La Tête haute, c’est le nom du long-métrage d’Emmanuelle Bercot, choisi pour ouvrir le 68ème Festival de Cannes.
Un beau titre, qui fait référence à l’une des scènes-clés du film. Mais aussi un titre qui correspond parfaitement à ce que les organisateurs souhaitent pour ce cru 2015 : des films d’auteurs assumés, qui arborent fièrement leurs qualités artistiques et thématiques.
Emmanuelle Bercot affirme avoir mis du temps à le trouver. Peut-être parce que d’autres titres, construits sur le même modèle, auraient tout aussi bien pu convenir.
Nous nous sommes amusés à imaginer ces intitulés pour construire notre critique du film…
Les Poings serrés
Le film d’Emmanuelle Bercot dresse le portrait d’un jeune garçon de seize ans à la dérive.
Depuis son plus jeune âge, Malony (Rod Paradot) déborde de colère et de rage. Ce trop plein il l’exprime par une grande violence, physique ou verbale, et une certaine défiance vis à vis de tout ce qui s’apparente à une autorité – sa mère, ses professeurs, les services sociaux, les policiers et les juges… Il multiplie les actes de délinquance. Vols à l’arraché, vols de voiture, conduite dangereuse sans permis, agressions, menaces,… Autant d’actes qui le conduisent régulièrement dans le bureau de la Juge des enfants chargée de son dossier (Catherine Deneuve).
A la décharge de Malony (Rod Paradot), il n’a pas grandi dans un environnement familial des plus stables.
Son père est décédé peu de temps après sa naissance et les amants que sa mère accumule depuis n’ont rien de figures paternelles de substitution. Sa mère (Sara Forestier) a toujours été trop immature et erratique pour l’élever correctement, et ses problèmes de toxicomanie n’ont probablement rien arrangé. Quant à son grand-père, la seule personne adulte à s’occuper un tant soit peu de lui, on ne peut pas dire qu’il constitue un modèle acceptable pour le jeune homme, tant son comportement est lui-même violent et irrespectueux.
Les actes de Malony obéissent autant à une pulsion autodestructrice qu’à une façon d’attirer l’attention sur lui. Au fond de lui, il aimerait retrouver le droit chemin, suivre une scolarité normale, trouver un travail qui lui plaise, mais chaque fois que les choses n’évoluent pas exactement tel qu’il l’espère, il manifeste sa frustration par un comportement excessif, agressif et injurieux.
La Main tendue
Hormis le cheminement difficile de l’adolescent vers l’âge adulte, le film s’intéresse au travail de la juge pour enfants, qui persiste à essayer de sauver ce cas que tout le monde considère comme désespéré, à celui des éducateurs (Ludovic Berthillot et Benoît Magimel) qui tentent de l’aider à surmonter ses problèmes pour qu’il puisse retrouver une vie normale, mais ne reçoivent en échange que des injures et des coups, à celui de tout le personnel des centres de rééducation, qui doivent gérer au quotidien des douzaines de gamins aussi turbulents et violents que Malony et essayer de leur apporter l’éducation qu’ils n’ont jamais reçue.
Dans le cas de Malony, la tâche s’apparente parfois à une mission impossible. L’adolescent refuse en effet toute l’aide qui lui est proposée, se braque contre toutes les décisions prises par les éducateurs, fussent-elles dans son intérêt. Sa tête, engoncée dans la capuche de son sweat-shirt, reste constamment baissée. Il est voûté, replié sur lui-même, complètement fermé aux autres. Sans doute parce qu’il a perdu toute estime de lui-même et qu’il ne conçoit pas que l’on puisse éprouver une quelconque affection à son égard. Il faut une patience infinie à la juge et aux éducateurs pour gagner la confiance du garçon et l’amener à comprendre que son destin est entre ses mains. La route est longue et semée d’embûches, un petit rien suffisant pour anéantir en quelques secondes des semaines de progrès accomplis par le garçon.
Parfois, la tentation est grande d’abandonner Malony à son triste sort. S’il refuse d’être aidé, pourquoi perdre de l’énergie pour lui? D’autant que ses chances de réinsertion sont minces. De nombreux jeunes autrement plus calmes et volontaires se heurtent déjà à une réalité économique et sociale peu reluisante, alors comment Malory, qui sait à peine lire et écrire et est incapable de supporter la moindre autorité ou la moindre contrainte, pourrait-il prétendre à un emploi stable et bien rémunéré?
