Pôle Pixel
La projection du documentaire « 35 mm de Pixels » a lieu vendredi 29 Mai à 17H30 dans le Studio Suzanne Flon de Factory, au Pôle Pixel de Villeurbanne-Lyon (26 rue Emile Decorps).
Pour vous rendre au Pôle Pixel : Tramway T3 : arrêt Gare de Villeurbanne, Métro ligne A : arrêt Cusset, Vélo’v : Cusset, Pôle Pixel, Parking : rue Emile Decorps à la Factory.
35 mm de Pixel est un film documentaire sur les bouleversements dus aux nouvelles technologies dans le monde du travail, en particulier celui du cinéma. Il est réalisé par Les Embobineuses, trois étudiantes en 3ème année cinéma au Centre Factory de Lyon-Villeurbanne : Charlotte Désigaud (Chargée de production), Maria Guittier Benito (Co-réalisatrice), Sylvine Guesnon Cugini (co-réalisatrice).
Elles ont fait part à Journal Cinéphile Lyonnais des rencontres qui ont motivé ce film ainsi que de leurs intentions de réalisation. Nous vous proposons de les découvrir.
Des rencontres à l’origine de 35 mm de pixels
l’histoire de Fred et Thibault Louis, ou la vie de deux projectionnistes bouleversée par l’arrivée du numérique
« L’an passé, alors que nous avions une entrevue filmée à réaliser, nous avions décidé de rencontrer un projectionniste. Après plusieurs tentatives auprès des cinémas de Lyon, nous avons réussi à obtenir un rendez-vous avec le projectionniste du CNP Terreaux. Mais lorsque nous sommes arrivées au rendez-vous, Fred n’était pas là. Thibault Louis le remplaçait. Il nous expliqua que Fred était en arrêt maladie pour dépression.
Suite au plan du CNC pour le renouvellement de l’équipement des salles, son projecteur 35 mm avait été remplacé par un projecteur numérique. Pour Fred, ce fut un réel désarroi de ne plus pouvoir travailler avec le matériel habituel. Son activité allait complètement changer. Il devait désormais programmer les films pour les séances sur des serveurs informatiques, alors qu’il n’y était pas du tout familiarisé. Il devait s’adapter, se former, se remettre à jour pour continuer son métier de projectionniste.
Comme beaucoup de personnes dans divers secteurs industriels en France, il a subi l’arrivée d’un changement de technologie sans y avoir été préparé. Malgré l’annonce du passage de la pellicule au numérique, il n’avait pas anticipé ce changement dans son métier. Il n’imaginait pas que cela puisse arriver si rapidement.
Nous avons réalisé qu’un changement radical dans une activité pouvait engendrer une perte d’identité professionnelle.
L’exemple de Fred montre à quel point de tels bouleversements remettent en question la place de l’individu face aux nouveaux principes de l’organisation du travail.
Les propositions faites par l’entreprise pour se reconvertir ou se ré-insérer peuvent apparaître comme incompatibles avec la dignité et les intérêts des employés. Thibault Louis nous parla de ses nouvelles fonctions depuis l’installation du projecteur numérique, et il nous livra toute une réflexion sur son travail et sur son organisation. Son témoignage sur l’avenir de son métier et l’expérience de Fred allaient être le point de départ de notre histoire. » Les Embobineuses
Les laboratoires des traitements de l’image pris dans la tourmente du numérique
« Nous voulions faire la lumière sur cet événement qui semblait être passé inaperçu aux yeux du public. Nous avons donc élargi nos recherches d’informations pour connaître quel était l’impact de l’arrivée de cette nouvelle technologie sur les professionnels du cinéma. Nous avons appris que les plus grands laboratoires de traitement de l’image en France avaient été ébranlé par cet événement. LTC a été un des premiers laboratoires des traitements de l’image pris dans la tourmente.
En décembre 2011, l’entreprise a fermé ses portes entraînant le licenciement de 115 salariés. Chez Éclair, les plans de licenciements se sont succédé : cinq depuis 2005 et 300 personnes en moins ! Christian Dutac a commencé à travailler chez LTC à l’emballage des copies. Il avait 17 ans. Depuis, il a étalonné 300 films. Le jour de ses 50 ans, l’entreprise a fermé ses portes et il a perdu son emploi d’étalonneur. Avant, il allait sur les tournages, rencontrait les réalisateurs et les chef opérateurs. L’image était traitée au fur et à mesure du tournage, puis projetée à l’équipe tous les deux ou trois jours. C’est à ce moment là que le chef opérateur (directeur de la photographie) découvrait ses images. Puis ces projections ont été supprimées pour des raisons économiques.
Christian Dutac ne voyait plus les équipes de tournage car les rush étaient envoyés par DVD et son travail, avec la généralisation du numérique est devenu beaucoup moins créatif. L’entreprise ne lui a pas donné la possibilité d’apprendre, de se former sur le nouvel outil numérique.
