Avec Stanislas Merhar, Clotilde Courau, Lena Paugam,
Ils font des documentaires avec rien et ils vivent en faisant des petits boulots. Pierre rencontre une jeune stagiaire, Elisabeth, et elle devient sa maîtresse.
Mais Pierre ne veut pas quitter Manon pour Elisabeth, il veut garder les deux.
Un jour Elisabeth, la jeune maîtresse de Pierre, découvre que Manon, la femme de Pierre, a un amant . Et elle le dit à Pierre...
Pierre se retourne vers Manon parce que c'est elle qu'il aimait. Et comme il se sent trahi, il implore Manon et délaisse Elisabeth.
Manon, elle, rompt tout de suite avec son amant. On peut supposer que c'est parce qu'elle aime Pierre.
Extrait d'entretien avec par Jean-Michel Frodon.
Relevé sur medias.unifrance.org
L'Ombre des femmes est-il un film plus scénarisé que vos précédentes réalisations ?
Oui ! Après une époque, désormais lointaine, celle de mes films improvisés, j'ai trouvé bien d'avoir des scénarios mais surtout pour des raisons d'organisation et de recherche de financement. Là, c'est la première fois où j'étais content d'avoir un scénario, et où à mes yeux il égalait, en termes d'efficacité, l'époque de l'improvisation. Ce n'était plus utilitaire du point de vue économique, ou un pis aller nécessaire, mais un réel apport au film. Cela avait déjà été un peu été le cas pour
Liberté la nuit, mais cette fois j'ai atteint quelque chose de nouveau, en tout cas pour moi. La mise en place d'un suspense psychologique trouve de nouvelles ressources grâce à l'écriture.
Cette écriture est-elle différente de celle de vos précédents scénarios ?
Oui, certainement du fait de l'arrivée de Jean-Claude Carrière. Il amène une conception du scénario fondée sur le récit, que je n'avais pas avant. J'ai rencontré Carrière à cause de ce qu'il avait fait sur Sauve qui peut (la vie) et lui ai demandé ce que Godart lui avait fourni à l'époque, et comment il avait travaillé. Il m'a dit que Godart lui avait donné l'endroit et les personnages, cette démarche me convenait très bien et on a procédé de la même manière. Avec Arlette Langmann et Caroline Deruas, déjà coscénaristes de La Jalousie, nous avons établi un sujet, et ensuite on l'a confié à Carrière qui a proposé les premiers développements. Ensuite on retravaille beaucoup ensemble, chacun de nous quatre apporte des éléments.
Le sujet c'est : la libido féminine est aussi puissante que la libido masculine. Pour moi L'Ombre des femmes est un film sur l'égalité de l'homme et de la femme, telle que peut la prendre en charge le cinéma. Ce qui signifie qu'il fallait énormément soutenir le personnage féminin, et aller contre l'homme : le cinéma a été conçu par des hommes et ce sont quand même toujours eux qui orientent nos représentations, nos manières de voir et de raconter même si heureusement il y a de plus en plus de femmes qui font des films. La plupart du temps, quand des femmes s'expriment à l'écran elles disent des mots écrits par des hommes. Mais je crois que le cinéma fonctionne de telle manière que si on met le personnage masculin et le personnage féminin à égalité, le cinéma tend à renforcer la position de l'homme. Pour contrebalancer ça j'ai voulu que le film soit en défense de la femme et à charge contre l'homme. Et du coup à la fin Pierre ne s'en sort pas mal, Manon et lui sont en effet dans un rapport de force égal. Le film est sans doute quand même fait du point de vue d'un homme, mais d'un homme qui va voir ce qui se passe du point de vue des femmes.
Le scénario joue un rôle central lors du tournage ?
Pas central : pour moi, le cinéma c'est toujours fondamentalement ce qui se passe au tournage, c'est là que tout se joue vraiment. Mais le scénario joue un rôle important, surtout du fait des conditions dans lesquelles sont faits ces films, c'est à dire très vite et pour très peu d'argent. Un travail très poussé et très précis sur le scénario permet ensuite d'être rapide, de ne pas perdre de temps ni d'argent. Tourner en 21 jours, à Paris ou tout près, dans l'ordre des scènes, comme le sont La Jalousie et L'Ombre des femmes nécessitent que le scénario soit solide. Il prévoit d'ailleurs aussi le montage : pour travailler dans ces conditions, il ne faut presque rien jeter, tout ce qu'on tourne est nécessaire, et figure dans le film. Le montage proprement dit, ce sont des ajustements à partir de ce qui a été anticipé à l'écriture et fabriqué au tournage d'une manière très proche du résultat final. Mais le scénario ne peut pas, et ne doit pas tout prévoir : il y a des choses qui ne peuvent s'écrire qu'avec la caméra - peut-être les plus importantes. Les vrais risques c'est sur le tournage qu'on les prend.
Ce sont des conditions matérielles que vous subissez, ou qui vous conviennent voire vous stimulent ?
