« Caleb, 24 ans, est programmateur de l’une des plus importantes entreprise d’informatique au monde. Lorsqu’il gagne un concours pour passer une semaine dans un lieu retiré en montagne appartenant à Nathan, le PDG solitaire de son entreprise, il découvre qu’il va en fait devoir participer à une étrange et fascinante expérience dans laquelle il devra interagir avec la première intelligence artificielle au monde qui prend la forme d’un superbe robot féminin. »
Hollywood n’a pas fini de surprendre dans son traitement de la science-fiction. Même si les plus grands visionnaires s’y sont essayés (2001 : l’Odyssée de l’Espace pour Stanley Kubrick, Blade Runner pour Ridley Scott et AI pour Steven Spielberg) le thème de l’intelligence artificielle n’a pas fini de fasciner le cinéma américain. C’est donc dans une perspective louable et courageuse qu’Alex Garland, scénariste quasi attitré du réalisateur Danny Boyle et auteur des scripts de La Plage et de 28 jours plus tard se lance dans le même exercice ambitieux. Louable, car à l’instar des plus grands, il focalise le langage de son premier long-métrage Ex Machina sur sa thématique principale. La réflexion autour de l’intelligence artificielle est le but et la fin ultime du film.
Garland nous raconte ici l’histoire de Caleb, un jeune programmateur de 24 ans de l’une des plus importantes entreprises d’informatique au monde. Lorsqu’il gagne un concours pour passer une semaine dans un lieu retiré en montagne appartenant à Nathan, le PDG solitaire de son entreprise, il découvre qu’il va en fait devoir participer à une étrange et fascinante expérience dans laquelle il devra interagir avec la première intelligence artificielle au monde qui prend la forme d’un superbe robot féminin. Elle s’appelle Ava.
À travers cette histoire qui cache de prime abord le plus prévisible des scénarios (une histoire d’amour entre Caleb et Ava) se tisse un divertissement étonnant qui dresse un portrait pessimiste de l’intelligence humaine. À l’instar des Origines de La Planète des Singes, Ex Machina est un long métrage qui prend son temps et qui n’a pas peur des longueurs. Le film n’est pas une progression vers une action grandiose que tout le monde attend, c’est un métrage réflectif sur la conscience de l’homme. Riche en idées, le métrage alterne les scènes de dialogue entre Caleb et Ava, un montage parallèle où Garland se livre à une poésie visuelle en filmant des paysages de montagne et des scènes de dialogue entre Caleb et Nathan où ils se livrent à des discussions scientifiques sur les fondements de l’intelligence et son fonctionnement. L’objectif du film est là : comprendre ce qui fonde un homme, sa conscience, et donc, son intelligence. Le dénouement du film et les actes du robot apporteront toutes les réponses à ces questions : un être intelligent et conscient n’utilise pas ses facultés pour le bien, il les utilise avant toute chose pour sa survie bien comprise. L’intelligence est le propre de l’individualisme et par définition peut potentiellement servir le mal (ce n’est pas par hasard si Caleb et Nathan discutent vers l’une des dernières scènes, de l’invention de la bombe atomique). Le thème de l’individualisme est traité en permanence dans le film : dans ce huis clos constitué d’uniquement trois personnages, chaque individu est seul et isolé.
Le film prend directement la forme d’un thriller dans lequel un héros incrédule et naïf (du fait de son honnêteté) se prend à découvrir un univers mystérieux, celui d’un bunker « désigné » à outrance. Cet univers, beaucoup trop propre et aseptisé pour ne pas cacher une noirceur qui ne pas son nom sert de pilier à la mise en scène de Garland. À l’instar de plusieurs premiers films, la sobriété dans la réalisation est de mise. La mise en scène, ultra-minimaliste, s’efface derrière les dialogues de ses personnages et la somptueuse direction artistique. L’objectif du metteur en scène est de faire un film d’ambiance, vampirisé par la composition picturale que lui permet le cadre et l’espace des couloirs étroits du bunker. Dès l’ouverture du film, le spectateur suffoque et ne se sent pas en terrain conquis. En montrant ses personnages sous leur jour le plus mystérieux et en laissant certaines de leurs discussions en suspend grâce à son montage, Alex Garland parvient à formaliser avec brio une réelle ambiance paranoïaque, conséquence directe de l’isolement de ses personnages. Cette esthétique n’est pas gratuite : elle sert l’idée directrice du réalisateur ; ces personnages isolés se manipulent. Le but premier de l’intelligence est de manipuler ses semblables.
Il est à noter cependant certains défauts. À trop osciller entre différentes discussions, Alex Garland n’homogénéise pas totalement son propos, l’idée centrale du film n’étant révélée qu’à la fin du métrage à travers son dénouement, non sans élégance. Le réalisateur refuse de juger les décisions que prennent ses personnages, en particulier celle du robot, ce qui pourra passer pour une position de « lâche » pour certains ou contribuera à la force émotionnelle du film pour d’autres. À cela s’ajoute que certains fils narratifs sont visibles. Certains aspects du dénouement final peuvent paraitre ainsi parachutés, en plus de ce qui pousse réellement le personnage principal à tomber amoureux d’Ava. Le passé des personnages étant inconnu, certaines de leurs motivations demeurent obscures. Certains aspects du montage demeurent par ailleurs prévisibles, le réalisateur se focalisant souvent en gros plan sur les visages des personnages dont l’utilité dans les séquences suivantes sera primordiale.
Ces petits bémols demeurent néanmoins complètement comblés par l’interprétation impeccable des acteurs et surtout par le personnage très réussi d’Ava dont la personnalité se révèle au fur et à mesure que le film se construit, jusqu’à surprendre à l’aboutissement de l’histoire. Ce personnage, c’est le film, la preuve Hollywood n’a pas tout épuisé dans le thème de l’intelligence artificielle. Attachante par son apparence fragile, ses traits fins, sa timidité et sa gestuelle dominant l’espace et le cadre, toute son allure inquiète, et fascine en même temps par son érotisation.
Ex Machina atteint donc ses objectifs de thriller en se donnant les moyens de ses ambitions réflectives. Il ne serait pas étonnant qu’Ava, l’androïde du film mérite sa petite place à côté des grands robots du cinéma de science-fiction. Et c’est un grand fan de Blade Runner qui vous le dit.
par Oualid Branine
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