Pascal Massonneau et Christophe Legendre, ses collègues de LTC, ont accepté de nous raconter leur adaptation avec le nouvel outil numérique et l’évolution de leur activité. »Les Embobineuses
La volonté d’examiner la place de l’humain face à la technologie
« Avec leurs témoignages et ceux d’autres techniciens, nous avons pris alors conscience que le film sur pellicule était en train de disparaître, et avec lui tout un savoir faire et des compétences liées au travail sur le film argentique. Mais nous voulons aussi dépasser la question du « pour » ou « contre » le numérique pour examiner la place qu’occupe l’humain face à sa technologie.
Comment se sont-ils adaptés face à l’arrivée du numérique ? Leur travail a-t-il changé ? Cela a-t-il eu un impact sur leur vie sociale ? Quelles visions portent-ils sur leur métier et son évolution ? Qu’en est-il de la création artistique face au contrôle imposé par la numérisation ?
Pour toutes ces personnes, que devient « l’expérience lentement acquise au cours de toute une vie de travail par le contact de la matière, la familiarité avec l’outil et la machine ? » (Alain Touraine – Les travailleurs et les changements techniques – 1965). » Les Embobineuses
Donner un visage aux techniciens, prendre des cabines de projections, des ateliers (laboratoires) et des plateaux de tournage
« Dans ce secteur où seules les têtes d’affiches sont mises à l’honneur, les techniciens opèrent dans l’ombre. Nous tenions à leur donner un visage, à valoriser leur travail, à établir un lien entre eux et les spectateurs.
Nous avons pris pour décor des cabines de projections, des ateliers (laboratoires) et des plateaux de tournage car ils représentent un monde invisible, secret. Nous ouvrons les portes sur ce monde pour permettre un regard sur ce qu’il s’y passe. C’est là où prennent vie les films que nous pourrons voir ensuite au cinéma. …
Nous avons filmé ces personnes avec des plans fixes pour que le spectateur soit focalisé sur le sujet et son décor plutôt que sur la personne derrière la caméra.
Nous avons pris soin de toujours lier nos personnages à un cadre cinématographique. Les plans d’interviews étaient bien spécifiques, comme par exemple : des plans de salles de cinéma, l’écran, les fauteuils, des images de films visibles, des cabines de projection avec les projecteurs… » Les embobineuses
Laisser le champ libre à la pensée du spectateur.
Le film est divisé en différent thème avec pour fil conducteur l’intervention de la sociologue Danièle Linhart pour étayer nos propos. « Plutôt qu’une voix OFF, nous avons eu recours aux cartons qui font référence au cinéma muet. Les images d’archives en argentique et en numérique retracent les évolutions technologiques. Notre regard est transcrit par la caméra pour laisser le champ libre à la pensée du spectateur. » Les Embobineuses
Filmer en numérique et en pellicule, une évidence et un réel défi
« Filmer en numérique et en pellicule a été un réel défi pour nous. Ce choix, nous l’avons fait dès le départ pour nous confronter aux deux technologies. Nous avions envie d’appréhender la technique argentique dans notre film car nous l’utilisions déjà pour la photographie. Les contraintes que nous nous sommes posées avec cette technique ne sont pas les même qu’avec le n
umérique. Nous devions choisir nos séquences, seules certaines questions ont été filmées comme tel. Nous avons eu des difficultés à trouver des laboratoires pour développer certains films. Mais nous tenions à avoir des images issues de différents supports et formats.
Cette part d’incertitude exigeait de nous plus de réflexions sur les plans à filmer. Elle nous a incité à affirmer notre propos. Se mettre dans cette situation liée aux aléas de l’argentique était un acte militant, une preuve que rien n’est définitivement « dépassé » dans cette technique. Elle a encore sa place et peut cohabiter avec le numérique.
De plus, cette technique fait référence à toute une génération de cinéastes et évoque une esthétique de l’image bien particulière. Les caméras 16 mm comme la Bollex, ont permis dans les années 50 de donner un nouveau souffle au documentaire. En effet, plus légères que les antécédentes, elles ont permis une malléabilité aux réalisateurs et c’est pourquoi nous souhaitions l’honorer dans notre documentaire.
Quant à la caméra Super 8, apparue en 1965, elle a permis à un grand nombre de cinéastes amateurs de s’initier et a fait naître des vocations. Sa pellicule, créée par Kodak était alors la moins chère du marché.
Des cinéastes en devenir, c’est justement ce que nous sommes. Et nous avons choisi des appareils numériques et argentiques moins imposants que du matériel cinématographique couramment utilisé pour privilégier les situations, rassurer nos interlocuteurs qui n’étaient pas habitués à être filmés. Nous voulions aussi utiliser un matériel léger et discret, économique et nous permettant de nous déplacer facilement.
Tourner en Super 8 ou avec une Bollex, c’est étonnant et curieux pour des personnes qui les découvrent ou les retrouvent. Cette démarche a suscité intérêts et questionnements, favorisant les échanges avec nos interlocuteurs » Les Embobineuses