Elles me conviennent, elles sont la contrepartie d'une totale liberté. Dès lors que je travaille dans ce cadre économique on me laisse faire tout ce que je veux. Si je trouve une méthode de travail adapté, ce qui est le cas, je fais exactement le film que je désire. Les films chers ne peuvent pas se faire sans un contrôle des financiers. Je trouve que nous vivons une époque où il faut prendre en considération ces questions, de toute façon l'économie m'a toujours intéressé. Dès 2011, lorsque la crise de la dette européenne a pris des proportions importantes, j'ai compris qu'on était entrés dans une époque où il fallait réfléchir différemment, y compris à mon échelle. Depuis, les films sont tournés en moitié moins de temps, et avec des budgets divisés par 2 par rapport à ce que je faisais avant, qui n'avait déjà rien de dispendieux comparé à la plupart des autres. Il faut inventer d'autres prototypes. Et j'ai vu que j'y gagnais de la liberté. Mais sur mes films, tout le monde est payé au tarif syndical. J'y tiens absolument. On sait que je n'ai pas un grand public, à peu près le même depuis des décennies, l'économie de mes films est en proportion, donc, c'est sain.
Vous aimez l'austérité ? Vous y trouvez une énergie ?
Je ne le vis pas comme une austérité, mais comme la définition de ce à quoi je tiens le plus. Je tourne avec les acteurs que je veux, les partenaires techniques que je veux, en répétant beaucoup, je filme et je monte en 35mm, en scope, en noir et blanc. Pour moi ce sont autant de luxes, mais qui sont possibles parce qu'ils trouvent place à l'intérieur du cadre défini très clairement avec le producteur, Saïd Ben Saïd, et que nous respectons tous les deux. Je n'échangerais pour rien au monde ma situation contre celle dans laquelle je vois d'autres réalisateurs qui font des films beaucoup plus chers, à travers des crises terribles. Je tiens à ce que l'art m'aide à vivre, il n'est pas question de sacrifier ma vie pour le cinéma. Lorsque j'enseignais au Conservatoire, j'étais effrayé par les élèves qui se disaient prêts à mourir pour l'art, moi je préfère ceux qui sont prêts à vivre pour l'art.
Lorsque vous écrivez le scénario, les personnages ont un visage ?
Non, ce sont des personnages.
Lorsque le scénario est terminé, je choisis un acteur, ensuite j'en cherche un deuxième, en fonction du premier, et ainsi de suite. Dans ce cas, j'ai choisi Stanislas Merhar, avec qui j'avais envie de tourner depuis longtemps, que je trouve magnétique. Je l'ai toujours beaucoup apprécié, surtout dans les films de Chantal Akerman.
Ensuite j'ai pensé à Clotilde Courau, je l'avais repéré il y a très longtemps, après l'avoir vue par hasard dans un téléfilm, immédiatement j'avais senti sa force. C'est une virtuose, je l'ai su d'emblée. Mais ensuite c'est en faisant l'essai, en les voyant ensemble lors des essais que j'ai su que c'était tait la bonne réponse pour ce film-là.
Je fais des essais, des lectures avec Stanislas Merhar et plusieurs jeunes comédiennes, dont Lena Paugam, qui vient du Conservatoire. Je n'y enseigne plus mais je continue de suivre chaque année les nouvelles promotions, il y a beaucoup de découvertes à y faire. J'ai vu une relation possible et qui me plaisait entre ces deux acteurs, après il faut beaucoup travailler avec chacun. Je ne crois pas à la possibilité de faire faire aux acteurs autre chose que ce qu'ils sont, il faut s'appuyer sur leur propre rapport au personnage et aux situations, ce qu'ils mettent eux-mêmes en place, et bâtir à partir de cela. Il faut intervenir sans ou casser, c'est un processus long et complexe, mais passionnant aussi.
Un film très court, tourné dans l'ordre chronologique en seulement 21 jours. Visiblement, une seule prise pour chaque scène, empêche tout droit à l'erreur. "... C'est toujours fondamentalement ce qui se passe au tournage, c'est là que tout se joue vraiment" déclare le réalisateur
Un budget minimal qui est "la contrepartie d'une totale liberté" avoue Philippe Garrel.
Le scénario explore l'usure de la vie d'un couple et ses relations extra conjugales. L'ensemble est tourné dans des décors sinistres. Le portrait des hommes n'est guère flatteur. Les femmes semblent rester beaucoup plus perspicaces.
Tourné en noir et blanc la photographie de Renato Berta reste lumineuse et absolument magnifique. Une voix off, inutile, vient ponctuer ce que nous voyons à l'écran ou ce qu'il n'était pas difficile de comprendre.
Rien de très nouveau dans le propos et malgré une certaine noirceur, ce film apporte une nouveauté dans tout ce qui a déjà été fait grâce essentiellement à une écriture très personnelle et un Paris loin de tous clichés.