Genre : Thriller, fantastique, drame, inclassable
Année : 2007
Durée : 2h52
L'histoire : Nous voici plongés dans une histoire de mystère, l'énigme d'un monde au coeur des mondes, le secret d'une femme en proie à l'amour et aux tourments...
La critique :
Chroniquer et surtout analyser une oeuvre de David Lynch n'est jamais chose facile, le réalisateur adorant semer le doute et perdre ses spectateurs dans son univers porté sur les rêves et la schizophrénie. De fait, Lynch est un réalisateur aussi adulé que détesté, certains lui reprochant d'être incompréhensible, mais ce serait faire preuve de peu d'ouverture d'esprit que de résumer son art unique à l'incompréhension. En tant que fan absolu de ce réalisateur fou, je me suis attelé à son dernier testament clotûrant sa carrière cinématographique (apparemment car les Cahiers du cinéma mentionneraient son retour avec un long métrage pour une date inconnue), et cela fut bien plus particulier que tout ce que j'ai pu voir auparavant. Ici Lynch est en très grande forme et se montre bien plus tourné vers l'expérimental que
précédemment.
Je suppose que la lecture du synopsis vous a déjà perdu (comment pourrait il en être autrement ?), alors je vais tenter brièvement de vous expliquer la situation. SPOILER : Dans une chambre d'hôtel, une jeune polonaise regarde avec émotion la télévision, elle y verra une séquence particulièrement glauque où des lapins discutent entre eux. Peu de temps après, le scénario nous propose de suivre Nikki, actrice en devenir et attendant un rôle majeur dans un film qui n'a jamais pu se terminer pour des raisons mystérieuses. Jusque là tout va bien, mais bientôt la confusion embarquera son actrice dans un véritable maëlstrom horrifique.
Inutile d'en dire plus mais sachez bien qu'une préparation mentale et du repos sont obligatoires avant de visionner Inland Empire car nous sommes bel et bien dans le film le plus confus, le plus complexe et le plus torturé de Lynch. Ceux qui ont détesté Mulholland Drive et Lost Highway sont donc priés d'aller faire un petit tour car visionner cette oeuvre risque bel et bien de surchauffer leur cerveau. Lynch balade sans cesse les spectateurs dans les méandres de l'esprit de son personnage principal, incarné par Laura Dern qui trouve ici son meilleur rôle. Sa prestation est absolument bluffante et elle incarne à merveille une femme perdue et psychologiquement instable.
Un peu dommage de la voir seulement se révéler dans le dernier (??) film de Lynch car sa prestation dans Blue Velvet et Sailor et Lula était loin d'être impressionnante. Mention spéciale également pour les autres acteurs principaux en la personne de Justin Theroux, Jeremy Irons et surtout Peter J Lucas, qui incarne le mari absolument terrifiant de Nikki.
De plus, Lynch prend ici un tournant radical dans la mise en scène. Ceux qui ont vu ses oeuvres précédentes se souviennent d'une atmosphère jazzie travaillée avec des couleurs kitsch, annonçant une certaine légèreté au visionnage. Ici, Lynch se renouvelle complètement dans son style en étant seul cadreur du projet qu'il filmera en DV (digital video).
Evidemment, le changement se ressent et ne plaira pas à tout le monde car l'image se montre plus sombre, et Lynch accorde une grande importance aux visages, en se focalisant dessus avec sa caméra, ce qui laisse un sentiment d'oppression permanent, que je développerai plus tard. La manière de faire est telle qu'Inland Empire va très loin dans l'expérimental et soyons honnête, ça ne plaira pas à tous les fans. J'ai d'ailleurs été assez déstabilisé au début, mais il faut souligner également que les plans en intérieur et le travail sur la lumière bénéficient d'un traitement prestigieux.
D'autre part, je vais être direct avec vous, c'est un des films les plus glauques et les plus malsains qu'il m'ait été donné de voir. Je crois sincèrement que Lynch devrait donner des conseils aux cinéastes spécialisés dans le film d'horreur car nous sommes plongés dans un cauchemar éveillé. Et visionner ce film seul dans le noir fut insupportable lors de certains passages où Lynch installe des screamer impossibles à anticiper. L'ambiance générale du film est très sombre, très torturée.
Du début jusqu'à la fin, nous sommes dans un climat de malaise permanent qui nous tiendra à la gorge jusqu'au générique final. Lynch réalise tout simplement son film le plus effrayant en insérant une tension digne des plus grands films d'épouvante. Très peu de films sont parvenus à transformer un simple visionnage en calvaire psychologique à mes yeux, et Inland Empire fait partie de ceux là. Lynch a une vision très différente de la peur et des façons de la faire ressentir au cinéma, mais il y parvient sans le moindre
souci.
Après, on pourra légitimement se poser la question : où Lynch veut il en venir ? Car une fois de plus, nous nous sommes complètement perdus dans son univers. La construction via la mise en abîme vise à désarçonner les spectateurs. Si après quelques longues minutes de réflexion, j'ai pu trouver un sens à son film, ce n'en est pas moins qu'une hypothèse que je ne raconterai pas dans cette chronique, car il s'agira à chaque personne de se faire son propre avis et sa propre interprétation des faits.
Comme d'habitude, Lynch nous offre un film étendu en terme de possibilités d'interprétation des faits et aucune n'est la véritable clé de l'énigme. La définition de cinéma intelligent et sensoriel prend ici tout son sens.
En résumé, Lynch réalise un film intriguant, véritable expérience cinématographique qui se ressent plus qu'elle ne s'explique. Nous sommes ici en pleine plongée psychanalytique, dans l'inconscient le plus profond d'une femme perdue. Cependant, il est assez difficile de rester accroché en permanence car les 3h de film se font furieusement ressentir, et un raccourcissement de 20 à 30 min n'aurait pas été de trop. Paradoxalement, rien n'est vraiment à jeter.
Il en résulte une oeuvre totalement expérimentale qui ne plaira certainement pas à tout le monde, mais qui mérite fortement d'être visionnée par tous les amoureux de l'univers Lynchien, et ceux en manque d'expériences intenses, lassés par un cinéma récent peu surprenant. En dépit de ses nombreuses qualités et de son impact, il m'est totalement impossible de donner une note à ce long métrage jusqu'au-boutiste, particulièrement terrifiant, mais néanmoins passionnant.
Note : ???