Connu pour de nombreux chefs-d’oeuvre comme Il était une fois en Chine, The Blade ou encore Time and Tide, Tsui Hark est une figure incontournable du cinéma hong-kongais. Retour sur le mythique Zu, les guerriers de la montagne magique, le film qui fit découvrir le réalisateur au public occidental.
Tout d’abord, remontons jusqu’à l’origine du projet. Nous sommes au début des années 80, le jeune Tsui Hark n’est plus vraiment en odeur de sainteté au sein de la production hong-kongaise après avoir signé le très controversé L’Enfer des armes. Sa carrière étant compromise, le cinéaste se voit alors dans l’obligation de tourner deux petites comédies afin de sortir de cette impasse : Histoires de cannibales et All the wrong clues qu’il tourne coup sur coup en 1980 et 1981. Désireux de revenir à un projet plus personnel, Tsui Hark propose à l’incontournable Raymond Chow de tourner pour la Golden Harvest (qui domine alors toute la production locale) une épopée fantastique qui se situerait dans la Chine médiévale. Emballé par le projet, Chow va débloquer pour le film un budget important, le plus gros de l’histoire du cinéma hong-kongais à l’époque. À l’heure où les superproductions hollywoodiennes monopolisent les salles (Star Wars en tête), il s’agit d’un pari plus que risqué. C’est ainsi que va naître Zu, les guerriers de la montagne magique, œuvre qui marque le retour du cinéaste au film fantastico-historique après Butterfly Murders, son premier long-métrage sorti en 1979. Pour ce projet ambitieux, Tsui Hark va réunir une équipe de choc, avec notamment des superviseurs d’effets-spéciaux ayant travaillé sur Star Trek et Star Wars (rien que ça). L’intrigue du film prend place au Xe siècle, à l’heure où d’interminables guerres civiles déchirent la Chine. Tandis que les différents clans s’entre-tuent, le sort du monde est en train de se jouer dans les hauteurs du mont Zu : une guerre fait rage entre les forces du bien et du mal, et un monstre aux pouvoirs illimités est sur le point de revenir à la vie. Un jeune éclaireur va se retrouver par erreur dans cet ultime combat pour la survie du monde.
Néanmoins, bien que bénéficiant d’un budget plus que confortable, Zu va naître dans la douleur. En effet, le tournage sera chaotique (doux euphémisme), s’étirant sur plus de neuf mois, enchaînant les complications. Tous ces problèmes forceront même la Golden Harvest à suspendre le tournage. Le résultat est là pour en témoigner : effets-spéciaux pas toujours convaincants, narration confuse, montage parfois trop rapide… Pourtant, c’est bien ce qui rend Zu, les guerriers de la montagne magique si flamboyant et singulier. L’énergie dingue dépensée par Tsui Hark lors de la fabrication porte ses fruits et anime chaque plan du film d’une passion communicative galvanisante. Dès ses premières minutes, le film entame un rythme effréné où l’intensité ne décroit jamais, culminant dans un climax hallucinant tout droit sorti d’un manga. Tsui Hark ose tout, mixant multiples influences (l’heroic-fantasy, la culture Wu Xia, le manga…) sans hésiter à bousculer les habitudes du spectateur par des partis pris de mise en scène étonnants. Comme il l’a lui-même déclaré, il faut voir Zu comme un terrain de jeu géant (comme en témoigne la caractérisation amusante des différentes factions), théâtre de mille expérimentations toutes plus dingues les unes que les autres. Explosion sensitive de tous les instants, le film est traversé par une telle folie créatrice qu’on en oublie rapidement l’allure légèrement kitsch de l’ensemble qui, soyons clairs, pourra en rebuter plus d’un. Un pur trip, qui regroupe déjà tous les thèmes de prédilection du réalisateur : réflexion sur la notion de chaos (qui sera poussée à son paroxysme dans le définitif The Blade), lutte entre le bien et le mal, amitié…
Distribué dans les salles chinoises en février 1983, Zu, les guerriers de la montagne magique sera malheureusement un échec commercial cruel. Le bide du film forcera Tsui Hark à retourner vers les films de commande plus modestes avec notamment Mad Mission et Mad Mission 3 réalisés dans la foulée. Mais pendant ce temps-là, le film va connaître un succès inattendu à l’étranger. Présenté dans de nombreux festivals internationaux, Zu va rapidement acquérir un statut de film culte. Une communauté importante de fans va ainsi se former autour du film. Ayant réalisé Zu dans le but de lutter contre la domination des films hollywoodiens dans les salles chinoises, Tsui Hark est encore loin d’imaginer que son film influencera le cinéma américain ! En effet, John Carpenter va lui rendre un gigantesque hommage en 1986 avec son Jack Burton dans les griffes du Mandarin, qui jouit lui aussi de toute la générosité, la liberté et l’inventivité de son modèle. De plus, l’influence de Zu ne se cantonnera pas seulement à un cercle de cinéphages avertis, mais va véritablement s’étendre. On mesure aussi bien l’impact du film sur l’industrie cinématographique hong-kongaise (notamment la trilogie Histoire de fantômes chinois qui découle directement de l’imagerie de Zu) que sur le jeu vidéo (la célèbre franchise des Final Fantasy par exemple). Cinéphile et cinéaste militant, Tsui Hark ne se laissera pas abattre par le bide du film et redoublera d’ambition en fondant en 1984 la Film Workshop, sa mythique société de production qui produira pléthores de chefs-d’oeuvre tels que The Killer, Le Syndicat du Crime ou encore la saga Il était une fois en Chine. Comme pour prendre sa revanche, Tsui Hark réalisera en 2001 une suite aux guerriers de la montagne magique avec La Légende de Zu.
Inclassable, libre, visionnaire, Zu, les guerriers de la montagne magique est une œuvre majeure dans la carrière de l’immense Tsui Hark, qui préfigure magnifiquement le reste de sa filmographie et qui constitue à elle seule toutes les futures ambitions de la Film Workshop : offrir une réponse à la suprématie américaine en réinvestissant des mythes, des genres et un imaginaire purement chinois. Un grand moment de cinéma salvateur dont mille visions ne suffiraient pas à saisir toutes les richesses.