Avec Rod Paradot, Catherine Deneuve, Benoît Magimel,
Sara Forestier, Raoul Fernandez
Cette année, c'est le film d'une réalisatrice française,
L'itinéraire de Malony.
Un jeune délinquant , que l'on suivra de l'âge de six ans jusqu'à sa majorité.
Tout au long de son parcours, son éducateur et une juge pour mineurs tenteront de sauver le jeune homme de son quotidien chaotique, avec une mère dépassée par les événements
Pour dénicher la perle rare, Elsa Pharaon, réputée dans le casting sauvage, a écumé les lycées professionnels. Après de longues recherches, elle a trouvé le jeune Rod Paradot à Satins où il faisait un CAP menuiserie. Elsa Romano et Emmanuelle Bercot souhaitaient trouver quelqu'un qui ne stigmatise par la figure du délinquant, il fallait donc s'éloigner le plus possible des clichés habituels. De préférence, elles ne voulaient pas quelqu'un de typé, issu de l'immigration, avec des problèmes de drogue ou qui fasse partie d'un gang. L'autre difficulté résidait dans le fait de trouver une personne capable de faire à la fois 13 et 17 ans.
Si le personnage de Malony a été compliqué à écrire, travailler avec Rod Paradot s'est révélé beaucoup plus simple. La difficulté pour l'acteur novice était de rendre cette "tête à claques" attachante. Le spectateur doit suivre un cheminement où il finit par l'aimer en comprenant ses fêlures ainsi que sa souffrance. Tour à tour, le film distille un sentiment qui oscille entre confiance et découragement, ce qui constitue un dosage très délicat à trouver selon la réalisatrice.
Emmanuelle Bercot est une habituée des films aux sujets délicats. Clément, son long-métrage sorti en 2001, racontait l'histoire d'amour improbable et dérangeant entre une femme et un jeune garçon de 13 ans.
Elle a fait part de son envie de "jouer avec le mythe Deneuve". L'actrice a été d'un grand soutien pour la réalisatrice : "Tous ses rôles nous habitent inconsciemment, nous cinéastes. Il faut se l'approprier : j'avais envie de découvrir des choses chez elle. Elle a réussi à me surprendre par sa liberté de jeu, par la façon dont elle s'est abandonnée, par tous les cadeaux qu'elle m'a fait dans ce film."
Catherine Deneuve était également à l'affiche d' Elle s'en va, la précédente réalisation d'Emmanuelle Bercot sorti sur les écrans en septembre 2013.
Emmanuelle Bercot a rapidement su qu'elle voulait retravailler avec Catherine Deneuve. D'ailleurs, elle n'a pas attendu que la promotion d' soit terminée pour lui soumettre le scénario de La Tête haute .
L'actrice a été quelque peu surprise mais son lien profond avec la réalisatrice l'a incité à accepter. Ce choix stratégique se justifie par la dualité qui sommeille en elle, cette autorité naturelle et le côté protecteur, presque maternel. Ce mélange correspondait parfaitement à la description du Juge qui est un personnage pivot.
Ici, vous incarnez une juge pour enfants comme une figure parentale.
C'est un peu ça. Il y a une scène qui n'est plus dans le film - juste avant celle où j'explique à l'ado que je vais le mettre en prison, car c'est le seul service que je peux lui rendre - dans laquelle j'expliquais à Benoît Magimel qu'il était un peu la mère du gamin et moi, le père.
Oui, et c'est le problème de ces mômes, les limites. Je suis allée dans un tribunal voir ce qui se passait. Je voulais savoir comment les juges s'adressaient aux enfants et aux adolescents. C'était très important. Emmanuelle Bercot y tenait également. On a rencontré des gens beaucoup plus étonnants, moins classiques et conventionnels que ce que l'on pouvait imaginer.
Je fais confiance à Emmanuelle Bercot. Si elle se trompe, je me tromperai avec elle. Elle avait une idée très précise de ce qu'elle voulait raconter. Elle est un très bon metteur en scène et une excellente scénariste qui peaufine son travail. C'est assez rare dans le cinéma français, des scénarios très aboutis. Elle a écrit un personnage que je comprenais. Elle m'a poussée à être plus dure que je l'aurais été. Moi, j'avais peur d'être trop cassante car mes scènes sont celles où j'annonce des faits, des dates, c'est très sec.
Au sortir de La fémis, après le succès de La puce, M6 lui propose à la réalisation d'un téléfilm. L'opportunité l'enchante, bien sûr, mais les producteurs refusent de confier le rôle central à la méconnue Isild Le Besco. "Alors tant pis, se permet de rétorquer la toute jeune et frondeuse diplômée. Hors de question que je me sépare de mon actrice fétiche".
Et elle sortira vainqueur du bras de fer. L'anecdote, révélatrice, traduit l'immense fidélité d'une artiste envers ceux qu'elle porte dans son coeur. "J'admire Cassavetes, explique-t-elle. Pour son talent, mais aussi pour sa façon de travailler, de réunir ses proches, sa femme, sa belle-mère, ses enfants...".
