Et si on parlait d’Amour sur la Croisette? Les deux longs-métrages présentés en compétition aujourd’hui sont des histoires de coup de foudre et de passion, filmées dans des styles radicalement opposés.
D’un côté, il y a les personnages de Maïwenn, très démonstratifs et excessifs, tant dans leurs éclats de rire que dans leurs engueulades. De l’autre ceux de Todd Haynes, obligés de dissimuler leurs sentiments, de vivre leur passion de façon clandestine.
D’un côté, il y a un film plein d’énergie, de bruit et de fureur. De l’autre, un film à l’ambiance feutrée, tout en délicatesse.
Les deux oeuvres sont totalement différentes, mais elles ont en commun de parfaitement décrire la montée de la passion amoureuse et ses conséquences sur la vie bien rangée de leurs personnages principaux.
Dans Mon roi, Maïwenn raconte la relation tumultueuse d’un couple sur une période de près de dix ans. Elle montre la rencontre, les premiers signes d’attirance mutuelle, la complicité naissante, avant de montrer les premiers accrocs, les premières disputes, l’infidélité, la jalousie, les séparations et les réconciliations. Tony et Georgio (Emmanuelle Bercot et Vincent Cassel) s’aiment au-delà du raisonnable et ne peuvent pas concevoir de vivre l’un sans l’autre, mais ils se détruisent l’un l’autre quand ils sont ensemble. A un moment ou un autre, ils vont devoir s’éloigner l’un de l’autre et reconstruire leur vie.
Malgré quelques maladresses, comme l’analogie pataude entre la reconstruction psychologique de Tony et sa reconstruction physique, après un grave accident de ski, la réparation de son genou accompagnant celle de son “Je-Nous”, Maïwenn réussit à rendre passionnante de bout en bout une histoire déjà vue des milliers de fois et à restituer parfaitement la puissance de la passion amoureuse, bien aidée, il est vrai, par ses acteurs.
Dans Carol, Todd Haynes raconte les amours contrariées de deux femmes, dans la très puritaine Amérique des années 1950. Carol (Cate Blanchett) a pris conscience de son homosexualité suite à une aventure avec une amie d’enfance et ne veut plus vivre dans le mensonge. Elle veut divorcer pour reprendre sa liberté. Mais son mari n’entend pas la laisser partir aussi facilement, surtout pour une autre femme. Il a un avantage non-négligeable sur elle : Il connaît son “vice”. S’il parvenait à prouver l’attirance de son épouse pour d’autres femmes, le divorce serait à coup sûr prononcé en sa faveur. il obtiendrait la garde exclusive de leur enfant, sans recours possible. Carol doit donc être prudente. Pourtant, elle s’éprend de Therese (Rooney Mara), une jeune vendeuse qui ne semble pas indifférente à ses charmes…
Dans Loin du Paradis, Todd Haynes avait déjà traité d’une relation jugée “scandaleuse” selon les critères moraux de l’époque, celle d’une bourgeoise délaissée et d’un jardinier Noir. Il avait alors choisi de donner à son film l’aspect d’un mélodrame hollywoodien flamboyant, à la manière de Douglas Sirk.
Ici, il opte pour davantage d’épure, faisant évoluer les personnages dans des décors presque monochromes, les enfermant dans un cadre austère, étouffant. L’émotion ne passe que par le jeu des actrices, formidables, par les regards, les postures, les frôlements… Cela suffit pour nous submerger d’émotion.
Autre histoire d’amour, celle qui unit les personnages principaux de Vers l’autre rive de Kiyoshi Kurosawa. Un amour suffisamment fort pour que Yusuke revienne d’entre les morts, trois ans après sa disparition, pour retrouver son épouse, Misuki. Pour une fois, les fantômes japonais n’ont rien de terrifiant, mais sont là pour aider les vivants à effectuer leur travail de deuil. Yusuke entraîne son épouse dans un mystérieux voyage, à la rencontre des personnes qui ont compté pour lui.
Chaque étape est l’occasion de raconter une petite histoire autour de l’amour, la perte et l’absence, certains des thèmes favoris du cinéaste.
Là aussi, Kiyoshi Kurosawa a opté pour une mise en scène épurée, toute en délicatesse. Un choix appréciable, mais qui, dans le cas présent, n’était peut-être pas le plus judicieux. Si on se laisse rapidement charmer par l’ambiance de l’oeuvre et que l’on se laisse entraîner avec délice dans cet étrange périple, les histoires, trop redondantes, finissent par susciter l’ennui, d’autant que le rythme adopté par Kurosawa s’avère particulièrement atone.
Sur les mêmes thèmes, nous avons nettement préféré son précédent long-métrage, Real, une fable fantastico-onirique aux ruptures de ton étonnantes. Le cinéaste y semblait plus dans son élément que dans ce registre sage et épuré.
Vers l’autre rive n’en demeure pas moins un joli film, porté par de belles performances d’acteurs, une musique envoûtante et les cadrages singuliers de Kiyoshi Kurosawa.
Enfin, dans Soleil de plomb, Dalibor Matanic, choisit également l’angle de la relation amoureuse pour parler des conflits ethniques qui ont dévasté l’ex-Yougoslavie à la fin du siècle dernier.
Il met en scène trois histoires d’amour contrariées par les tensions communautaires et les séquelles du conflit, à trois époques différentes.
En 1991, juste avant que n’éclate le conflit entre serbes et Croates, un homme et une femme issus de communautés différentes décident de quitter leurs villages respectifs, minés par les tensions interethniques, pour vivre pleinement leur amour. Mais leurs proches sont bien décidés à tout mettre en oeuvre pour les empêcher de partir.
En 2001, le conflit a cessé. La Croatie a obtenu sont indépendance dans le sang et les larmes. Les anciens habitants reviennent s’installer dans leurs villages d’origine, aujourd’hui en ruines. Des idylles pourraient naître entre personnes issus de communautés différentes, mais les rancoeurs viennent encore perturber les relations entre les individus.
En 2011, les jeunes des deux communautés vivent ensemble, vont aux mêmes fêtes, partagent les mêmes activités. Cette fois, un avenir de paix et de tolérance semble possible.
La construction est audacieuse. La forme l’est tout autant. Alors que certains auraient privilégié une ambiance sombre pour mettre en scène le conflit dans l’ex-Yougoslavie, Dalibor Matanic choisit de baigner ses trois histoires dans une douce torpeur estivale et un cadre absolument idyllique, propice à la paix et à la sagesse.
Il montre l’absurdité de ces conflits fratricides en décortiquant les mécanismes de la haine, de la vengeance et de la rancoeur, qui favorisent l’escalade de la violence et empêchent les vieilles blessures de cicatriser. pour un premier long-métrage, c’est culotté…
A demain pour d’autres mots d’amour en provenance de la Croisette…