[Critique] Enfant 44 réalisé par Daniel Espinosa

Par Kevin Halgand @CineCinephile

« Hiver 1952, Moscou. Leo Demidov est un brillant agent de la police secrète soviétique, promis à un grand avenir au sein du Parti. Lorsque le corps d’un enfant est retrouvé sur une voie ferrée, il est chargé de classer l’affaire. Il s’agit d’un accident, Staline ayant décrété que le crime ne pouvait pas exister dans le parfait Etat communiste. Mais peu à peu, le doute s’installe dans l’esprit de Léo et il découvre que d’autres enfants ont été victimes « d’accidents » similaires. Tombé en disgrâce, soupçonné de trahison, Léo est contraint à l’exil avec sa femme, Raïssa. Prenant tous les risques, Léo et Raïssa vont se lancer dans la traque de ce tueur en série invisible, qui fera d’eux des ennemis du peuple… »

« Les meurtriers ne vont pas au paradis. »

Daniel Espinosa fait partie de ces cinéastes à la carrière florissante qui ont encore tout à nous prouver, nous autres spectateurs. En 2010, il avait su faire sa place au sein du cinéma d’action international avec le très impressionnant, pour un premier film, Easy Money. Malheureusement, il dut se contenter deux années plus tard d’un simple film de commande nommé Sécurité Rapprochée. Mené par Denzel Washington et Ryan Reynolds, ce film d’action s’avérait aussi lourd que prévisible, malgré un casting impeccable. C’est donc avec grande surprise qu’on le retrouve à peine trois ans plus tard aux commandes d’un thriller historique sur fond de conflit politique. Le thriller ambitieux qu’il est sur le papier, est-il également le film rassurant qui manquait à la jeune filmographie du cinéaste ?

Adaptation du roman écrit par Tom Rob Smith, Enfant 44 plonge le spectateur au cœur d’une Russie gouvernée par un unique parti qui souhaite montrer une belle image, une image rassurante. Tout cela n’est qu’une image, puisque si la surface semble si belle, elle cache de lourds secrets et une politique pas si joviale. Bien évidement, nous savons aujourd’hui que la politique communiste menée par Joseph Staline et ses compères n’était en rien une politique qui respectait les droits et libertés des citoyens comme on l’entend, mais par le biais de ce film, nous redécouvrons par l’image, les bas fonds de la politique Russe totalitaire de cette époque, mais pas que. Ce n’est pas un hasard que le film soit interdit de sortir en Russie. Les échos avec la politique russe actuelle sont flagrants. Chose intéressante avec ce film, son histoire ne débute pas avec la découverte d’un corps d’enfant ou par l’un des éléments de l’enquête. Au contraire, il va dévoiler la montée au pouvoir de son protagoniste. L’attachement envers ce personnage est crucial puisque c’est par lui que les différents arcs narratifs vont se lier. Ce film va s’appuyer sur trois arcs narratifs bien distincts que sont : le contexte politique/social, l’histoire de son protagoniste Léo Demidov et la découverte du corps mutilé et sans vie d’un jeune enfant de 9 ans.

Contrairement aux thrillers conventionnels, le film se repose sur un récit linéaire, mais qui va mélanger les trois arcs narratifs précédemment cités. Ces derniers vont s’enchevêtrer les uns aux autres pour avancer et finir par construire un récit unique. Linéaire, mais à aucun moment prévisible, Enfant 44 évite toute once de simplicité (il subsiste quelques facilités et « apparitions » improbables) et réussit à emporter le spectateur au cœur d’une histoire manichéenne, mais dont les rebondissements et retournements de situations peuvent surprendre à tout moment. La mort peut attraper n’importe quel personnage, puisque cette société totalitaire veille, surveille et décide pour eux.

Adapter un roman tel que celui de Tom Rob Smith permet d’avoir sous la main une enquête rondement écrite. Mais faut-il encore réussir à l’adapter pour le cinéma, ce qui n’est pas chose simple. Si Daniel Espinosa avait pu décevoir avec son précédent film, il réussit ici à faire vivre ses personnages, et à faire croire à cette histoire rocambolesque aux spectateurs grâce à une diégèse formidablement construite. De par de très beaux costumes et décors construits et utilisés pour le film, ainsi qu’une photographie signée Olivier Wood qui magnifie une atmosphère à la fois froide et oppressante, le spectateur plonge littéralement en 1952 avec une facilité admirable. Au travers de sa mise en scène, il prend le temps de faire vivre les villes et villages que traversent les personnages. De plus, il n’a pas peur de prendre le spectateur par la main en lui indiquant dans quelle ville l’action se déroule afin qu’il ne se perde pas entre la ville de Moscou et les quelques villes de l’Union Soviétique, présentes dans le film. Ca ne laisse pas place à l’imagination du spectateur. Ce dernier n’a pas son mot à dire, mais l’une des facultés du cinéma est de pouvoir faire vivre une histoire au travers d’un contexte romancé ou non. Ici, le spectateur vibre et vit cette histoire de l’intérieur en réussissant à croire à chaque instant.

Vendu comme un film de guerre avec beaucoup d’action, Enfant 44 n’est pas un film d’action dans le sens propre du terme, ni un film de guerre même si la bande-annonce peut vous l’avoir fait croire. Il s’agit d’un véritable thriller, au contexte politico-social développé et possédant à la fois des personnages aux personnalités uniques, même si caricaturaux dans leurs réactions, ainsi qu’une enquête « policière ». Néanmoins, même s’il est terriblement efficace et ne manque pas d’ambitions, Enfant 44 est peut-être même trop ambitieux. Ce qu’il fait, est bien fait, mais beaucoup de personnages ou d’éléments narratifs sont sous-exploités. Certains arcs narratifs ne sont utilisés que dans le but de faire avancer l’enquête et font vite oubliés. Il en va de même pour des personnages secondaires, comme celui de Vincent Cassel ou de Gary Oldman pour ne citer qu’eux. L’ouvrage de Tom Rob Smith a le potentiel d’être une véritable fresque cinématographique, à la fois virulente et violente, mélangeant la fiction à la réalité. Enfant 44 n’est pas une fresque qui marquera le cinéma, mais il s’agit d’un thriller à la narration maîtrisé et au dynamisme redoutable. Par son montage saccadé et sa réalisation qui, même si trop mouvante par instant, alterne judicieusement entre caméra portée et plans stables ou sur dolly, le long-métrage ne laisse à aucun moment place à l’ennui ou à la redondance. Que ce soit sur le plan narratif comme technique, cet Enfant 44 surprend agréablement.