Pourtant, ils s’accrochent, vaille que vaille. Car ils pensent que chaque dossier vaut la peine d’être suivi, que chaque enfant en souffrance mérite qu’on lui donne une chance. Il est probable que bon nombre des dossiers qu’ils traitent aboutiront à une impasse, mais pour les quelques enfants qui réussiront à s’en sortir, cela vaut la peine de continuer à se battre.
La Gorge nouée
Au début, il faut s’accrocher un peu pour entrer dans le film. Entre les juges qui parlent uniquement par des abréviations incompréhensibles par le commun des mortels (“Si tu ne respectes pas ton CJ, tu iras en CER ou pire, en CEF…”) et Sara Forestier qui porte un dentier hideux pour incarner le cliché de la dunkerquoise en grande détresse sociale, on craint pendant quelques minutes de s’embarquer dans un film misérabiliste et caricatural, bien loin de l’approche sensible et fine de Raymond Depardon dans son 10ème Chambre – Instants d’audience.
Mais très vite, on s’attache aux personnages. A cette juge bienveillante qui essaie de toujours de trouver la meilleure solution pour remettre les adolescents dans le droit chemin, en évitant autant que possible l’enfermement. A cet éducateur, lui-même ancien délinquant, qui a trouvé la paix en se mettant au service de jeunes aussi paumés que lui à l’époque. A cette enseignante qui reste d’un calme olympien face aux accès de colère de ses élèves. A ces surveillants qui passent leur temps à séparer les gamins bagarreurs et à ceux qui essaient de leur inculquer les valeurs essentielles. A cette mère dépassée par les évènements, qui aime sincèrement ses enfants mais qui est trop immature pour s’en occuper correctement. Enfin, on se prend d’affection pour Malony, cet adolescent en grande détresse, incarné avec beaucoup de finesse par le jeune Rod Paradot, et on suit avec un intérêt croissant son chemin vers la sérénité.
Finalement, on s’ouvre au film comme l’adolescent s’ouvre aux autres, petit à petit. On laisse l’émotion entrer et nous submerger complètement.
Les Yeux embués
On sort du film profondément émus. Et pourtant, Emmanuelle Bercot n’utilise quasiment aucun effet mélodramatique. Au contraire, elle prend soin de rester constamment à bonne distance de ses personnages, évitant de verser dans le pathos et n’hésitant pas à interrompre les scènes au moment où elles pourraient devenir larmoyantes.
Elle s’appuie sur une mise en scène qui pourrait sembler extrêmement simple, pour ne pas dire banale, mais qui témoigne au contraire d’une certaine maîtrise. A l’opposé de son précédent film, Elle s’en va, où elle jouait sur le mouvement permanent de la caméra pour accompagner l’escapade de son personnage principal, Emmanuelle Bercot compose cette fois-ci des plans serrés, étouffants, pour symboliser l’enfermement physique et/ou psychologique de son jeune héros, avant d’ouvrir peu à peu le champ à mesure que Malony s’ouvre au monde extérieur et reprend confiance en lui.
Le Coeur en joie
Finalement, on sort de la projection en ayant vécu un joli moment de cinéma. Rien de révolutionnaire sur le fond ou sur la forme, mais c’est de la belle ouvrage, qui fait honneur au cinéma hexagonal. Un cinéma d’auteur qui refuse le sensationnalisme et le mélodrame facile, qui prend le temps de s’intéresser aux personnages plutôt que de multiplier les péripéties inutiles. Un cinéma qui sait s’appuyer aussi bien sur l’expérience de Catherine Deneuve, Benoît Magimel et Sara Forestier que sur l’énergie de Rod Paradot et Diane Rouxel, qui utilise au mieux le talent de ses techniciens, de l’image au montage, en passant par le son et la musique.
Oui, Emmanuelle Bercot peut avoir la tête haute et être fière de son film, première bonne surprise du Festival de Cannes 2015
La Tête haute
La Tête haute
Réalisatrice : Emmanuelle Bercot
Avec : Rod Paradot, Catherine Deneuve, Benoît Magimel, Sara Forestier, Diane Rouxel, Ludovic Berthillot
Origine : France
Genre : parcours du combattant
Durée : 1h59
Date de sortie France : 13 Mai 2015
Contrepoint critique : A voir à lire
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