sannesnnCannes L’effervescence est un peu retombée sur la Croisette. Ce 68ème Festival de Cannes arrive doucement à son terme. Les sections parallèles ont progressivement fermé leurs portes. La Semaine de la Critique avait ouvert le bal jeudi soir, la Quinzaine des Réalisateurs a suivi le vendredi et la clôture d’Un Certain Regard a eu lieu ce samedi soir, sacrant le film islandais Hrutar (Rams). Les autres films primés sont Soleil de plomb, Le Trésor, Masaan et Nahid, tandis que Kiyoshi Kurosawa reçoit le prix de la mise en scène pour Vers l’autre rive.
La compétition officielle s’est aussi achevée avec la projection d’une nouvelle version de Macbeth, signée Justin Kurzel. Une version qui se veut à la fois réaliste, plongeant les personnages dans l’environnement froid, pluvieux et boueux de l’Ecosse du XIème siècle, et stylisée, faisant baigner les séquences de batailles dans une atmosphère quasi-onirique. Visuellement, il n’y a rien à redire, c’est très beau. On admire les jeux d’ombres et de lumière. On aime moins, en revanche, l’abus de ralentis durant les combats, qui n’apportent absolument rien au film.
La gros problème de cette nouvelle adaptation de Macbeth, c’est son manque d’intensité dramatique.
Le cinéaste a choisi de déplacer le centre de gravité de la pièce de Lady Macbeth vers Lord Macbeth lui-même. Chez Shakespeare, Macbeth était poussé au crime par son épouse. Ici, il sombre dans la folie après une campagne militaire éprouvante, qui l’a laissé en état de choc et sujet à des crises de paranoïa. Lady Macbeth se contente de le suivre dans sa folie meurtrière. Du coup, le récit perd de sa force. Ce n’est plus une flamboyante histoire d’ambition dévorante, de remords et de culpabilité, comme Shakespeare savait les écrire, mais la description d’un”simple” glissement progressif vers la folie.
Evidemment, Lady Macbeth étant reléguée au second plan, la scène majeure de la pièce, la mort de Lady Macbeth, est nettement moins marquante qu’elle ne le devrait.
Les acteurs ne sont pas en cause. Ils sont très appliqués et font ce que le cinéaste attendait d’eux, c’est à dire jouer de façon moins théâtrale, plus intimiste. Mais comme la mise en scène est également minimaliste, tout contribue donner à une oeuvre atone et austère. Même le texte de Shakespeare semble lu de façon monocorde, perdant de sa puissance.
L’idée de proposer une version sensiblement différente des autres adaptations de la pièce de Shakespeare, notamment celles de Welles, Kurosawa et Polanski, était louable. Le résultat n’est hélas pas convaincant. Ce Macbeth 2015 est loin d’être un navet, mais il manque de souffle pour être couronné lors de la cérémonie de clôture au Palais des festivals.
A la Quinzaine des Réalisateurs, nous avons pu rattraper deux films qui auraient pu, eux, prétendre à des prix s’ils avaient eu l’honneur d’une sélection en compétition officielle.
Déjà, le très bon Mustang de Deniz Gamze Ergüven. Le scénario évoque beaucoup Virgin suicides de Sofia Coppola, mais se place dans un contexte très différent. Il se déroule de nos jours, dans une petite ville de Turquie. Cinq soeurs, orphelines, vivent avec leurs oncles et leur grand-mère, dans la maison familiale. Elles ne sont pas encore des femmes, mais plus vraiment des gamines. Et elles sont toutes cinq belles à croquer. Leur beauté et leur joie de vivre font des envieux au sein de la communauté, très conservatrice. Un soir qu’elles reviennent de la plage, elles sont sévèrement punies par leur grand-mère, qui leur reproche d’avoir batifolé avec des garçons. On les emmène chez un gynécologue pour vérifier leur virginité. L’examen est crucial, car dans cette région de Turquie, on pratique encore les mariages arrangés et la virginité de l’épouse est un point essentiel pour valider l’union et toucher la dot. Bien que l’examen n’ait rien donné, leur oncle transforme littéralement la maison en prison, ajoutant des verrous et des barreaux aux fenêtres. Les cinq filles ont interdiction de sortir. Leurs vêtements tendance sont remplacés par des robes ternes et informes. Quant à l’école, ce sera à la maison, avec des cours pour devenir une bonne épouse. La famille a déjà prévu le mariage des deux soeurs aînées, et la cadette sera elle aussi proposée à des prétendants dans les semaines à venir… Mais les cinq filles n’entendent pas se laisser emprisonner comme cela sans rien dire, notamment la plus jeune, en colère contre cette société patriarcale liberticide. Elles vont tout faire pour gagner leur liberté…
Avec ce film, la cinéaste rappelle que les droits des femmes sont encore bafoués dans de nombreux pays, y compris dans des pays aux portes de l’Europe. Elle condamne fermement le côté rétrograde de la société turque sur les questions du mariage arrangé et du droit des femmes à disposer de leur corps comme elles le veulent. Elle fustige aussi l’hypocrisie de certains hommes, qui imposent à leurs filles de rester vierges, mais n’hésitent pas à les violer à la nuit tombée.