Extrait de propos recueillis par Laurent Djian, publié le 17/09/2013 et relevé sur .lexpress.frMarcia Romano , scénariste du film, et Emmanuelle Bercot sont deux anciennes camarades de La Femis. Bien qu'elles ne faisaient pas partie de la même promotion, les deux jeunes femmes ont écrit ensemble le court-métrage "Les Vacances".
Puis, 10 ans se sont écoulés avant qu'elles ne manifestent le désir de collaborer à nouveau.
Pour les besoins du film, Marcia Romano est allée faire un stage au Tribunal pour enfants de Paris qui a duré plusieurs semaines. Elle a notamment assisté à de nombreuses audiences, pénales et éducatives, qui l'ont fortement aidé pour le processus d'écriture. Par la suite, elle a accompagné des éducateurs dans des centres spécialisés.
a fait appel à des non professionnels pour jouer certains éducateurs. Ce choix n'est pas anodin puisqu'il avait pour but de confronter les acteurs à quelque chose d'inattendu, de risqué mais authentique.
Interrogée sur les raisons qui l'ont poussée à engager Benoît Magimel, Emmanuelle Bercot répond simplement qu'elle a toujours été admirative de son travail. C'est un acteur qu'elle suit depuis son premier rôle dans
La réalisatrice a été séduite par la manière dont il joue avec son corps, sa beauté et sa virilité.
Néanmoins, le choix ne fut pas si évident puisque la cinéaste a pendant un temps envisagé de faire marche arrière et de prendre un parfait inconnu.
C'est en voyant Magimel donner la répliquer à Rod Paradot pendant les essais que l'hésitation se dissipa.
La réalisatrice s'est directement inspirée de l'expérience de son oncle qui s'occupait d'un camp de jeunes délinquants en Bretagne, dont un jeune en particulier qui était issu d'un milieu difficile. Conscience de sa chance, une fascination intense pour ces adolescents s'est emparée d'elle. Elle a tenté de comprendre leur comportement, le refus des conventions, de l'autorité et surtout la dévotion de son oncle. Cette expérience l'a tellement marquée qu'elle a envisagé de devenir juge des enfants.
Une citation en particulier, provenant du livre d'un juge, synthétise le cœur du film : "L'éducation est un droit fondamental. Il doit être assumé par la famille et si elle n'y parvient pas, il revient à la société de l'assumer...". C'est au cours d'une de ses lectures qu'Emmanuelle Bercot est tombée dessus, alors qu'elle effectuait un travail de recherches approfondies. La phrase résume parfaitement le travail qui est fait pour ces mineurs écartés du système et la lutte pour l'éducation.
Guillaume Schiffman, directeur de la photographie, est habitué à travailler avec Emmanuelle Bercot. Cette dernière avait une idée très précise du style dont elle voulait habiller son film : "J'avais envie d'accompagner l'aspect documentaire par une certaine tenue et une exigence visuelle. Je ne voulais pas d'une lumière trop stylisée mais je voulais quand même une lumière qui s'affirme, très travaillée. Dans le bureau de la juge -d'ordinaire très mal éclairé ! - il n'y a jamais la même ambiance lumineuse. Avec Guillaume, on travaille toujours pareil. Je lui montre des photos qui m'inspirent et on en discute. Je ne voulais pas non plus appuyer la noirceur de cette histoire, je rêvais au contraire d'un film lumineux. Je n'ai pas hésité ainsi à faire ces images de Malony au milieu de la nature, comme pour apporter un certain souffle lyrique à cette histoire âpre..."
Emmanuelle Bercot réalise et coscénarise avec Marcia Romano un film violent dans le propos, d'une grande dureté frôlant la cruauté, mais authentique de bout en bout. Le très beau travail d'écriture du scénario et les dialogues cinglants ne peuvent pas laisser de marbre.
La réalisatrice l'a souhaité ainsi, donner aux spectateurs "un reflet pur et dur" de la difficile fonction de ce métier souvent méconnu ou mal apprécié, celui des juges pour enfants.
Même si certaines scènes ont tendance à se répéter, l'ensemble est bouleversant et d'un réalisme qui frôle le documentaire.
Dans un rôle difficile et douloureux, Sara Forestier excelle en mère dépassée et dépressive. Un seul bémol, pourquoi l'avoir affublé de cette prothèse qui n'apporte rien, à l'exception d'une réplique dans des dialogues d'une incroyable férocité ?
Magnifiquement dirigé, le jeune Rod Paradot, dans le rôle de cet adolescent mal aimé et paumé, est touchant, bouleversant aussi dans la découverte et l'acception du toucher et des vrais sentiments.
Benoît Magimel, parfait, renoue avec un vrai et grand rôle.
Catherine Deneuve d'une grande justesse, ne se départit pas d'une réelle émotion vite effacée quand son devoir l'oblige à appliquer la loi. Un nouveau rôle pour cette grande actrice qui n'en finira plus d'étonner et de séduire.
Un film qui pourra déranger, mais qui n'en reste pas moins un grand moment de cinéma très fort et parfaitement réussi .