Malgré sa condamnation en 2010, qui lui interdit de réaliser des films durant vingt ans réalise avec (et de quitter le pays), Taxi Téhéran , son troisième film après son procès.
C'est après avoir reçu une remarque d'un passager que Jafar Panahi filmait avec son téléphone sur les risques encourus par une telle pratique que le réalisateur décida de créer un docu-fiction avec des acteurs amateurs, pour ne mettre en danger aucune personne anonyme.
Il explique : "Les acteurs sont tous des non-professionnels, des connaissances ou les connaissances de connaissances. La petite Hana, l'avocate Nasrin Sotoudeh et le vendeur de DVD Omid jouent leur propre rôle dans la vie. L'étudiant cinéphile est mon neveu. L'institutrice, la femme d'un ami. Le voleur, l'ami d'un ami. Le blessé vient lui de province".
Installé au volant de son taxi, Jafar Panahi sillonne les rues animées de Téhéran.
Un homme et une femme s'opposent sur la façon de traiter les criminels. La femme plutôt progressiste est d'emblée raillée par l'homme qui ne souffre guère de devoir dialoguer avec elle et ses idées modernes.
Suivent deux vieilles femmes acariâtres et fantasques, flanquées d'un aquarium où ondulent deux poissons rouges. Elles s'en prennent à ce chauffeur de taxi
Ce chauffeur de taxi tout à fait particulier qui ne connaît pas toutes les destinations doit gérer le sort d'un homme qui se vide de son sang sur les genoux de son épouse éplorée qui s'inquiète surtout de son propre sort, si son mari venait à décéder.
Un dealer de DVD piratés s'invite dans l'habitacle, reconnaît avant de l'emmener dans sa tournée de vendeur à la sauvette...
Il ira également chercher sa nièce à la sortie de l'école. Il est en retard et celle-ci, particulièrement malicieuse, le lui reproche - et ce, d'autant plus qu'il ose la véhiculer dans une "caisse pourrie".
Cela nous vaut une certaine leçon de cinéma iranien quand on voit la nièce du réalisateur filmer son oncle selon les codes transmis par son institutrice. Des codes qui manifestement obligent l'enfant à proposer un travail en phase avec les consignes officielles.
Une amie avocate, Nasrin Sotoumek, qui a fait trois ans de prison pour avoir défendu une jeune femme elle-même emprisonnée après avoir assisté à un match de volley-ball masculin. Depuis, Nasrin Sotoumek s'est aussi vu signifier l'interdiction d'exercer son métier et de sortir du pays pendant vingt ans.
On assiste ainsi à un échange passionnant entre cette belle "dame au bouquet" et le cinéaste - qui plaisantent d'ailleurs volontiers sur leurs interdictions et condamnations respectives.
Au gré des passagers qui se succèdent et se confient à lui, le réalisateur dresse le portrait de la société iranienne entre rires et émotion...
Étant interdit de tournage dans le pays, Jafar Panahi a dû faire très attention à l'intérieur et hors de son taxi.
"Je montais les images chaque soir à la maison. Ainsi, à la fin du tournage j'avais déjà un premier montage. Je faisais un back up à la fin de chaque jour de tournage et je le mettais en sécurité dans des endroits différents".
Afin de tourner sans se faire remarquer, l'équipe a placé trois caméras dissimulées dans le taxi.
N'ayant pas de place pour d'autres membres de l'équipe technique, Jafar Panahi a dû, tout seul, gérer le cadre, le son, le jeu des acteurs et son propre jeu, tout en conduisant son taxi.
Jafar Panahi réalise et n'hésite pas à se filmer lui-même dans ce film tout à fait particulier. Aucun générique de début. Pas davantage de fin. Un film sans autorisation mais qui a su sortir du pays. Faut-il y voir une ouverture ou plus simplement un nouvel acte de bravoure quand on connaît les interdictions imposées au réalisateur ?
Il sera question de ses références cinématographiques en passant, entre autres, de Woody Allen à Nuri Bilge Ceylan.
Les femmes sont à l'honneur. D'une institutrice éclairée, au passage d'une grande intelligence avec une avocate, le film vire dans le burlesque avec deux vieilles femmes hystériques étouffées par des rites ancestraux. Il y a aussi cette femme hurlante craignant pour la perte des biens, de son mari mais plus encore pour son propre intérêt, si celui-ci venait à décéder après un accident. Une jeune gamine enfin. Elle parle de ses études cinématographiques. De tous les codes imposés pour réaliser un film dans lequel il ne peut être question de "réalisme sordide". De l'obligation de suivre à la lettre les ordres de son enseignante dictés par le pouvoir actuel. Sourire du réalisateur.
Quelques hommes passeront dans ce taxi. Loin d'avoir tous le beau rôle, ils laissent la place aux femmes qui triomphent.
Pas vraiment un film. Pas davantage un documentaire. Un pamphlet politique, encore moins.
Un film, avec de très beaux moments, et de bout en bout d'une profonde et grande humanité.