Si on voulait être méchants, on résumerait cyniquement le nouveau film de Hirokazu Kore-Eda à une suite de chamailleries et d’embrassades entre une assiette d’alevins frits et un plat de maquereaux marinés.
On mange en effet beaucoup dans Notre petite soeur. Plus que chez Hong Sang-soo, qui était jusque-là considéré comme le maître incontestable des scènes de repas asiatiques. Et on parle aussi beaucoup, pour se disputer, se réconcilier, échanger les points de vue sur la famille et les choses de la vie, mais rien de spécialement profond ou intelligent…
Pour le reste, beaucoup de temps morts, de banalités, et de beuveries à la liqueur de prune…
On pourrait être méchants, mais ce serait manquer de respect à ce grand cinéaste japonais, qui nous a offert par le passé de belles émotions sur grand écran. Et ce serait aussi profondément injuste. Certes, nous n’avons pas accroché à ce nouveau film, adaptation assez libre du manga de Yoshida Akimi, “Umimachi Diary”, mais le film ne manque pas de qualités artistiques.
Le cinéaste excelle toujours à sélectionner ses actrices et à les diriger. Il sait toujours composer des plans sublimes mettant en valeur ses personnages ou les lieux dans lesquels ils évoluent. Il a toujours ce talent rare de faire naître l’émotion avec trois fois rien. Notre petite soeur repose sur les mêmes principes de mise en scène que son chef d’oeuvre, Still walking. Par petites touches subtiles, en s’articulant sur de petites tranches de vie anodines, il décrit les relations tendres et complices de quatre soeurs et de leurs proches, dans une petite ville côtière du Japon.
Cela lui permet de développer plusieurs de ses thèmes de prédilection, autour de la cellule familiale, des relations entre parents et enfants, de la transmission des valeurs et des traditions de génération en génération…
Le problème, c’est que, contrairement à Still walking, l’émotion n’affleure que très rarement. Malgré le talent des actrices, toutes absolument charmantes, on peine à s’attacher à ces personnages et à leurs petits problèmes quotidiens, somme toute assez banals. Le film souffre clairement de son manque d’enjeux dramatiques forts et de choix narratifs assez mièvres, parfumés à l’eau de rose plutôt qu’au suave parfum des cerisiers en fleur. Comme il ne se passe pas grand chose, il est bien difficile de rentrer dans le récit et le temps semble bien long avant que l’émotion ne finisse par surgir, dans la toute dernière partie du récit. Car heureusement, Notre petite soeur comporte quand même de jolis moments de cinéma, dans lesquels on retrouve un peu la poésie des plus beaux films du cinéaste.
La Compétition officielle du Festival de Cannes, pour lequel le niveau d’exigence est particulièrement élevé, n’était pas forcément l’écrin le plus approprié pour mettre en valeur ce petit film fragile. On attendait mieux de la part de Kore-Eda et, malgré les points positifs précités, ce sont les sentiments de frustration et de déception qui l’emportent, hélas…