[Critique] Journal d’une Femme de Chambre réalisé par Benoît Jacquot

Par Kevin Halgand @CineCinephile

« Début du XXème siècle, en province. Très courtisée pour sa beauté, Célestine est une jeune femme de chambre nouvellement arrivée de Paris au service de la famille Lanlaire. Repoussant les avances de Monsieur, Célestine doit également faire face à la très stricte Madame Lanlaire qui régit la maison d’une main de fer. Elle y fait la rencontre de Joseph, l’énigmatique jardinier de la propriété, pour lequel elle éprouve une véritable fascination. »

« Agaçante et agacée, une Léa Seydoux solaire et énigmatique dans une œuvre intemporelle. »

Depuis 1998 et le lancement de sa carrière en tant que réalisateur, Benoît Jacquot possède une moyenne d’un à deux nouveaux projets cinématographiques par année. Chaque année, il nous gratifie d’un ou de deux nouveaux films. Faire des films c’est bien, mais mettre tout son cœur au sein d’une production c’est mieux. En cumulant les projets, Benoît Jacquot possède une filmographie irrégulière, parsemée de bons comme de mauvais films. Il y a quelques mois de cela, il avait mis en scène Benoît Poelvoorde dans une romance tragique médiocre, car trop lourd et difficilement émouvant, malgré les belles prestations d’acteurs. En ce mois d’avril 2015, le cinéaste français nous revient avec l’adaptation d’un roman du même nom signé Octave Mirbeau. Un roman d’époque et qui place une histoire en une époque révolue, mais est-ce pour autant un film daté ?

Femme forte et au tempérament bien trempé, Léa Seydoux donne cette image au travers des différents rôles que contient à ce jour sa filmographie. Gagnant en intensité au fur à mesure de son avancée dans ce métier, elle confirme son talent d’actrice et à ce véritable don d’agacer certains spectateurs. C’est sur cette image d’actrice agaçante, mais talentueuse, que se construit cette histoire prenant place au début du XXe siècle. Tenant le rôle d’une femme de chambre aux objectifs totalement flou pour le spectateur, la jeune actrice française se dévoile à nous par petite touche. Tantôt espiègle, tantôt féroce. Tantôt menaçante, tantôt agaçante. Ce personnage énigmatique lui va à ravir et permet à l’actrice de maintenir le film sur ses épaules, qui même si frêles d’aspect, peuvent cacher quelque chose de bien plus solide et menaçant. Reposant sur une narration linéaire, mais parsemée de quelques flashbacks afin d’étendre l’arc narratif dédiée à l’histoire de ce personnage central, Le Journal d’une Femme de Chambre se dévoile aux spectateurs comme un livre ouvert.

Se laissant embarquer au cœur de cette époque, élégamment retranscrite grâce à de beaux costumes, ainsi qu’à des décors épurés de grandes villas et de jardins fleuris de la campagne française, le spectateur suit cette jeune femme dans son combat de tous les jours. Il lui faut survivre au cœur d’une époque où la lutte des classes sociales fait rage et où les riches prennent de haut toute personne pauvre ou faisant partie de la classe moyenne. Faisant échos avec notre société actuelle, avec quelques réserves tout de même, le long-métrage réussit le tour de force de rendre ce récit moderne, mais surtout intemporel. Au travers des différents thèmes abordés par le film, Benoît Jacquot et sa co-scénariste Hélène Zimmer, font se refléter les problèmes de notre société actuelle. Problèmes qui ont toujours été parmi nous, avec des degrés plus ou moins extrêmes. Porté par des personnages haut en couleurs, mais dont les principales caractéristiques sont dans un premier temps cachées laissant planer le doute et le questionnement, le récit proposé impose sa linéarité et son aspect fantomatique pour happer le spectateur et sa curiosité. Totalement secondaire dans les premiers tableaux et insignifiant à la vie du protagoniste principal, Joseph, jardinier de la propriété dans laquelle va vivre quelque temps la protagoniste, va se dévoiler par petite touche.

Énigmatique, avec des apparitions qualifiables de fantomatiques. Ce personnage laisse entrevoir une partie de sa personnalité au cours d’une scène clef, scène qui va faire basculer la perception de la femme de chambre à son encontre, mais également sur sa vie future. Jouant sur la lenteur et sur un naturalisme omniprésent, Benoît Jacquot réussit à insuffler par le biais de sa mise en scène et du scénario, une atmosphère particulière à son film. Solaire grâce à une photographie naturaliste, mais également sombre et oppressante grâce aux placements astucieux de bougies et autre lampion. Paradoxalement, c’est l’utilisation de bougies et lampions qui ne fait qu’accroitre cette opposition entre la beauté extérieure des acteurs (les réflexions de flammes sur les peaux, sur les murs…) et leur avancé au cœur d’une société qui reflète leurs personnalités. Des personnalités ambigües, tiraillées entre la volonté d’avoir bonne conscience et l’excès d’égocentrisme.

Véritable tranche de vie d’une femme de chambre devant lutter pour sa survie, aussi plate que soit l’histoire sur le papier, l’intensité que font passer les acteurs au travers de dialogues toujours pointilleux est remarquable et permet à cette simple histoire de conserver une tension permanente. Porté par un naturalisme intemporel créé par une photographie remarquable et une mise en scène minutieuse, Benoit Jacquot réitère le joli tour de force déjà effectué en 2011 avec Les Adieux à la Reine. Excellents et jamais dans l’excès, Léa Seydoux et Vincent Lindon garnissent ce joli tableau, qui n’a rien d’un travail bâclé. Terni par des plans inutiles et aux symboliques parfois limites, ainsi que des moments de flottements et une bande sonore redondante, l’œuvre en reste belle et mystérieuse, même si seuls ceux qui apprécient l’actrice française Léa Seydoux peuvent l’appréciée à sa juste valeur.