Tempête dans un verre de sable.
Celui qui contrôle l’eau, contrôle la vie. C’est ainsi que pourrait se résumer la philosophie d’Immortan Joe, despote dont le corps décharné et suppurant témoigne de la monstruosité de sa politique autant que de sa détermination à survivre dans ce monde agonisant dans la poussière de l’apocalypse. Du haut de sa citadelle, il dirige une horde de stèles de chairs arides, sa masse laborieuse, dont il mouille ponctuellement les cavités aréiques de sang et d’eau afin de maintenir artificiellement la bonne santé de son pouvoir. Mais l’orage gronde. Ses jeunes épouses, ses favorites, refusant leur funeste destin de mères porteuses, d’esclaves au service de l’hérédité de cette tyrannie, décident de fuir ce royaume misogyne à bord du camion de guerre piloté d’une main de fer par une commandante au crâne rasé afin de trouver cette terre promise au parfum d’Eden. Ce crime de lèse-majesté sera l’étincelle qui fera brûler le carburant dans les veines de ce nouveau Mad Max. Ici, point de manchot trémoussant leurs Happy Feet sur le sol gelé de l’Antarctique, mais des freaks, aux châssis mutilés et aux bougies cramées par le soleil, traçant leurs routes, furieusement, sur la terre brulée. Voilà trente ans que cette renaissance trottait dans le crâne de George Miller, depuis qu’il avait délaissé la mémoire de son Dôme Du Tonnerre aux Charts et aux vocalises de Tina Turner. Ainsi, le réalisateur australien déterre le cadavre de son cavalier solitaire, à l’orographie plus contemporaine (celle, agreste, proposé par le physique de Tom Hardy) mais à la basse-fosse toujours hanté par ses vieux démons. Capturé par l’escadron fou du caverneux tyran pour servir de poche d’hémoglobine à un war-boy à bout de course, le héros est, cette fois-ci, contraint de s’allier aux nymphes blanches et à leur prophète à la beauté carbonisée par les années passées dans l’huile de vidange pour survivre. C’est alors à fond la caisse que Miller nous fait dévaler ses deux heures de pellicule, ses cent vingt minutes d’un tonnerre mécanique au sein duquel éclôt une conception artistique étourdissante de richesse, en plus de se montrer d’une rare pertinence lorsque se révèlent à nos rétines les limbes de cet enfer totalitaire. Au cours de cet torrentueux marathon de tôles chamarrées au sein duquel roule la frénésie visuelle de la grande époque, quelques larmes naîtront, et s’écraseront sur le sable, érodant la sécheresse narrative de cette caravane de fous du volant enfoncé dans leurs drôles de machines. La graine est semée, la rédemption est au creux de leurs mains. Mais, bientôt, ces petites oasis deviendront les mirages d’un spectacle à l’âme blessée, qui a sacrifié l’émotion à l’action, l’intensité dramatique à la fièvre graphique. George Miller a bradé jusqu’à son héros, plus trop mad, plutôt sad, se contentant de n’être qu’une ombre vacillante dans les replis du scénario, laissant ainsi toute la latitude à sa volcanique partenaire (Charlize Theron, magnifique aigle noir) pour conquérir cette image. À l’arrivée, le plaisir scopique proposé par cet incandescent divertissement est tout aussi réel que le désenchantement qui l’accompagne. (3.5/5)
Mad Max – Fury Road (États-Unis, 2015). Durée : 2h00. Réalisation : George Miller. Scénario : George Miller, Brendan McCarthy, Nick Lathouris. Image : John Seale. Montage : Margaret Sixel. Musique : Junkie XL. Distribution : Tom Hardy (Max), Charlize Theron (Imperator Furiosa), Nicholas Hoult (Nux), Hugh Keays-Byrne (Immortan Joe), Zoë Kravitz (Toast), Rosie Huntington-Whiteley (Splendid), Josh Helman (Slit).