Pantin désarticulé.
Nabab du cinéma américain, Kevin Feige règne en maître sur l’acropole Marvel depuis près de quinze ans maintenant. Admonesté pour la qualité toute relative de ses premières adaptations, ce roi a progressivement fait de sa cité, une place forte en terme de proposition cinématographique, au prix d’une obsession quasi maladive pour le contrôle de ses terres. Il veille sur son trésor comme l’avare sur ses bas de laine, il administre, de ses doigts de producteurs prépotents, toutes les étapes de la production, il bannit celles et ceux menaçant l’harmonie de sa doctrine artistique. Un souverain à la Ionesco, doucement mégalo, dont on juge la santé à la taille de son royaume. Mais il a également trouvé, en Joss Whedon, l’intendant parfait pour assouvir son désir d’extension, ce dernier lui ayant permis d’étendre son empire sur le petit écran en investissant les bureaux du Shield, et de fédérer, sur grand écran, une poignée de super-vengeurs contre un ennemi commun. La saga Avengers est alors devenu le point de gravité de ce vaste univers, intronisant, par la même, des protagonistes et antagonistes iconiques et un mystérieux horloger, qui tarde à dévoiler ses sombres plans. Mais aujourd’hui, avec cette suite tant attendue, cet équilibre s’effondre, et révèle les tares de cet épuisant système, coquille vide… ou plutôt pleine d’effets d’annonce, à la profondeur et à l’utilité à peine esquissée (Vif-Argent, le baron Strucker, La Vision). De la poudre aux yeux tombant du ciel, faisant miroiter monts et merveilles à la plèbe venue assister à ce tumultueux théâtre de marionnettes. Les artifices numériques aident en effet à faire passer la pilule, la mêlé opposant le géant vert à l’écarlate Veronica, notamment, produisant quelques flamboyantes étincelles digne de son rang. Le marionnettiste ensecréte ainsi son spectacle en jouant la démonstration de force, tente dissimuler les fils par lesquels il dirige son pantin par l’esbroufe. Tous les opérateurs du monde font ça, mais peu avec ce génie qui permettrait d’en faire un divertissement intense et souverain. Dans cette optique, Joss Whedon, à défaut de bénéficier de l’écrin d’une étincelante photographie, autopsie la mécanique de groupe, et installe une méchante entité artificielle capable de soulever des montagnes, foudroyant ses opposants humains d’un verbe nietzschéen, regardant par delà le bien et le mal afin d’envisager son extinction, dirigeant son programme vers des considérations philosophiques prometteuses. Cependant, dépassé par l’ampleur de la tâche (parlant volontiers de « cauchemar »), le réalisateur émascule son antagoniste de toutes curiosités intellectuelle, et fait peu de cas de la subtilité psychologique de ses protagonistes, ici comparable à celle d’un tractopelle, surtout lorsqu’il exhume les fêlures intimes de la Veuve Noire. De ce fait, Avengers 2 – l’Ére d’Ultron se présente comme un soap-opera dopé aux hormones, déblatérant beaucoup mais ne racontant rien, ou si peu, et de façon suffisamment aberrante pour que l’on ait envie de tourner la page. (2/5)
Avengers – Age Of Ultron (États-Unis, 2015). Durée : 2h22. Réalisation : Joss Whedon. Scénario : Joss Whedon. Image : Ben Davis. Montage : Jeffrey Ford, Lissa Lassek. Musique : Brian Tyler, Danny Elfman. Distribution : Robert Downey Jr. (Tony Stark/Iron Man), Chris Hemsworth (Thor), Mark Ruffalo (Bruce Banner/Hulk), Chris Evans (Steve Rogers/Captain America), Scarlett Johansson (Natasha Romanoff/La Veuve Noire), Jeremy Renner (Clint Barton/Hawkeye). Distribution Vocale : James Spader (Ultron).