Tantôt drôle, émouvant, tragique et glaçant, Mustang est une oeuvre forte, intelligente, qui bénéficie d’une mise en scène élégante et de l’énergie de ces cinq jeunes filles solaires, magnifiques.
Ensuite El Abrazo de la serpiente du colombien Ciro Guerra, un film tourné dans un noir & blanc splendide, inspiré des carnets de voyage des deux premiers explorateurs de la partie colombienne de l’Amazonie, Theodor Koch-Grunberg et Richard Evans Schultes.
On suit en parallèle les quêtes obsessionnelles d’un explorateur allemand et d’un botaniste américain, tous deux à la recherche, à quarante ans d’intervalle, d’une plante sacrée, la yakruna. Ils sont guidés dans leur périple par un mystérieux chaman amazonien, dernier survivant de son peuple.
Ce dispositif permet au cinéaste de parler de la disparition des tribus indigènes d’Amazonie, la perte de leur identité culturelle et de leur savoir, différent de celui de la science moderne, mais parfois plus efficace. Il traite aussi des dérives de la religion, à travers le comportement sadique d’un missionnaire ou les errances d’un illuminé se prenant pour le Messie. Ou encore la déforestation, évoquée par le biais de l’obsession des blancs pour le caoutchouc, matériau révolutionnaire pour l’industrie du début du XXème siècle.
El Abrazo de la serpiente est une oeuvre aussi dense que la végétation amazonienne, ce qui n’empêche pas l’émotion de se faufiler, tel un serpent, pour frapper au coeur le spectateur. Il est à l’image de la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs cette année, jugée unanimement par les observateurs comme un très bon cru.
On n’en dira pas tant, hélas, de la sélection des neuf courts-métrages en compétition officielle. Des films assez fades dans l’ensemble, pêchant soit par une absence totale de fond, soit par une mise en scène sans relief. On sauvera juste deux films parmi les neuf :
Déjà Le Repas dominical de Céline Devaux, un film d’animation au style atypique, qui dépeint avec un humour décapant et une certaine tendresse le déroulement d’un repas familial mouvementé.
Puis notre favori pour la Palme du Court-métrage, Avé Maria de Basil Khalil, superbe petite comédie sur les tensions communautaires et religieuses au Moyen-Orient. On suit la rencontre improbable d’une famille de colons israéliens et d’un groupe de Religieuses vivant dans un lieu paumé en Cisjordanie. Les premiers ont eu un accident de voiture. Ils ont percuté une statue de la Vierge à l’entrée du couvent et ils demandent donc aux soeurs de les aider. Le plus simple serait d’appeler les secours, mais les soeurs ont fait voeu de silence et les colons ne peuvent pas téléphoner le jour de Shabbat. Et s’ils dérogeaient à cette règle, ils tomberaient sur des chauffeurs de taxis Arabes qui refuseraient de les transporter… Tout est comme cela dans le film de Basil Khalili, qui explique les mécanismes du conflit israélo-palestinien en se moquant gentiment des travers de chaque communauté, chaque religion Le ton poético-comique évoque le style d’un autre cinéaste palestinien, Elia Suleiman. On souhaite à Basil Khalil la même carrière.
A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.