouant sous leur yeux, les deux hommes deviennent, à cet instant, de pauvres anonymes, des points perdus dans l’espace, face à l’insoutenable pesanteur de leur existence. Là ce situe l’inaltérable magie du cinéma de Michael Mann. (4/5)
Blackhat (États-Unis, 2015). Durée : 2h13. Réalisation : Michael Mann. Scénario : Morgan Davis Foehl. Image : Stuart Dryburgh. Montage : Mako Kamitsuna, Jeremiah O’Driscoll, Stephen E. Rivkin, Joe Walker. Musique : Harry-Gregson Williams, Atticus Ross. Distribution : Chris Hemsworth (Nick Hathaway), Tang Wei (Lien Chen), Wang Leehom (Dawai Chen), Viola Davis (l’agent Carol Barrett), Holt McCallany (le marshal Mark Jessup), Ritchie Coster (Elias Kassar).